Des capteurs de CO₂ high-tech aident Zurich à viser la neutralité carbone d’ici 2040
Placés sur le toit d’un gratte-ciel situé à Hardau, au centre de Zurich, des instruments de haute précision enregistrent la concentration de divers gaz à effet de serre et leurs flux complexes au-dessus de la ville, dans le cadre du projet ICOS Cities.
Pekka Pelkonen / ICOS RI
Surtout en raison des transports routiers et du chauffage, les trois quarts des émissions de CO₂d’origine humaine émises dans le monde sont imputables aux villesLien externe. Mais ces estimations annuelles peuvent s’avérer imprécises et dépassées. La ville de Zurich, avec Paris et Munich, participe à un projet pilote européen pour permettre d’avoir davantage la maîtrise des actions en faveur du climat. Et trouver des méthodes pour mesurer les émissions avec exactitude.
Calculer et inventorier l’empreinte carbone d’une ville se fait à partir d’une estimation des émissions de CO₂ réalisée sur la base de déclarations volontaires de l’industrie, des autorités chargées des routes ou de firmes actives dans les énergies. Mais ces mesures souffrent d’une marge d’erreur importante à cause d’omissions et de surestimations.
Datant de 2022, les derniers chiffresLien externe officiels pour la ville de Zurich font état de 2,4 millions de tonnes d’équivalents CO₂, un chiffre en baisse de 37% par rapport à 2012, dix ans plus tôt. Mais cette estimation approximative ne permet pas de comparer avec précision les réductions de carbone réalisées ou l’impact des mesures entreprises.
Les populations urbaines prennent très au sérieux les actions menées en faveur du climat. En Suisse, l’objectif est d’arriver à zéro émission nette d’ici 2050. Mais Zurich veut accélérer le mouvement. Les trois quarts de sa population ont voté en 2022 une propositionLien externe émanant des autorités municipales pour atteindre le zéro carbone d’ici 2040Lien externe déjà. Les habitantes et habitants du centre-ville l’ont même plébiscitée à 80-85%.
«Mais pour atteindre cet objectif ambitieux, des données fiables et pertinentes sont nécessaires», estime Lukas Emmenegger, directeur du laboratoire des polluants atmosphériques et de la technologie environnementale à l’Empa, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche.
«Zurich calcule actuellement son parc de voitures et les systèmes de chauffage et multiplie ce chiffre via des facteurs d’émission pour arriver à un inventaire. Ce que nous réalisons est basé davantage sur l’observation. Nous regardons l’atmosphère et les concentrations de CO₂ dans la ville et nous les combinons avec différents modèles pour obtenir une estimation indépendante des émissions», explique-t-il.
Construire un réseau de mesure
La ville de Zurich participe depuis quatre ans au projet ICOSLien externe Cities avec Munich et Paris. Dans chacune de ces villes, des scientifiques testent de nouveaux outils de mesure du CO₂ et construisent des modèles informatiques afin d’étudier les émissions locales. Leur but est d’arriver à mieux comprendre l’origine des émissions en zone urbaine. Savoir notamment quelles sont les parts du trafic, du chauffage, des sources naturelles ou autres, mais également l’influence de facteurs comme les vents, les forêts, les parcs.
De petits capteurs de mesure peu coûteux sont accrochés discrètement aux lampadaires et aux arbres de Zurich.
Pekka Pelkonen / ICOS RI
Chaque ville dispose d’un système de mesure unique. En raison de sa topographie particulière, Zurich est une ville complexe située près de deux collines boisées et d’un lac. Des courants d’air peu prévisibles peuvent transporter rapidement les gaz à effet de serre loin de leurs sources. D’où le besoin de combiner plusieurs méthodes de contrôle.
L’Empa a installé à Zurich tout un réseau d’instruments spécifiques. Ceux-ci vont de petits capteurs bon marché placés sur des réverbères et des arbres répartis dans une soixantaine de lieux, jusqu’à des appareils plus sophistiqués et plus coûteux aussi fixés sur des antennes de téléphonie mobile. Pour localiser les émissions, une tour de mesures du type d’un capteur de courant de Foucault a été installée sur un gratte-ciel près des lotissements du Hardau, au cœur de Zurich. Pour pouvoir les quantifier et les comparer correctement, des données ont été aussi recueillies à partir de trois tours situées à l’extérieur de la ville. Et d’une sur la Jungfraujoch, dans l’Oberland bernois.
Le scénario est différent à Paris, ville sans dénivelé. Là, les chercheurs ont installé des instruments de mesure en fonction des flux du vent. Le «ballon Generali» près de la Tour Eiffel a permis de mesurer le CO₂ dans la capitale jusqu’à une hauteur de 300 m.
