Suisse

La Suisse envisage de resserrer les rangs avec la défense européenne

Martin Pfister


Dans un contexte sécuritaire instable, le nouveau ministre de la Défense Martin Pfister doit repenser la stratégie suisse pour assurer la sécurité du pays.


Keystone / Gian Ehrenzeller

Face au désengagement américain de la sécurité européenne, l’idée d’un partenariat de défense avec l’Union européenne fait son chemin au Parlement suisse. Un cap déjà franchi par la Norvège l’an dernier, qui relance le débat sur la neutralité helvétique.

Pour faire face à la nouvelle donne géostratégique, la Suisse pourrait amorcer un changement de cap dans sa politique de défense.

En mars, le Conseil national (Chambre basse) avait adopté une déclarationLien externe demandant au Conseil fédéral de prendre des «mesures concrètes pour renforcer la coopération sécuritaire avec l’Europe». Mi-mai, sa commission de politique de sécurité a concrétisé la demande, en déposant une motionLien externe portée par le député socialiste Fabian Molina.

Le texte, qui devra par la suite être soumis aux Chambres fédérales, demande au Conseil fédéral de négocier un accord avec l’Union européenne en matière de sécurité et de défense. Il précise que la Suisse doit renforcer sa coopération avec les États partenaires européens, ainsi que les institutions telles que l’Agence européenne de défense et la Coopération structurée permanente, tout en maintenant son statut d’État neutre.

«Une meilleure collaboration avec l’Union européenne est importante pour la sécurité de la Suisse, alors que le gouvernement américain se retire de l’architecture de sécurité commune européenne», estime Fabian Molina. Il affirme que cela permettrait notamment à la Suisse de participer à des achats d’armement communs avec l’UE, afin d’obtenir de meilleurs prix, mais aussi de garantir l’interopérabilité du matériel d’armement. «Avec cet accord, nous réduirions également notre dépendance vis-à-vis des États-Unis», ajoute-t-il.

Le député socialiste précise également que ce partenariat ne prévoit pas d’obligation d’assistance mutuelle, comme le prévoient les traités avec l’OTAN. «Il n’est pas non plus question de réaliser des exercices militaires ensemble», souligne-t-il.

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«Une adhésion rampante à l’UE»

L’idée fait toutefois bondir l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), farouchement opposée à tout rapprochement avec Bruxelles. Le député UDC Jean-Luc Addor est convaincu que l’auteur de la motion a un agenda caché. «Il s’agit d’une stratégie d’adhésion rampante à l’Union européenne, et cela est contraire aux intérêts de la Suisse», dénonce-t-il.

Jean-Luc Addor se dit favorable à des coopérations bilatérales avec les pays voisins dans le domaine de l’instruction militaire ou de l’acquisition de matériel. Il cite notamment le grand exercice réalisé fin avril en Autriche avec les Autrichiens et les Allemands. «La ligne rouge est cependant dépassée lorsqu’il s’agit de collaborer avec une organisation supranationale, comme l’UE ou l’OTAN», estime-t-il. Le député considère aussi qu’un tel traité viole le principe de neutralité de l’État helvétique.

Fabian Molina ne fait pas la même interprétation de ce principe. «Notre statut d’État neutre ne nous permet pas de participer à un conflit armé ou d’être membre d’une alliance militaire. En revanche, il ne nous empêche pas de collaborer avec nos voisins, en particulier dans le domaine civil», dit-il. Il assure ainsi qu’un partenariat de défense avec Bruxelles ne constitue ni une entorse à la neutralité helvétique ni un pas vers une adhésion à l’UE.

Le député socialiste se montre cependant moins ouvert à un rapprochement avec l’OTAN. L’an dernier, il avait déposé une motionLien externe qui voulait interdire les exercices de défense communs avec l’organisation. «Participer à un exercice militaire avec l’OTAN qui répond à l’article 5Lien externe du traité revient à exercer le devoir d’assistance de l’alliance», argue-t-il. Ironie du sort, Fabian Molina avait convaincu le Conseil national (Chambre basse) de l’accepter, en le défendant aux côtés de Jean-Luc Addor. La motion a toutefois fini par être balayée par le Conseil des États (Chambre haute).

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Pour la Norvège, «un moyen de dissuasion»

Bruxelles a déjà conclu un partenariat stratégique de défense du même type avec la Norvège l’année dernière. Dans une réponse écrite, le secrétaire d’État norvégien Andreas Flåm explique que l’accord ne modifie pas la relation globale de la Norvège avec l’UE. «Il comprend une liste assez longue de domaines d’activités qui pourraient faire l’objet d’une coopération plus poussée, notamment la participation de la Norvège aux exercices et opérations de l’UE, la sécurité maritime, les initiatives de l’industrie de la défense, les activités spatiales ou les menaces cybernétiques et hybrides», explique ce dernier.

Ce partenariat ne remet pas en cause l’adhésion de la Norvège à l’OTAN, qui demeure le pilier de sa sécurité nationale. «Il s’agit davantage d’un document programmatique que d’un cadre juridiquement contraignant», explique Bruno Oliveira Martins, chercheur à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO). Il rappelle que la Norvège était déjà l’un des pays non-membres de l’UE les plus étroitement liés à sa politique de sécurité et de défense. «L’objectif était d’approfondir cette relation, de créer davantage de structures de dialogue et d’échange d’informations», précise-t-il.

Ce rapprochement s’inscrit aussi dans un contexte de tensions accrues avec la Russie, avec laquelle la Norvège partage une frontière de 198 kilomètres dans l’Arctique. Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Moscou a intensifié ses activités militaires dans la région, réactivant une cinquantaine de bases de l’époque soviétique. «Ce partenariat avec l’UE constitue donc aussi un signal dissuasif: il montre que la Norvège est non seulement membre de l’OTAN, mais aussi pleinement intégrée à l’architecture sécuritaire européenne», estime Bruno Oliveira Martins.

Relu et vérifié par Balz Rigendinger

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