Bien qu’ils soient particulièrement résistants au réchauffement climatique, les coraux de la mer Rouge sont confrontés à d’autres menaces, notamment la pollution. Afin de sensibiliser le public à leur importance, une initiative suisse a permis d’organiser une exposition à Aqaba, en Jordanie. L’illustratrice Maeva Rubli, installée à Bâle, fait partie des artistes choisis pour participer au projet «Voices of the Reef».
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06 novembre 2024 – 11:01
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Maeva Rubli macht Kunst, damit Korallen überleben
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«La molécule d’eau est une réflexion sur la façon dont les êtres humains font tout leur possible pour recréer ce qu’ils persistent à détruire.»
La molécule d’eau en question est l’une des protagonistes d’une histoire particulière qui a commencé il y a des milliers d’années et qui continue à se développer aujourd’hui, à cheval entre la science, la diplomatie et l’art.
Mais reprenons dans l’ordre.
La citation est tirée d’un livre, destiné aux jeunes et aux adultes, qui n’est pas exactement un livre. C’est une histoire illustrée que l’on peut parcourir, exposée depuis le 31 octobre au sein de la forteresse d’Aqaba, en Jordanie.
Cette histoire a été imaginée par l’illustratrice et auteure suisse Maeva Rubli, qui travaille à Bâle. swissinfo.ch l’a rencontrée peu avant son départ pour Aqaba, ville où elle est retournée pour peaufiner son œuvre et participer au vernissage de l’exposition «Voices of the Reef» («Voix de la barrière de corail») et animer des ateliers artistiques pour les élèves de l’école internationale et de l’Université de technologie d’Aqaba.
Les coraux sont les autres protagonistes de l’histoire et c’est pour eux que l’exposition – organisée par le Musée national des beaux-arts de Jordanie – a été créée, à l’initiative du Transnational Red Sea Center (TRSC) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), avec le soutien de l’ambassade de Suisse.
La résistance des coraux
Le TRSC mène depuis des années un projet ambitieux, visant à rassembler les gouvernements et des scientifiques des pays riverains de la mer Rouge pour étudier, comprendre et sauver les coraux de ce coin de la planète.
Il y a une douzaine d’années, on a découvert que les coraux de ces eaux étaient particulièrement résistants à la hausse des températures – laquelle provoque le blanchiment et la mort des coraux dans d’autres mers -, au point que d’ici la fin du siècle, les récifs coralliens de la mer Rouge seront les seuls à être encore en vie, d’après ce que prédisent les recherches.
On suppose que cela est dû au fait que les coraux s’y sont répandus il y a des milliers d’années, lors de périodes très chaudes, et qu’ils ont conservé cette résistance particulière dans leurs gènes.
Mais si les températures élevées ne sont pas un problème pour eux, il n’en va pas de même pour les menaces telles que la pollution ou les simples dommages physiques. Outre la recherche scientifique et les efforts diplomatiques, dont swissinfo.ch a déjà parlé, l’art est désormais un autre levier utilisé pour sauver ces coraux. L’espoir est de parvenir à sensibiliser le public à leur importance écologique (les récifs coralliens sont à la base d’un écosystème qui fait vivre d’innombrables êtres vivants), mais aussi économique, car la beauté des récifs est un moteur non négligeable pour l’industrie du tourisme.
Maeva Rubli et dix autres artistes de Jordanie ont participé à une «résidence immersive» – dans tous les sens du terme – en mai dernier à Aqaba. Aux côtés de scientifiques locaux, le groupe a plongé pour observer de près ces écosystèmes. Les artistes ont ensuite eu carte blanche pour préparer une œuvre pour l’exposition.
Comme une goutte d’eau
«J’ai passé beaucoup de temps à poser des questions, à recueillir des réponses et à rassembler le tout dans un carnet. Et j’ai parlé non seulement avec des scientifiques, mais aussi avec toutes sortes de personnes que je pouvais rencontrer. D’autres fois, j’ai simplement observé, pendant longtemps, en silence», explique Maeva Rubli.
L’idée initiale était de créer un reportage visuel sur le travail du TRSC avec la même méthode scientifique, mais l’expérience l’a encouragée à raconter de manière plus poétique, en donnant forme aux émotions qu’elle a ressenties pendant sa résidence: «Être dans un pays auquel je n’appartiens pas, me sentir étrangère, essayer de trouver des liens dans toutes ces grandes contradictions, écologiques et économiques.»
Tout cela lui a fait penser à une goutte d’eau qui se retrouve dans la mer, dans l’air, par terre. Elle se sent insignifiante, mais elle peut rencontrer, parler et poser des questions à tout le monde. «Je me suis sentie comme ça. J’étais au milieu de quelque chose que je ne contrôlais pas, mais que je pouvais simplement traverser. J’ai donc essayé d’en faire mon projet.»
Le voyage de la goutte (qui, dans l’œuvre achevée, est devenue une molécule) commence là où il se termine, en passant par la ville, une bouteille, un récif corallien bien sûr, et même dans l’œil d’un vieil homme, avec toujours cette même question:
«Qui êtes-vous?», demande la molécule.
«Ma famille vit depuis longtemps au bord de la mer.
Mon père était pêcheur, mais la pêche n’est plus rentable.
Alors je guide les touristes à la découverte des coraux.
Les coraux sont notre richesse, ils nous font vivre.
Aujourd’hui, tout a changé.
Je me sens étranger dans ma ville.
Et je ne reconnais plus la mer.
Mais je garde l’espoir qu’en prenant soin de notre ville et de la mer, nous pourrons rétablir le lien qui nous unissait autrefois.»
Alors que le vieillard soupire, la molécule coule sur sa joue.
L’exposition «Voices of the Reef» a été inaugurée le 31 octobre et se poursuivra jusqu’au 12 décembre 2024 à la forteresse d’Aqaba en Jordanie. En avril 2025, elle se déplacera dans la capitale Amman, tandis qu’un deuxième groupe d’artistes participera à la résidence immersive en vue d’une deuxième exposition. Et ainsi de suite, tant qu’il restera des coraux à protéger.