Suisse

La mise en vente du foyer des Suisses de l’étranger marque la fin d’une histoire étonnante 

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Isidor Keller a grandi juste à côté du foyer des Suisses de l’étranger et y a passé beaucoup de temps.


Thomas Kern/swissinfo.ch

Pour des milliers de Suisses de l’étranger, leur patrie est devenue tangible grâce au foyer qui leur était réservé à Dürrenäsch, en Argovie. Pendant des décennies, les Helvètes du monde y ont trouvé un lieu qui les reliait à leurs racines. Celui-ci va désormais être vendu.

La commune de Dürrenäsch, dans le canton d’Argovie, n’a sans doute jamais fait l’objet d’une réclame de la part de Suisse Tourisme. Ce village fut pourtant pendant plus d’une vingtaine d’années une destination de vacances très prisée de la diaspora Suisse. L’industriel Herbert Bertschy-Ringier y créa en 1956 une colonie de vacances particulière: le foyer des Suisses de l’étranger, qui attira des citoyennes et citoyens suisses du monde entier.

Les hôtes se rendaient le plus souvent en car ou en voiture sur cette colline qui surplombe le lac de Hallwil et le Wynental. Si la plupart de ces touristes venaient des pays limitrophes de la Suisse, d’autres avaient avalé des kilomètres pour s’y rendre. Depuis Singapour, la Colombie, l’Australie, etc.  

Le «foyer» comme deuxième maison

Isidor Keller, un enfant du pays, se souvient très bien de leurs allées et venues. Sa maison familiale, où il est né en 1957 et où il réside encore, n’est située qu’à quelques mètres du «Home» comme on l’appelle ici.

Sa mère y était employée. Elle y cuisinait et faisait la lessive pour ces Helvètes venu-es respirer ici l’air du pays. Le foyer est devenu la seconde maison d’Isidor Keller. «Il n’y avait rien de mieux», dit-t-il.

Dans ses souvenirs, il se revoit jouant avec d’autres enfants. Il y avait là-bas un baby-foot et de la bonne nourriture. Puis le bambin est devenu un historien passionné par ce récit local et dont le cœur chavire encore à l’évocation de ses souvenirs.

Herbert Bertschy-Ringier et son épouse Rita (1970)


Herbert Bertschy-Ringier et son épouse Rita (1970)


zVg/Isidor Keller

Né en 1901, le fondateur du foyer, Herbert Bertschy-Ringier, avait lui aussi passé son enfance à Dürrenäsch. Sans devenir lui-même un véritable Suisse de l’étranger, ce futur patron d’industrie était parti dès l’âge de vingt ans parcourir le vaste monde pour le compte de son père. Spécialisée dans la fabrication de soie, l’entreprise familiale possédait plusieurs filiales à l’étranger, qui allaient de l’Angleterre à la Nouvelle-Zélande.

A chaque fois qu’il se rendait dans l’une d’entre elles, Herbert Bertschy-Ringier racontait qu’il y retrouvait quelque chose d’ici. «Il a noué de nombreux contacts avec des compatriotes dans le monde entier», précise une chronique parue à son sujet. Il était «enthousiasmé par l’accueil qui lui était réservé dans les colonies et impressionné par le lien fort de ces Helvètes avec la mère patrie, en dépit de la distance.» 

Accessible à toutes et tous

Herbert Bertschy épousa Rita Ringier von Zofingen, de la dynastie des éditeurs suisses du même nom. Le couple décida d’établir un lieu pour la diaspora suisse à Dürrenäsch.

Le «Home» incluait une série de bâtiments, dont le principal était situé dans une ancienne usine et comprenait une salle à manger, et deux villas avec plusieurs appartements.

A cela s’ajoutaient une serre, une buanderie, une ferme et une boulangerie pour alimenter les résidentes et résidents. Pour les nuitées, plusieurs options étaient offertes aux hôtes. Celles-ci allaient du dortoir à plusieurs lits à la chambre individuelle.

Le couple avait voulu une colonie ouverte et accessible à l’ensemble de ces Suissesses et Suisses de l’étranger, peu importe leurs moyens. Isidor Keller possède dans son bureau la liste des prix pratiqués jadis.

Mais le foyer n’était pas un hôtel, et on attendait des hôtes qu’ils et elles mettent la main à la pâte. À celles et ceux qui ne le souhaitaient ou ne le pouvaient pas, la nuitée coûtait dix francs la première année. Cinq pour les suivantes.

Le chapitre de fin

Isidor Keller a hérité de tant de de photos, films et souvenirs qu’il n’a pas encore tout pu dépoussiérer ni exploiter.

