Suisse

La reconstruction de l’Ukraine s’étudie en Suisse

La Haute école spécialisée bernoise propose un cursus inédit de formation continue, qui vise à donner aux réfugié-es d’Ukraine les moyens de reconstruire leur pays.

Ce contenu a été publié le 15 mars 2023


minutes

Ukraine Recovery ConferenceLien externe, URC) s’est tenue en juillet 2022 à Lugano, avec la participation de 58 délégations internationales et de centaines de personnes représentant l’économie et le secteur privé.

Bien que la conférence ait suscité quelques critiques – certains lui reprochant de vouloir planifier la reconstruction alors que la guerre fait encore rage -, elle a marqué le début d’une discussion institutionnalisée à ce sujet: peu de temps après, des rencontres similaires ont été organisées à Berlin et à Paris et, cette année, une deuxième édition de l’URC aura lieu à LondresLien externe.

Soutien privé

La conférence de Lugano a aussi donné lieu à des initiatives de la société civile, notamment de la part du professeur de la Haute école spécialisée bernoise (BFH) Thomas Rohner. Peu après l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, il s’est demandé comment son établissement pouvait aider. «Pour moi, il a vite été évident que nous ne voulions pas nous borner à exprimer notre solidarité, mais que nous devions proposer un soutien concret», raconte-t-il. Il s’est alors mis au travail.

A Lugano, Thomas Rohner a mis en place un réseau pour réaliser son projet de concevoir un cursus destiné aux Ukrainien-nes réfugiées en Suisse, afin de les former à la reconstruction de leur pays. Lors de la conférence, il a rencontré des personnes issues de l’économie et des institutions publiques qui ont manifesté leur intérêt, et dont certaines sont devenues étudiantes par la suite.

Le professeur Thomas Rohner est l’initiateur du cursus. swissinfo.ch

Depuis, le CAS (Certificate of Advanced Studies) «Reconstruire l’UkraineLien externe» a vu le jour. «Il s’agit de donner aux personnes réfugiées les moyens de faire avancer la reconstruction de leur pays, explique Thomas Rohner. Les projets viennent d’elles, nous leur donnons les méthodes.» Le cursus est donc axé sur la pratique et s’adresse à des personnes ayant un parcours professionnel pertinent.

Les thèmes abordés concernent directement l’Ukraine. Il s’agit de projets concrets développés en classe, comme effectuer des analyses des dommages, planifier l’approvisionnement en eau et en électricité, ou encore participer à la reconstruction de bâtiments ou d’infrastructures détruits.

Des questions concrètes sont abordées: comment le béton détruit peut-il être recyclé et réutilisé? Quels drones sont adaptés à l’inspection de bâtiments détruits? Comment inventorier des sols contaminés? Le cours a débuté fin février et va durer quatre mois. Plusieurs hautes écoles et instituts de Suisse et d’Ukraine y participent, identifient des projets possibles et élaborent des solutions.

Un point crucial a dû être réglé en amont: le financement. La formation coûte 6500 francs, auxquels s’ajoutent les frais de voyage et autres. Les personnes réfugiées ne disposent guère de tels moyens. Thomas Rohner a donc fait en sorte que des entreprises, des fondations et des particuliers parrainent la formation et en paient les frais. Un système de garde d’enfants a en outre été organisé, car beaucoup d’élèves ont des enfants.

Un cours prototype?

«Il est très important pour moi de faire partie du processus et de faire quelque chose pour mon pays», confie la participante Yuliia Halushko. Arrivée en Suisse avec ses trois enfants après l’invasion, elle travaillait auparavant dans le domaine de l’énergie hydraulique, notamment. «Je trouve très précieux qu’on aborde aussi les questions de durabilité et de corruption». Elle se dit optimiste quant à la possibilité de mettre en pratique les connaissances acquises à son retour en Ukraine.

Yuliia Halushko, originaire de Kiev, est l’une des 30 personnes participant au cours. swissinfo.ch

27 des 30 personnes qui prennent part au cours sont des femmes. Beaucoup ont de l’expérience dans le secteur de la construction ou de l’énergie, et d’autres sont en reconversion. Face au grand intérêt suscité, la BFH souhaite proposer à nouveau le cours en automne.

Pour Thomas Rohner, cette formation continue pourrait éventuellement servir de prototype pour d’autres pays ravagés par la guerre. «D’autres catégories de personnes réfugiées pourraient aussi en profiter – on pense par exemple aux réfugié-es climatiques, que nous verrons peut-être plus souvent à l’avenir», avance le professeur.

En l’état actuel des choses, cela devrait être difficile. Si les réfugié-es d’Ukraine peuvent rapidement travailler et étudier en Suisse grâce au statut de protection S, les autres personnes requérant l’asile ne peuvent en général faire de même qu’après la conclusion positive de leur procédure, ce qui peut prendre beaucoup de temps.

Dans le cas de l’Ukraine, les défis restent énormes. Il semble clair que les Etats-Unis et les pays européens assureront la majeure partie du financement, mais les modalités restent incertaines. Les personnes participant au cours auront peut-être bientôt quelques idées sur la question.

Traduction de l’allemand: Pauline Turuban