Énergies renouvelables dans les Alpes: la protection climatique en phase avec la nature?
Le développement des énergies renouvelables dans les Alpes est primordial pour la transition énergétique et l’approvisionnement en électricité de la Suisse en hiver. De récentes recherches dévoilent comment y parvenir sans mettre en péril la biodiversité.
Afin d’atteindre ses objectifs climatiques, la Suisse fait le forcing pour ériger de grandes centrales éoliennes et solaires. D’ici 2035, les énergies renouvelables, hors l’hydraulique, devront produire six fois plus d’électricité qu’aujourd’hui. C’est ce que prévoit la nouvelle Loi sur l’approvisionnement énergétique approuvée en votation populaire l’été dernier.
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«Avec le cadre légal actuel, cette expansion risque de se réaliser au détriment de la biodiversité», prévient Sascha Nick, chercheur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Sous sa direction, des recherches menées avec 45 autres scientifiques spécialistes dans les énergies renouvelables, le climat et la biodiversité relaient cette inquiétude. Publié il y a peu, leur rapport (RE-BD AR2024 – Executive Summary. Accelerating renewable energy development while enhancing biodiversity protection in SwitzerlandLien externe) a établi plusieurs recommandations urgentes à l’attention de la sphère politique en Suisse.
«La bonne nouvelle, c’est qu’en planifiant minutieusement nous pouvons développer considérablement les énergies renouvelables sans mettre en danger la biodiversité», explique-t-il à swissinfo.ch. Mais les conclusions du rapport sont on ne peut plus claires: une expansion doit être accompagnée d’une approche intégrative conciliant besoins énergétiques et biodiversité.
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Du solaire dans les stations de ski
Le territoire suisse a beau tenir dans un mouchoir de poche, les variétés d’espèces animales et végétales qui s’y déploient sont riches. Autant dans les Alpes que dans les forêts ou les plaines marécageuses. Mais elles ne sont souvent pas assez protégées. Menacées autant par les routes, l’agriculture intensive, l’urbanité rampante, brossent ces scientifiques dans le rapport.
Il est évident que pour combler le déficit d’énergies en Suisse en hiver, le développement de l’éolien et du solaire, en particulier dans les Alpes, est une nécessité, selon l’équipe de recherches menée par Sascha Nick. Mais cette zone abrite aussi nombre d’habitats sensibles d’un point de vue écologique. Voilà pourquoi des projets se heurtent à des oppositions et à une forme de résistance des autochtones et organisation de défense de l’environnement.
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Les auteur-es du rapport en appellent à une stratégie nationale accordant la priorité à des initiatives ayant peu d’impact ou un impact positif sur la nature et la biodiversité. Depuis l’EPFL à Lausanne, ces chercheur-ses ont souligné l’importance qu’il faut accorder également ici au processus démocratique.
Si d’un côté les procédures d’approbation sont accélérées et rationalisées, de l’autre les populations concernées doivent continuer de pouvoir avoir leur mot à dire. Leur avis ne peut être réduit au silence au nom de l’urgence. Selon l’équipe pilotée par Sascha Nick, des projets ne peuvent être acceptés qu’en prenant le pouls de la population et en l’impliquant dans les planifications.
Une des recommandations de ce rapport, publié en octobre, demande par exemple de réévaluer la taille des projets d’importance nationale, afin de permettre à d’autres, plus petits, de bénéficier d’un financement fédéral. Une multitude d’installations plus réduites pourrait faire l’affaire à la place de grands parcs solaires. Des installations en des lieux si possible déjà reliés au réseau électrique et où aucune nouvelle route ne devrait être construite. À proximité par exemple de remontées mécaniques hors d’usage dans des stations qui souffrent du changement climatique n’étant plus adaptées au ski.
«Les politicien-nes déclarent souvent qu’il faut choisir entre la biodiversité et la protection du climat. À notre avis, la question devrait être en définitive la suivante: plus d’énergies renouvelables ou plus de ski?», lance Sascha Nick.
