Pendant la pandémie en juillet 2020, l’assemblée communale de Zollikon s’est réunie à l’extérieur pour voter.
KEYSTONE/Ennio Leanza
Alors que le populisme, la disruption et l’autoritarisme réorganisent le monde, la Suisse reste relativement stable. Pourquoi? L’analyse de Benjamin von Wyl.
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17 mars 2025 – 12:15
Le monde s’apprête à vivre de grands changements en 2025. En géopolitique, les alliances traditionnelles ne semblent plus forcément viables. Dans de nombreux pays, les forces populistes ont obtenu de bons résultats électoraux l’année dernière, certaines ont même accédé au gouvernement.
Aux États-Unis, Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, peut appliquer ses idées de disruption à l’appareil administratif.
En Suisse, les quatres plus grands partis se partagent le pouvoir gouvernemental, comme ils l’ont essentiellement fait depuis 1959.
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Rendre compte de la démocratie en Suisse pour un public international mène souvent à raconter des récits de stabilité, tout en relativisant l’image policée du pays et en évoquant les diverses nuances de gris.
Il faut néanmoins toujours préciser que la perception de la politique et des institutions en Suisse n’est pas si mauvaise en comparaison avec le reste du monde.
En Suisse, une confiance maximale dans le gouvernement
Nous vivons une époque où la confiance dans les institutions politiques est mise à mal. Surtout au niveau national, voire supranational. Aux États-Unis, par exemple, moins d’un tiers des personnes interrogées faisaient confiance au Congrès en 2023, contre plus de deux tiers à leur gouvernement local. Sans doute en partie parce que l’on connaît les hommes et les femmes politiques — et que l’on voit les effets de leur travail: la nouvelle route, le nouveau terrain de jeu, le parking empêché.
Dans la dernière enquête de l’OCDE, parue en juillet 2024Lien externe, moins de 40% des personnes interrogées, tous pays confondus, faisaient confiance à leur gouvernement national.
Et la Suisse a obtenu le meilleur résultat dans les deux sens: elle affiche à la fois le plus haut pourcentage de personnes se déclarant confiantes, et la plus faible part de défiance.
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En novembre 2023, 61,9% des personnes en Suisse avaient une confiance élevée ou modérée dans le gouvernement national; seules 23,6% n’avaient pas ou peu confiance. 13,1% étaient neutres sur la question, et 1,4% ne savaient pas comment se positionner.
La confiance crée la stabilité
Il y a quelque temps, l’équipe chargée de la démocratie à swissinfo.ch a cherché à savoir quels étaient les ingrédients qui tiraient la Suisse vers le haut.
Est-ce dû à la relative prospérité dont beaucoup de gens bénéficient? À une culture politique qui permet aux conseillères et conseillers fédéraux de prendre le train comme tout le monde? Ou à la démocratie directe?
Nous avons écrit de nombreux articles. Chacun d’entre eux se concentre sur un seul aspect. Une sorte de collage sauvage, pour tenter d’expliquer le pays.
Si j’essaie aujourd’hui de penser toutes ces parties ensemble, j’en arrive à ma conclusion personnelle: la confiance crée la stabilité et la stabilité permet la confiance.
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Sans stabilité, la confiance ne peut pas se développer. Dans une démocratie, la stabilité ne signifie pas qu’aucun changement ne doit être initié.
Cela signifie que la mécanique des institutions politiques doit être fiable et transparente. C’est en effet ce qui leur permet d’agir dans une démocratie.
Noémie Roten, directrice de l’initiative Service Citoyen, est à l’origine du scandale des fausses signatures.
Il serait compréhensible qu’elle soit quelque peu agacée par les autorités suisses. Mais dans l’interview qu’elle m’a accordée, elle a estimé que de telles «piqûres de rappel» n’étaient pas nécessairement mauvaises pour une démocratie: la question est de savoir comment elles sont gérées.
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Des mesures sont-elles prises? Les voix critiques sont-elles écoutées pas seulement rejetées? La communication est-elle transparente? Voilà qui est décisif.
Une confiance élevée malgré des résultats électoraux erronés en 2023
L’enquête de l’OCDE, lors de laquelle la Suisse a obtenu de si bons résultats, a eu lieu en novembre 2023.
C’était peu après les élections nationales, lors desquelles les autorités ont communiqué des résultats erronés suite à des erreurs provenant de trois cantons. Les autorités ont corrigé l’erreur le 25 octobre.
