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La guerre en Ukraine sème la zizanie au sein de l’Église orthodoxe

Un tandem disparate aux objectifs similaires: La croix de la couronne du Patriarche Kyrill Ier jette une ombre sur le front de Vladimir Poutine. AP/Keystone

La guerre que mène la Russie en Ukraine suscite de fortes dissensions parmi les communautés chrétiennes orthodoxes. Le point de vue du théologien Stefan Kube.

Ce contenu a été publié le 26 janvier 2023 – 09:18


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Des disputes parsèment aussi l’histoire de l’Église ukrainienne. Pourriez-vous nous resituer ces conflits internes?

Le paysage religieux de l’Ukraine est complexe. Depuis l’indépendance en 1990, plusieurs courants orthodoxes cohabitent. Dont un courant fort qui avait plaidé pour l’indépendance du pays ainsi que pour l’autonomie vis-à-vis du patriarcat russe. Du temps de l’URSS, les fidèles orthodoxes faisaient automatiquement partie de l’Église de Russie. Après la Deuxième Guerre mondiale, des personnes y ont été intégrées de force, notamment les fidèles gréco-catholiques de l’ouest du pays.

Au fil du temps, trois églises orthodoxes ont vu le jour, la plus importante entretenant des liens étroits avec le patriarcat à Moscou mais jouissant d’une autonomie à l’intérieur. S’estimant opprimées par l’Église de Russie non seulement religieusement mais aussi politiquement, les deux autres courants aspiraient à une indépendance totale, jusqu’à fomenter le projet d’une seule Église propre à l’Ukraine. Les deux entités ont fusionné en 2018 pour former l’Église orthodoxe d’Ukraine. Quant à l’Église orthodoxe ukrainienne, qui a appartenu au Patriarcat de Moscou, elle s’est séparée de ce dernier en mai 2022, puisque le Patriarche Kirill n’a pas condamné l’agression russe en Ukraine.

Quelle influence la guerre a-t-elle sur ces courants religieux en Ukraine?

Beaucoup de personnes se sont depuis reconverties à la nouvelle église. Elle est certes encore petite en termes d’infrastructures et en nombre de prêtres, mais en Ukraine, une partie de la société et de la classe politique considère désormais l’Église orthodoxe ukrainienne avec beaucoup de suspicion. Étant donné qu’elle a été inféodée à Moscou –  même si elle s’est positionnée contre l’attaque, s’en détacher répond à une forme de loyauté nationale.

En Union soviétique, les relations entre l’Église et l’État étaient rompues. Il y a eu ensuite un rapprochement progressif, surtout au cours de la dernière décennie – il s’est encore intensifié depuis l’invasion de l’Ukraine. Sur la photo: un ecclésiastique bénit un soldat russe, 2007. KEYSTONE/SPUTNIK/Yuriy Zaritovskiy

Confrontée à des luttes intestines, l’orthodoxie mondiale joue également son destin ces jours en Ukraine. Quelles en seront les conséquences géopolitiques?

Nous avons, d’une part, le Patriarcat de Moscou recensant le plus de croyant-es dans le monde orthodoxe, et d’autre part, le Patriarcat œcuménique de Constantinople, qui a joué un rôle décisif dans la création de la nouvelle Église en Ukraine. Historiquement parlant, ce dernier garde la primauté.

La classe politique et les fidèles d’Ukraine ont longtemps demandé au primat œcuménique Bartholomée Ier d’intervenir dans le conflit religieux dans leur pays. Par exemple en accordant aux orthodoxes l’indépendance ecclésiastique et la possibilité d’élire leur chef spirituel. Après valse-hésitation, Bartholomée a finalement accordé en 2018 cette autonome à l’Église orthodoxe d’Ukraine, entraînant de fait une rupture avec Moscou.

À la suite à cette décision, le Patriarcat russe a rompu tout contact avec les églises orthodoxes reconnaissant cette indépendance ukrainienne, quand bien même toutes n’étaient pas concernées. Mais rappelons que les relations entre Moscou et Constantinople ne sont plus au beau fixe depuis longtemps. Car l’Église russe se montre conservatrice tandis que Constantinople est progressiste. D’où ces blocages. Au point que les deux pans de l’orthodoxie ne se parlent plus. Des médiations ont eu lieu mais sans résultat.

Le terme de schisme est même évoqué. Qu’en pensez-vous?  

Concrètement, il s’agit en effet d’un schisme. Du moins d’une rupture importante que les critères théologiques soient remplis ou non. J’ai peine à croire que Bartholomée et Kirill puissent se réunir à nouveau un jour alors que la gouvernance de l’Église orthodoxe est aujourd’hui en jeu. Les rancœurs personnelles sont nombreuses. Des contacts continuent pourtant d’être entretenus entre théologiens et fidèles des deux courants, avec des voix critiques sur leur gouvernance. La cuisine interne propre à la politique ecclésiastique.

Traduit de l’allemand par Alain Meyer

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