Oiseaux et chauves-souris
Le choix des sites reste l’élément clef dans l’expansion du parc éolien suisse. Co-auteur du rapport et professeur de biologie de la conservation à l’Université de Berne, Raphaël Arlettaz a longtemps étudié les risques liés à la présence d’éoliennes pour les oiseaux et les chauves-souris. À ce propos, son équipe a développé des modèles cartographiques capables d’identifier précisément les zones à risque, par exemple pour le gypaète barbu ou l’aigle royal.
Pour ce faire, il s’est basé sur leurs trajectoires de vol les plus fréquentes dans les Alpes. D’après ses conclusions, les pentes raides orientées vers le sud et offrant des courants d’air ascendants, et les zones hébergeant d’importantes populations de bouquetins, sont critiques. Les corridors empruntés par les oiseaux migrateurs et les zones de reproduction d’espèces menacées doivent aussi être pris en compte, selon lui. «Nous devrions éviter les éoliennes dans ces endroits sensibles si nous voulons protéger l’avifaune», relève-t-il à swissinfo.ch.
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Les risques pour les chauves-souris pourraient être atténués aussi en coupant les éoliennes lorsque la vitesse du vent est faible. Lors de travaux menés dans la vallée du Rhône, il a observé par exemple que des espèces locales comme les murins et la chauve-souris européenne à queue libre volaient près du sol et le long de haies et de structures si le vent était violent. Mais elles ne s’aventurent près d’éoliennes que quand le vent s’affaiblit. «Adapter le fonctionnement des éoliennes peut certes légèrement baisser la production d’électricité, mais cela minimise aussi les risques de collision avec les oiseaux», précise-t-il.
Planifier même le plus minutieusement possible de nouveaux projets porteurs d’énergies ne suffit plus. Les auteur-es du rapport se sont intéressé-es à des infrastructures déjà existantes. Ainsi, les pylônes électriques pourraient être plus sécurisés pour les oiseaux. Des études du professeur Arlettaz réalisées en 2010 avaient déjà montré que certains pylônes à moyenne tension sont la cause de mort numéro un du hibou grand-duc en Suisse. Un nombre important de cigognes, chouettes et milans meurent également électrocutés chaque année. Ces lignes seraient plus sûres en les enfouissant dans le sol ou en les isolant. «Nous devrions résoudre ces problèmes avant d’installer de nouvelles centrales électriques à travers les Alpes», préconise Raphaël Arlettaz.
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«Un peu d’imagination» pour intégrer énergie et biodiversité
À la tête de l’organisation Biodiversity Consultancy à Cambridge, en Grande-Bretagne, laquelle a été appelée à donner son avis sur ce rapport, Leon Bennun souligne aussi l’importance qu’il faut accorder à une planification intégrée.
«Si la Suisse veut développer ses énergies renouvelables en préservant sa biodiversité, le système doit être repensé dans son entier et non projet par projet comme c’est l’habitude encore aujourd’hui. Nous devons cesser de fonctionner en silos en ne prenant en compte que des aspects individuels», dit-il. La restauration et la conservation de la nature couplées à une production d’énergies sécurisée requièrent «des synergies et des compromis réfléchis à large échelle pour que la société puisse en retirer certains avantages», dit-il.
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Des projets décentralisés de plus petite taille sont prometteurs, poursuit Leon Bennun. Des initiatives modestes menées par des collectivités auraient en effet plus de chances d’atteindre les objectifs de maintien de la biodiversité que d’importantes planifications comme beaucoup d’États les projettent. Et ces projets peuvent aboutir en impliquant les populations dans tout le processus.
«Avec un peu d’imagination, éoliennes, installations photovoltaïques ou usines de biogaz peuvent être des atouts pour les collectivités concernées. Et être précieuses pour les humains et pour les plantes et animaux», conclut-il.
Texte relu et vérifié par Sabrina Weiss et Veronica DeVore, traduit de l’anglais par Alain Meyer/op
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