Suisse

Girenbad, camp de «triage» et concentré de culture européenne

Photo de groupe des les internés du camp de Girenbad. Archives familiales d’Annette Wieviorka

Dans son dernier livre, l’historienne française Annette Wieviorka évoque le camp suisse où furent internés des Juifs étrangers en 1942-1943. Et où l’écrivain Manès Sperber donnait d’étonnantes conférences, dans le réfectoire.

Ce contenu a été publié le 27 janvier 2023 – 12:30


« Ein Lied geht um die Welt »Lien externe, Schmidt commence à se faire une place dans le monde lyrique allemand lorsque Hitler arrive au pouvoir. Interdit d’Allemagne parce que juif, Josef Schmidt parcourt l’Europe avant de fuir en Suisse.

Il a 38 ans. En novembre, se plaignant de douleurs, le ténor est hospitalisé à Zurich. «Simulation», décrètent les médecins, qui le renvoient au camp. Il décède deux jours plus tard d’une crise cardiaque. «La mort soudaine de Josef Schmidt cause un séisme parmi les internés», note Annette Wieviorka.

Les conférences de Manès Sperber ne s’arrêtent pas pour autant. Difficile d’imaginer ces cours si improbables, donnés dans le réfectoire du camp. Dehors, le décor vallonné et champêtre de l’Oberland zurichois. Dans la salle, les uns jouent, les autres essaient de se concentrer sur le «cours». «A cause du bruit assourdissant, nous nous réunissions à l’une des extrémités de la salle, écrit Sperber. Les joueurs se plaignirent, disant que nous les obligions à se serrer davantage et que nos conférences les dérangeaient.»

De quoi est-il question? «Mon père ne m’en a pas parlé avec précision, mais on peut imaginer l’aura de Sperber, doté d’une culture immense, qui fut à la fois communiste, intéressé par la psychanalyse, ami d’André Malraux et d’Arthur Koestler, auprès de jeunes hommes n’ayant pas fait d’études», pointe Annette Wieviorka.

Avec les félicitations du commandant

Toute cette incroyable aventure s’achève quand les internés du camp sont dispersés en mars 1943. Aby et Méni sont transférés vers le camp de travail d’Arisdorf, dans le canton de Bâle-Campagne. Dix-sept mois d’internement, passés à reboucher des tranchées, qui leur laisseront bien moins de souvenirs que les quelque six mois à Girenbad.

Manès Sperber peut enfin retrouver sa femme et son fils à Zurich, accueillis par le pasteur Adolf Maurer, qui deviendra son ami. À son départ de Girenbad, le commandant du camp remercie chaleureusement Sperber: «Votre engagement permanent, votre activité inlassable, votre comportement correct et votre esprit de camaraderie ont considérablement contribué à soulager mon difficile travail. Vos efforts pour éveiller la vie culturelle dans le camp de réfugiés de Girenbad ont porté leurs fruits.»

«Mon père disait que la seule chose que l’on peut reprocher à la Suisse, c’est de ne pas avoir ouvert davantage ses frontières, confie Annette Wieviorka. Et il savait ce qu’il disait…» Les parents d’Aby, qui n’ont pas tenté le voyage en Suisse, sont morts à Auschwitz. 

À lire

  • Tombeaux, autobiographie de ma famille, par Annette Wieviorka. Éditions du Seuil.
  • Au-delà de l’oubli, par Manès Sperber. Editions Calmann-Lévy.
  • Manès Sperber, l’espoir tragique, par Olivier Mannoni. Editions Albin Michel.

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