Bien de que la colonie ait fermé ses portes en 1979 déjà, les panneaux verts indiquant «Foyer des Suisses de l’étranger» sont toujours suspendus à plusieurs maisons. Mais les descendantes et descendants d’Herbert et Rita Bertschy-Ringier veulent aujourd’hui se séparer des bâtisses. Si la vente se concrétise, c’est un bout d’histoire de la 5e Suisse qui partira avec.  

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Un bureau transformé en archive

Au fil du temps, le bureau d’Isidor Keller s’est transformé en lieu d’archivage où des centaines de clichés ont déjà pu être numérisés. Il donne aujourd’hui des conférences à Dürrenäsch et dans la région. Dans son antre trônent un projecteur de film et une caisse remplie de bobines 16 mm, témoins des soirées télévisuelles qui faisaient partie intégrante du programme de divertissement.

Mais c’est surtout à l’extérieur que les Suisses de l’étranger s’épanouissaient le plus clair de leur temps, s’adonnant à la chaise-longue, au tennis ou à la pétanque. Peu porté sur le tennis, Isidor Keller avait appris la pétanque au contact de Suisses d’Italie ou de France, au point de devenir un excellent joueur, d’après ses dires.

Grâce au foyer, il y a eu très tôt des photos aériennes de Dürrenäsch.


Grâce au foyer, il y a eu très tôt des photos aériennes de Dürrenäsch.


Thomas Kern/swissinfo.ch

Le terrain de pétanque est désormais recouvert de végétation. Posées à même le sol, des lattes en bois témoignent de ces après-midis où l’on négociait chaque millimètre.

La clôture grillagée qui ceinturait le court de tennis n’a pas bougé d’un pouce. Mais elle est rouillée et surtout inutile, le terrain évoquant plus une prairie. De nouvelles et nouveaux locataires occupent la plupart des bâtiments.

Près de l’ancien lavoir, on distingue encore les traces d’une serre. Dans un coin gît une essoreuse en métal ronde et hors d’usage.   

Herbert Bertschy-Ringier se rendait généralement à Dürrenäsch avec sa limousine Chrysler noire, conduite par un chauffeur. Une vieille photo le montre qui patiente adossé à la voiture. Sur sa casquette figure en toutes lettres dorées: «Foyer des Suisses de l’étranger». Un couvre-chef qu’Isidor Keller conserve en parfait état dans une boîte en carton dans son bureau.  

Le foyer a accueilli de nombreux Suisses de France et d'Italie. Le terrain de pétanque était un endroit très apprécié.


Le foyer a accueilli de nombreux Suisses de France et d’Italie. Le terrain de pétanque était un endroit très apprécié.


zVg/Isidor Keller

Un village dans le village

En 1960, 899 personnes vivaient dans la commune de Dürrenäsch. Pendant la saison haute, autour du 1er août en particulier, jusqu’à 300 Suisses de l’étranger y séjournaient alors, se souvient Isidor Keller.

Les autochtones étaient aussi mis à contribution pour rappeler leurs racines à ces personnes expatriées. Des élèves de l’école, dont Isidor Keller, leur lisaient des récits et des poèmes liés à la patrie. Mais ces prestations ne l’enchantaient guère. Il préfère penser aux fêtes qui étaient organisées au foyer.

Les hôtes n’étaient plus au rendez-vous

Pour rentabiliser cette colonie de vacances ouverte toute l’année, le foyer était aussi loué à des associations. De jeunes personnels enseignants du monde entier y séjournaient également, ainsi que des étudiantes et étudiants de Grande-Bretagne et du Commonwealth. Grand admirateur du Royaume-Uni, Herbert Bertschy-Ringier avait fondé à Dürrenäsch le «Swiss British Centre», voué aux échanges culturels.

Cependant, vers la fin des années 1970, les Suissesses et Suisses de l’étranger commencèrent à déserter ce lieu. Son taux d’occupation avait baissé, car il devenait plus facile de voyager à des prix abordables.

Selon des écrits sur place, la 5e Suisse se serait tournée vers des destinations autres que la campagne. A coup de publicités, les fondateurs tentèrent d’attirer sur place des familles, et même l’armée. Sans succès.

Herbert Bertschy-Ringier est mort en 1979. Quelques mois après son décès, la mère d’Isidor Keller avait reçu une lettre lui indiquant que la prochaine saison serait la dernière.

Le comité chargé de sa gestion précisait aussi qu’il s’agissait-là d’une institution privée ne recevant aucune aide publique. Rita, l’épouse d’Herbert Bertschy-Ringier, succomba la même année.

Avec cette fermeture, Dürrenäsch est redevenue une commune banale. Les habitantes et habitants qui avaient participé à cette aventure s’y sont faits. Les amitiés que la mère de Keller avait nouées au fil des ans avec ses hôtes sont devenues des relations épistolaires. La dernière excursion du 1er août du foyer eu lieu aux chutes du Rhin.

Relu et vérifié par Balz Rigendinger. Traduit de l’allemand par Alain Meyer/rem

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