Suisse

La traque aux composants occidentaux dans les armes russes

Un drone russe a tiré sur Kiev, en Ukraine, le 17 octobre 2022. Keystone

Des experts en armement affirment que des composants de haute technologie fabriqués par des entreprises américaines, suisses ou d’autres pays occidentaux ont été retrouvés dans des drones et des missiles utilisés par la Russie dans la guerre en Ukraine. Explications.

Ce contenu a été publié le 27 janvier 2023 – 16:48


rapportLien externe du groupe de réflexion sur la défense, Royal United Services Institute (RUSI), a présenté une analyse détaillée des composants et des rouages internes des systèmes militaires russes les plus modernes – notamment des missiles de croisière, des systèmes de communication et des systèmes de guerre électronique, qui ont été saisis ou abattus en Ukraine depuis le début de la guerre. Dans les 27 systèmes qu’il a démontés et étudiés, le RUSI a trouvé au moins 450 types différents de composants étrangers uniques. La plupart étaient fabriqués par des entreprises américaines, mais certains venaient aussi du Japon, de Taïwan, de Corée du Sud, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et de Suisse.

La Russie a également attaqué l’Ukraine avec des drones provenant d’Iran. Toutefois, certains des composants de ceux-ci provenaient d’autres pays. Une analyse séparée des drones iraniens abattus en Ukraine, menée par des enquêteurs du groupe Conflict Armament Research (CAR) et publiée en novembre, a trouvé plus de 500 composants différents.

Un drone iranien Mohajer-6 documenté par le CAR en Ukraine. Conflict Armament Research

Les enquêteurs du CAR ont réussi à remonter aux fabricants des drones documentés afin de confirmer leur provenance. Les composants provenaient de 70 fabricants de 13 pays différents. 82% des pièces étaient fabriquées par des sociétés basées aux États-Unis. La plupart des composants ont été fabriqués en 2020 et 2021, selon le CAR.

Une évaluationLien externe des services de renseignement ukrainiens obtenue par CNN et publiée en janvier 2023 a révélé que des pièces fabriquées par plus d’une douzaine d’entreprises américaines et d’autres du Canada, de Suisse, du Japon, de Taïwan et de Chine ont été trouvées à l’intérieur d’un drone iranien abattu en Ukraine l’automne dernier.

Les enquêteurs du CAR ont documenté les composants trouvés dans les drones et les armes utilisés par la Russie contre l’Ukraine en 2022. Conflict Armament Research

Quelles entreprises suisses sont impliquées?

La Suisse est le quatrième plus grand fabricant de composants trouvés dans les systèmes d’armement russes, selon les étudesLien externe

du RUSI. Au total, le groupe de réflexion sur la défense a trouvé 18 composants uniques fabriqués par des entreprises suisses. Le rapport cite STMicroelectronics et u-blox, qui fabriquent entre autres des semi-conducteurs et des modules de navigation par satellite. u-blox a été lancée au milieu des années 1990 en tant que spin-off de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Basée à Thalwil près de Zurich, elle est devenue une entreprise qui pèse plusieurs millions de francs et qui compte plus de 1000 employés.

Que disent les entreprises suisses?

Dans un communiqué publié le 20 décembre 2022, u-blox a condamné l’utilisation de ses modules de système global de navigation par satellite dans les drones militaires russes. «Depuis 2022, la politique d’entreprise de u-blox interdit l’utilisation de ses produits dans les armes – y compris les systèmes d’identification des cibles», indique le communiqué. La firme a déclaré avoir cessé toute vente à la Russie, au Belarus et aux territoires occupés par l’armée russe en Ukraine immédiatement après l’invasion de la Russie en février 2022.

Le gouvernement russe a stocké des composants en prévision de la guerre, ce qui, selon u-blox, pourrait expliquer pourquoi des produits de fabricants de composants étrangers ont été trouvés dans des drones russes fabriqués après le début de la guerre en Ukraine. L’entreprise a déclaré qu’elle enquêterait sur toute violation et prendrait des mesures juridiques si nécessaire.

À la suite des révélationsLien externe de la presse suisse, STMicroelectronics a également publié une courte déclaration en décembre. «À la suite de la mise en œuvre de sanctions et de mesures de contrôle des exportations par l’Union européenne, les États-Unis et de nombreux autres pays à l’encontre de la Russie et du Belarus depuis février 2022, l’entreprise a pris les mesures nécessaires pour se conformer à ce nouveau cadre.»

