Félix Vallotton, témoin engagé des remous de la politique française
Réalisée au début des années 1890, «La Charge» est une illustration des tendances anarchistes de Félix Vallotton.
PD-Art photographs / Wikicommons
C’est une facette méconnue de l’artiste suisse Félix Vallotton, célèbre dans le monde entier pour ses tableaux: un homme révolté contre les institutions «bourgeoises», qui a flirté avec les milieux anarchistes parisiens. Plongée dans les archives à l’occasion des 100 ans de sa disparition.
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01 juillet 2025 – 09:05
Vallotton défend Dreyfus
Vallotton ne partage pas la vie de bohème de certains de ses contemporains. Son emploi du temps est réglé comme une horloge suisse. «Je travaille toute la journée, et quelquefois le soir. Je sors peu, vais à la bibliothèque et vois peu de monde, cela me convient assez», écrit-il en février 1895 à son frère Paul, qui s’occupe de vendre ses œuvres. Il vit avec Hélène Chatenay, une couturière qui sera aussi son modèle.
À peu près à la même époque, le critique d’art Thadée Natanson, l’un des responsables de la fameuse Revue blanche, dresse ce portrait de l’artiste vaudois: «Vallotton (…) nous était arrivé très jeune et très mince, blond, le visage ovale et à peine asymétrique, très peu moustachu mais avec un rien de barbiche. Il marchait de côté, attentif à ses pas. Si son vêtement montrait un peu de corde, ce devait être aussi de n’avoir été que trop soigneusement brossé. Il avait l’air constamment sur ses gardes.»
La Revue blanche est progressiste mais pas révolutionnaire. Elle va publier de nombreuses illustrations de Vallotton, notamment pendant l’Affaire Dreyfus, où elle défend fermement le capitaine injustement accusé – parce qu’il est juif – de trahison.
Le «Nabi étranger» se fait naturaliser
La Revue blanche est lue du tout-Paris. Vallotton commence à se faire connaître bien au-delà des seuls lecteurs anarchistes. Mais le Vaudois reste le «Nabi étranger», du nom du courant artistique qu’il rejoint avec ses amis Pierre Bonnard et Edouard Vuillard. Et à cette époque, les étrangers soupçonnés d’activités politiques peuvent être facilement reconduits aux frontières. «Je vais donc demander ma naturalisation, écrit-il à son frère en février 1898 (…) car tel que je suis, je me sens trop à la merci de tout, et sans secours possible. Cela me paralyse aussi pour mes dessins et le titre d’étranger commence à devenir une gêne.»
«C’est la guerre!», 1915-1916, collection privée.
© Fine Art Images / Heritage Images
Tout change pour Vallotton dans ces années 1899-1900. Il devient français, déménage de sa Rive gauche un peu crasseuse vers des immeubles plus chics derrière l’opéra. Et surtout, il quitte sa couturière pour une fille de marchand d’art. On sent un peu de gêne quand il l’annonce à son frère Paul et sa belle-sœur Dithée. «Soyez donc tous deux, pour moi et ma future femme, aussi sympathiques que vous l’étiez pour moi seul (…) Quant à ma fiancée, voilà; elle est veuve comme je te l’ai dit, son nom est Rodrigues elle est fille de Mr Bernheim un grand marchand de tableaux (…) Si nous nous marions en mai, nous filerons tout de suite pour la Suisse y passer une huitaine à faire connaissance. Ce me sera un grand plaisir de vous la présenter, et j’espère qu’elle n’aura pas de peine à gagner votre amitié.»
Contre la guerre
«Il me semble qu’il y a eu une révolution», lui écrit son cher ami Edouard Vuillard. Vallotton s’embourgeoise, privilégie la peinture. Le Vaudois met-il de l’eau dans son vin anarchiste? «Non, il reste hanté par les thèmes de l’injustice et l’oppression policière, comme en témoigne la série ‘Crimes et châtiments’, publiée par la revue libertaire ‘L’Assiette au beurre’ en 1903», remarque Katia Poletti. Mais, étant naturalisé français, il peut le faire plus librement. Et l’époque a changé: prônant la violence dans les années 1890, l’anarchisme est devenu plus pacifiste et antimilitariste», ajoute la conservatrice.
Quand survient la guerre de 14-18, Vallotton, jeune quinquagénaire, se remet à la gravure sur bois pour dénoncer la violence du conflit, dans sa série «C’est la guerre!» «L’artiste n’a rien perdu de sa verve, il reprend brillamment ce moyen d’expression qui lui avait si bien réussi au début de sa carrière», note Katia Poletti. En 1917, il part au front dans le cadre d’une «mission artistique aux armées», fait quelques esquisses. Mais de retour dans son atelier, il préfère se fier à ses souvenirs pour peindre «Verdun» et «Le cimetière militaire de Châlons», œuvres très graphiques qui dévoilent la guerre nouvelle, dominée par la technique.
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Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg