Suisse

La Suisse parmi les plus gros consommateurs de mode jetable

Les consommateurs suisses jettent plus de 100 000 tonnes de vêtements chaque année, dont la moitié seulement est donnée, revendue ou recyclée. L’autre moitié est incinérée. Keystone / Laurent Cipriani

La population suisse est la deuxième au monde à dépenser le plus pour la «fast fashion». Ces vêtements achetés peu chers et vite jetés contribuent à la crise climatique. Malgré l’urgence, les obstacles s’accumulent devant les chercheurs de ce domaine. 

Ce contenu a été publié le 03 mai 2023




20% des eaux usées industriellesLien externe provenant du traitement et de la teinture des textiles. Une fois vendus, les vêtements continuent de polluer l’eau. Lors du lavage, les microfibres des matières synthétiques comme le polyester, ainsi que les produits chimiques toxiques, se retrouvent dans les cours d’eau, où ils peuvent être ingérés par les êtres vivants.

Kai Reusser / swissinfo.ch

Acheter, porter, jeter, recommencer

Les recherches de Katia Vladimirova montrent que les villes comme Genève fonctionnent essentiellement comme des «pompes» qui alimentent le marché de l’occasion. Les vêtements et les chaussures dont on ne veut plus finissent dans des sacs de dons ou sont collectés par des entreprises, qui les exportent pour les recycler.

Les consommateurs helvétiques, les deuxièmes plus riches du monde en termes de PIB par habitant, sont bien représentés dans ce circuit. En 2022, la Suisse a importé environ 22 kilos de textiles par personne, soit plus de 95% de tous les vêtements achetés dans le pays, et en a exporté environ 14 kilos (usagés et neufs), selon l’Office fédéral des douanes (OFDT).

A Genève, un centre de distribution géré conjointement par les organisations caritatives Caritas et le Centre Social Protestant envoie 35% des vêtements donnés en mauvais état à l’entreprise de recyclage Texaid. Ces vêtements sont exportés principalement vers le Pakistan et vers des pays africains où, selon Katia Vladimirova, ils finissent souvent dans des décharges parce que la quantité est trop importante et la qualité, trop mauvaise.

Texaid, pour sa part, a écrit par mail à swissinfo.ch que, bien que les vêtements ne soient exportés que vers des revendeurs agréés, l’entreprise n’a aucune influence sur la manière dont les vêtements sont éliminés dans le pays de destination.

Des vêtements de créateurs issus du recyclage et de la transformation de textiles usagés sont en vente à l’Upcyclerie de Genève. Certains vêtements peuvent coûter jusqu’à 500 francs. swissinfo.ch

Recycler et repenser la mode

En réalité, moins de 0,5% des textilesLien externe mis au rebut sont aujourd’hui recyclés en fibres. En effet, la plupart des vêtements sont composés de mélanges textiles bon marché, ce qui rend la séparation et la réutilisation des matériaux très complexes et exigeantes en main-d’œuvre.

Françoise Adler, chercheuse en design textile et durabilité à la Haute école de Lucerne. HSLU

L’Europe subit une pression politique croissante pour résoudre ce problème. En mars 2022, la Commission européenneLien externe a publié une proposition de règlement qui ferait des produits durables la norme dans l’Union européenne. Le financement de la recherche sur la production de matériaux réutilisés et la réduction des matières premières à base de pétrole et non recyclables, telles que le polyester, sont essentiels à cet égard.

«Nous devons comprendre comment nous pouvons utiliser les fibres de manière à les recycler et à les faire durer plus longtemps», explique Françoise Adler, de l’Université des sciences appliquées et des arts de Lucerne. «Et nous ne pouvons pas le faire avec les technologies et les chaînes d’approvisionnement actuelles.»

Françoise Adler est une autre chercheuse qui estime que les études sur la durabilité des textiles ont été négligées en Suisse. «Il est frustrant de voir que des fonds sont facilement disponibles pour la recherche dans des domaines tels que la robotique et l’intelligence artificielle, alors que nous luttons pour obtenir des fonds nationaux», dit-elle.

Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) soutiennent depuis 2020 un programmeLien externe visant à promouvoir des chaînes d’approvisionnement plus durables et transparentes dans le secteur textile, avec un financement de 325’000 francs jusqu’en 2024. Mais il s’adresse principalement à l’industrie et n’encourage pas la recherche.

Kate Fletcher est la spécialiste de la mode durable la plus citée au Royaume-Uni. Elle enseigne la durabilité et le design à l’Académie royale du Danemark à Copenhague. Per Herriksen

Des pays comme le Royaume-Uni et la Scandinavie ont une longueur d’avance. Kate Fletcher, l’universitaire britannique la plus citée dans ce domaine, estime que c’est grâce à un lien étroit entre l’industrie et le monde universitaire. Mais selon elle, cette étroite collaboration fait obstacle à toute recherche trop critique à l’égard de la logique de croissance économique qui anime l’industrie.

«Nous n’avons pas besoin de nouvelles technologies ou de nouvelles fibres parce que les chaînes commerciales ne sont pas intéressées à résoudre ce problème», déclare Kate Fletcher. La chercheuse affirme qu’il serait plus durable de produire et d’acheter moins de vêtements. «Mais c’est un message que personne ne veut entendre.» 

Texte relu et vérifié par Sabrina Weiss et Veronica De Vore, traduit de l’anglais par Mary Vakaridis 

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