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Kétamine: la «petite sœur (moins problématique)» du LSD?

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Pour le 80e anniversaire de la découverte du LSD, un symposium s’est tenu en région bâloise, réunissant des psychiatres et des prêtres zen. La psychiatre romande Catherine Duffour s’est notamment exprimée sur la kétamine thérapeutique. Elle nous livre ici son point de vue concernant une drogue qui peut parfois faire office de médicament.

Ce contenu a été publié le 07 mai 2023




plus répandueLien externe aux États-Unis.

En thérapie, cette substance soutient le travail sur l’ego, sur la peur de la mort, sur les symptômes de dépression ou de stress post-traumatique. Elle a donc des effets similaires à ceux du LSD et d’autres substances psychédéliques. Toutes ces substances peuvent donner le sentiment d’être connecté au monde et aux autres, l’impression qu’il y a quelque chose de plus grand que soi, sa biographie et ses traumatismes.

La thérapie avec ces substances psychédéliques est-elle donc toujours similaire?

Certains thérapeutes préfèrent le LSD parce qu’ils pensent qu’il est plus efficace pour certains problèmes. À mon avis, on ne peut pas dire qu’une thérapie sera plus efficace avec telle ou telle substance. Je pense qu’il faut aussi demander aux patientes et patients quelles sont leurs préférences.

Vous n’établissez donc pas de hiérarchie entre les molécules. Pourtant, le titre de votre exposé était: «La kétamine est-elle la petite sœur (moins problématique) du LSD?» Qu’est-ce qui, selon vous, la rend moins problématique?

C’est un jeu de mots avec l’expression de l’inventeur du LSD, Albert Hofmann, «LSD mein Sorgenkind» (Le LSD, mon enfant à problèmes). L’utilisation du LSD peut être difficile, entraînant parfois des expériences négatives. La kétamine est moins inquiétante: moins d’hallucinations, effets plus courts, et avec les petites doses que nous administrons, on reste soi-même, on sent la table devant soi. Avec le LSD, c’est plus délicat.

Se pourrait-il que la kétamine soit moins problématique en thérapie, mais plus dangereuse dans le cadre d’un usage récréatif ou festif en tant que drogue illégale?

J’entends souvent parler de personnes qui consomment de la kétamine lors de soirées pour se dissocier, comme ils le feraient avec deux ou trois verres de vin. Le LSD est plus difficile à obtenir, les effets durent assez longtemps et causent parfois de mauvais trips.

Cela dit, la kétamine peut agir tout aussi profondément que le LSD quand il s’agit de travailler sur un traumatisme.

Cela nous ramène à l’utilisation thérapeutique: comment préparez-vous vos patientes et patients?

La kétamine peut être un traitement alternatif en cas de dépression ou de syndrome de stress post-traumatique. Pour les personnes souffrant de dépression, nous devons avoir essayé au moins deux médicaments antidépresseurs qui n’ont eu qu’un effet partiel ou aucun effet. Je dois également expliquer aux patientes et patients les effets secondaires.

Nous travaillons ensuite sur l’objectif: les séances doivent-elles soulager les douleurs physiques? S’agit-il de prendre du recul par rapport à une expérience traumatisante? De comprendre l’impact d’un traumatisme sur sa vie? L’objectif doit être clair et bref – une phrase. Une personne souffrant d’un trouble alimentaire pourrait, par exemple, dire: «Je veux décider de ce qui entre dans mon corps.» Très souvent, les patientes et patients souhaitent travailler sur quelque chose lié à leur passé.

Après quelques séances, la personne peut aborder le présent – et si elle en est capable, commencer à penser à l’avenir. L’avenir est quelque chose d’abstrait quand on est gravement déprimé, quelque chose dont on ne peut pas parler. Mais avec cette thérapie, je constate des évolutions positives.

Vous utilisez également des stimulations sensorielles pendant les séances…

Au début, je choisis une musique qui peut aider à se détendre, comme la musique classique. Si on ne connaît pas la sphère psychédélique, ce genre permet d’aborder les choses en douceur. Après 30 minutes, je change pour un son un peu plus psychédélique, par exemple de Carbon Based Lifeforms. Cette musique est toujours juste, parlante.

J’utilise aussi de plus en plus la stimulation olfactive: des essences d’odeurs naturelles.

Dans votre exposé, vous avez également évoqué des réactions négatives. Un patient avait, par exemple, l’impression que vous vouliez le manipuler avec de la musique…

Ce patient avait de grandes difficultés à faire confiance. Une attitude parfaitement compréhensible compte tenu de son histoire. Il peinait donc à se connecter aux autres, à se détendre. Avec ce type de personne, il est nécessaire de travailler longtemps pour établir une alliance thérapeutique forte avant l’utilisation de kétamine. Il faut aussi commencer par d’autres méthodes de modification des états de conscience, comme la méditation ou l’hypnose. Ensuite seulement, nous pouvons envisager une très petite dose de kétamine.