On pourrait attribuer au hasard le fait que les faux résultats n’aient pas eu d’impact sur la répartition des sièges et n’aient pas provoqué de tollé. Mais cela a peut-être aussi à voir avec le fait que les autorités ont clairement désigné l’erreur et ont rendu public et transparent le processus ayant conduit à ce résultat inexact.
La stabilité dans les sociétés autoritaires
Cependant la stabilité ne suffit pas à créer la confiance.
On sait qu’il peut aussi y avoir de la stabilité dans les sociétés autoritaires. C’est peut-être même justement une aspiration à la stabilité qui fait que, dans de nombreux pays, davantage de personnes votent pour des partis autoritaires. Même si leurs figures de proue sont des menteurs ou des menteuses notoires.
Les personnes qui ont confiance tendent à ne pas voter pour la disruption ou le populisme. La confiance sociale génère en effet aussi une stabilité démocratique.
En Suisse, la grande majorité de la population considère la démocratie semi-directe helvétique comme le meilleur système au monde, comme l’a montré un récent sondage. La population est impliquée dans le débat politique, et apprend aussi au cours du processus ce que celui-ci signifie exactement.
Il se peut que l’on comprenne parfois mal la contribution du droit d’initiative et de référendum à la cohésion de la société. Les votations populaires sont souvent appréciées avant tout parce qu’elles permettent un débat social sur un thème et conduisent ensuite à une décision. Cela pourrait se traduire ainsi: c’est bien d’en avoir parlé, mais maintenant c’est la majorité qui dit ce qu’il faut faire.
Le mécontentement de la minorité
Mais, si l’on se penche sur l’impact des instruments de la démocratie directe sur la cohésion sociale, ce n’est peut-être pas la décision de la majorité qui pèse le plus, mais probablement l’inverse: la minorité peut faire part de son mécontentement et la société doit en tenir compte.
L’importance décisive des droits de démocratie directe pour la satisfaction de la minorité politique a été étudiée: pour sa thèse, le politologue Julien Jaquet s’est penché sur la démocratie directe en Suisse et dans les États américains.
Sa recherche a montré que les citoyens et citoyennes républicains des États démocratiques misent souvent sur les référendums. Julien Jaquet est arrivé à la conclusion qu’il y a plus de référendums lorsque les citoyens et citoyennes sont particulièrement mal représentés.
Selon lui, dans ces circonstances, les référendums sont un moyen de combler le déficit de représentation.
Les droits des personnes aux opinions divergentes
Tous les citoyens et citoyennes — qu’il s’agisse d’un social-démocrate à l’assemblée communale dans l’Oberland bernois conservateur ou d’une bourgeoise de droite dans la ville de gauche de Bienne — peuvent provoquer un vote.
Il est probable que ces revendications perdent avec fracas face à la majorité locale qui pense différemment, mais peut-être que l’argument fera mouche et conduira à un compromis. Et peut-être que la vision transversale s’imposera.
Si l’idée n’aboutit pas, le gouvernement local veillera au moins à ne pas faire d’erreur dans son travail. Parce que celles et ceux qui ont une opinion différente ont des droits, des droits qu’ils et elles utilisent et qui sont garantis.
Une certaine perception de la collectivité
En Suisse, la confiance se porte relativement bien. Les citoyens et citoyennes constatent en effet que la démocratie est un réseau, dans lequel les médias jouent un rôle, au même titre que l’engagement bénévole, les associations et les syndicats.
La Suisse est une toile sur laquelle la population peut agir autant que le gouvernement. Et à certains moments, pas si rares, le poids des citoyennes et citoyens est plus fort que celui du gouvernement. C’est le cas lorsque ce dernier reçoit une leçon un dimanche de votation.
En Suisse, on peut aussi sentir comment la politique locale, cantonale et nationale sont liées. Ce n’est pas parce que l’on fait confiance à son gouvernement local que l’on sera forcément d’accord avec le Parlement et le gouvernement fédéraux, mais on perçoit que l’exécutif local fait partie de la même collectivité. En Suisse, la confiance résulte d’une interaction entre tous les niveaux.
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Texte relu et vérifié par Giannis Mavris, traduit de l’allemand par Lucie Donzé/ptur
Cet article se base sur un exposé que Benjamin von Wyl a tenu en tant que représentant de SWI swissinfo.ch au Forum politique de Thoune en mars 2025.
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