Des pièces de drones utilisés dans les frappes russes montrées aux médias lors d’un briefing de l’armée ukrainienne à Kiev, Ukraine, le 15 décembre 2022. Keystone / Sergey Dolzhenko

Quelle est la position du Secrétariat d’État à l’économie (SECO), qui supervise les contrôles des exportations suisses?

La loi suisse interdit la livraison d’armes à des pays en guerre. En outre, l’Iran et la Russie sont sous le coup de sanctions internationales: le commerce avec ces pays est donc étroitement contrôlé.

Le SECO a suivi de près les révélations à propos des composants occidentaux et a effectué des contrôles, a-t-il assuré à swissinfo.ch. «Les entreprises en question ont leur siège en Suisse, mais leur production est située dans des pays tiers. Il s’agit de biens industriels produits en série qui ne sont pas soumis à des contrôles de double usage et qui sont librement disponibles sur le marché mondial», a déclaré Fabian Maienfisch, porte-parole du SECO, ajoutant qu’aucune exportation n’est allée de la Suisse vers l’Iran ou la Russie.

Le SECO conclut que les entreprises concernées n’ont pas violé la loi suisse.

Une radio logicielle flexible trouvée par le CAR dans un drone Shahed-136 en Ukraine, en novembre 2022. Conflict Armament Research

Quels sont les contrôles à l’exportation et les sanctions en place pour faire face à ce problème à l’avenir?

Le 4 mars 2022, la Suisse a suivi l’UE en imposant des sanctions et des restrictions sévères liées à la guerre en Ukraine. L’exportation de biens et de technologies à double usage, notamment les semi-conducteurs, a été soumise à des restrictions. Plus récemment, la Confédération a étendu ses sanctions pour viser les fournisseurs et fabricants de drones iraniens qui ont été utilisés pour cibler des infrastructures civiles en Ukraine pendant le conflit avec la Russie.

Le SECO souligne encore que même si les composants suisses retrouvés dans les armes russes et iraniennes ne sont pas officiellement considérés comme des biens à double usage, leur exportation ou leur vente depuis la Suisse vers la Russie est interdite depuis le 4 mars 2022.

«On peut supposer que la Russie et l’Iran se procurent ces biens via des pays tiers. Ces achats à des fins militaires illégitimes sont souvent effectués par des sociétés-écrans», a déclaré un porte-parole du SECO.

Il considère que l’un des principaux problèmes est l’absence de contrôles ou l’insuffisance des mesures mises en place sur les sites de production étrangers, où le droit suisse ne s’applique pas.

Que font les États-Unis et d’autres pays?

L’administration américaine a accéléré les mesures visant à priver l’Iran des composants occidentaux nécessaires à la fabrication des drones vendus à la Russie. «Nous cherchons des moyens de cibler la production iranienne de drones par le biais de sanctions, de contrôles des exportations et de discussions avec des entreprises privées dont les pièces ont été utilisées dans la production», a déclaré Adrienne Watson, porte-parole du Conseil national de sécurité américain, au New York Times fin décembreLien externe.

Les forces américaines aident également l’armée ukrainienne à cibler les sites où les drones sont préparés pour le lancement, selon le journal. En parallèle, les Américains s’empressent de développer de nouvelles technologies conçues pour donner un avertissement précoce de l’approche d’essaims de drones et améliorer les chances de l’Ukraine de les abattre.

Un porte-parole du ministère américain du Commerce a déclaré à Reuters en décembre que l’accès de la Russie aux semi-conducteurs avait été réduit de près de 70% depuis le début de l’invasion, grâce aux actions d’une coalition de 38 nations.

Mais une enquêteLien externe conjointe de Reuters et du RUSI, également publiée en décembre, a révélé que les canaux d’approvisionnement mondiaux de la Russie sont restés ouverts, malgré les restrictions occidentales à l’exportation et les interdictions des fabricants. Au moins 2,6 milliards de dollars de composants informatiques et électroniques sont entrés en Russie au cours des sept mois précédant le 31 octobre, selon les registres des douanes russes. Au moins 777 millions de dollars de ces produits ont été fabriqués par des entreprises occidentales dont les puces ont été trouvéesLien externe dans des systèmes d’armement russes.

(Adapté de l’anglais par Katy Romy)

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