Avec certains de mes patients et patientes, nous avons attendu 8 ans avec de tenter la kétamine.

Vous avez également relevé les similitudes qui existent entre l’effet de la kétamine et une expérience de mort imminente. Est-ce une bonne chose?

Oui, les patientes et patients sont préparés à cela. On leur dit qu’ils et elles auront l’impression de ne plus être dans leur corps. La sensation de se désincarner peut être agréable, par exemple lorsqu’on souffre de douleurs chroniques. Mais la ou le thérapeute doit être présente, présent pendant cette expérience.

Un patient atteint d’un cancer m’a dit après coup qu’il n’avait plus peur de mourir. Il a utilisé une belle métaphore: on redevient des gouttes d’eau et on se répand comme telles dans l’univers.

Quelle est la différence entre la kétamine et une expérience de mort imminente?

Les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente parlent d’un point, d’une zone à ne pas franchir sous peine de ne plus pouvoir revenir dans son corps. Ce n’est pas le cas avec la kétamine. Et il n’est pas non plus question d’une rencontre avec un être surnaturel doté d’une présence rassurante.

Dans un podcast Lien externede la radio publique RTS, vous avez parlé de votre intérêt pour le «monde invisible», par exemple le chamanisme. Les substances psychédéliques sont de la chimie pure. Mais sont-elles, pour vous, liées à la manière dont vous voyez le monde invisible?

Comme on a pu l’entendre lors de cette conférence sur le LSD, on peut travailler avec des chamanes et se mettre dans un état de conscience modifié grâce au tambour, puis méditer et être connecté au monde invisible.

Je pense que c’est similaire à la prise de substances psychédéliques. C’est une expérience spirituelle, une connexion avec le monde invisible, difficile à décrire si on ne l’a pas vécu soi-même.

Certaines et certains thérapeutes estiment qu’elles et ils n’ont pas besoin d’expérimenter ce type de voyage, qu’elles et ils doivent simplement administrer les substances et observer.

Vous êtes critique à ce sujet?

Je pense que l’expérience est si particulière et puissante qu’il faut savoir de quoi on parle. Selon moi, il est important que les thérapeutes aient également une expérience pratique.

Mais c’est une situation délicate. Il n’est pas interdit de parler de sa propre expérience, mais on ne peut pas vraiment encourager une ou un thérapeute à faire quelque chose d’illégal. Donc tant mieux si la ou le thérapeute a essayé ces produits durant sa jeunesse, à l’étranger, dans un endroit qui l’autorise.

En Suisse – comme dans de nombreux endroits – la kétamine est considérée comme un médicament. Est-ce donc la substance psychédélique la plus facile à utiliser en thérapie?

Oui. Pour la psilocybine, la MDMA et le LSD, vous devez écrire une lettre spéciale à l’Office fédéral de la santé publique, dans laquelle vous expliquez la situation de la patiente ou du patient, la thérapie que vous avez essayée, les résultats obtenus et la substance que vous voulez lui administrer.

Une fois l’autorisation obtenue, vous devrez faire appel à une pharmacie spécialisée et la patiente ou le patient doit supporter les frais. La dose de MDMA pour une séance coûte entre 200 et 250 francs, une somme importante pour certaines personnes. La kétamine est moins chère et est considérée comme un médicament. Je suis vraiment enthousiasmée par ce type de thérapie. Pour beaucoup de patientes et patients qui souffrent, nous devrions pouvoir leur proposer ces substances plus facilement. Avec la MDMA, la psilocybine et le LSD, c’est très limité.

Parallèlement, nous devons développer la formation des thérapeutes qui s’y intéressent. La thérapie peut aussi être épuisante pour les thérapeutes: que faire lorsqu’un patient ou une patiente crie, se met en colère, raconte des images horribles? Il faut y être préparé et savoir ce qu’est un traumatisme.

Vous êtes plutôt favorable à la kétamine. Mais elle présente quand même des risques, même au niveau médical, comme la dépendance…

Oui, ce risque n’est pas exclu, et nous devons en informer la patiente ou le patient, en précisant que la dépendance fonctionne souvent comme un pansement qui cache un traumatisme. Si on guérit le traumatisme, on peut travailler sur la dépendance. Jusqu’à présent, aucun de mes patients et patientes n’a développé de dépendance. Le risque est donc assez faible.

Le plus important n’est pas la substance, mais la confiance dans la ou le thérapeute. Si l’alliance thérapeutique est bonne, vous pouvez essayer la psilocybine, le LSD ou la kétamine.

Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Lucie Donzé

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