Émissions naturelles ou anthropiques
À Zurich et ses environs, les forêts et espaces verts expulsent et séquestrent de grandes quantités de gaz à effet de serre par jour. «Selon la saison, les activités biogènes peuvent être très importantes même dans une ville comme Zurich», précise Lukas Emmenegger.
Des scientifiques de l’Université de Bâle ont collaboré avec l’Empa pour étudier ces fluctuations naturelles. En observant par exemple l’humidité du sol et les flux de sève sur des arbres sélectionnés dans des parcs de Zurich, ce flux étant la mesure de l’absorption photosynthétique de CO₂ par la plante.
Distinguer les émissions induites par l’homme dans le cycle naturel du CO₂ dans l’atmosphère est l’un des défis à relever. «Ces émissions anthropiques sont du même ordre de grandeur que les émissions biogènes, ce qui les rend difficiles à distinguer», poursuit Lukas Emmenegger.
Cette différenciation est réalisée en phase de modélisation lorsque des simulations complexes reconstituent les flux de CO₂ provenant des arbres, de l’herbe ou des cultures. Estimée à 10% du total, la respiration humaine est aussi prise en compte.
Modélisation
Après deux ans passés à mesurer les concentrations de CO₂, l’équipe de l’Empa termine ces jours d’intégrer ces données dans des modèles de haute résolution. Ce projet doit s’achever d’ici décembre prochain avec un rapport final et des conclusions. Mais les scientifiques zurichois estiment déjà que les premiers résultats sont prometteurs.
«Nous savons que ces méthodes induisent une part d’incertitude. Mais les résultats des modélisations sont proches les uns des autres. Cela nous conforte dans l’idée que cette information est très utile», estime Dominik Brunner, chercheur principal à l’Empa.
Grâce à cette approche basée sur l’observation, une forte réduction des émissions de CO₂ a été mesurée avec exactitude à Zurich en hiver 2022-23. Période où la ville a réduit drastiquement sa consommation dans le contexte de la crise énergétique en Europe.
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Plus surprenants sont les résultats de deux modèles qui suggèrent que la méthode employée pour inventorier les émissions surévalue le total par an d’environ 20%.
Jusqu’à présent utilisées à des fins de recherche, ces stations devraient offrir une plus grande transparence et aider les décideurs politiques et le public à Zurich à suivre les fluctuations des émissions. Et voir si la ville est sur la bonne voie, résume l’Empa.
À la question de savoir si en poursuivant ces observations, il sera possible d’atteindre la neutralité carbone à Zurich d’ici 2040, Dominik Brunner nous répond: «oui, nous pensons que c’est possible». Mais il appartiendra aux autorités de décider de la suite.
Stadt-Zurich/Empa
Au Département de l’environnement et de la santé à Zurich, Anke Poiger, sa porte-parole, relève que le personnel serait sûrement enthousiaste à comparer les méthodes.
«Nous espérons que cela fournira des informations sur la pertinence de nos calculs et les écarts potentiels. Le projet ICOS Cities permet une analyse spatiale et temporelle. Ce qui est forcément intéressant pour nous», ajoute-t-elle. Elle confirme aussi que les autorités analysent avec l’Empa «la possibilité de poursuivre le réseau».
Dominik Brunner va plus loin. «Si la ville désire le soutenir au-delà de 2025, date-butoir du projet ICOS Cities, nous devons discuter encore des détails. Mais nous sommes optimistes sur sa poursuite sur plusieurs années, mais pas avec toute l’infrastructure».
Les différentes méthodes testées à Zurich varient également en termes de coûts et d’investissements. Mais pour Lukas Emmenegger, continuer cette exploitation ne devrait finalement coûter «qu’environ 200’000 francs par an. C’est finalement assez peu en comparaison des millions dépensés pour éliminer le CO₂», argumente-t-il.
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Douze autres villes en Europe, dont celle de Bâle en Suisse, ont rejoint désormais le réseauLien externe ICOS Cities et sont sur les rangs pour tester au-delà de 2025 les techniques et services de surveillance essayés précédemment à Zurich, Paris ou Munich.
«Nous prévoyons de développer ces services pour conseiller les villes sur la manière de mettre en place et d’exploiter un réseau de surveillance des gaz à effet de serre en milieu urbain», indique Werner Kutsch, directeur général d’ICOSLien externe ERIC.
«Chaque ville est différente par sa taille, son emplacement, son climat et forcément ses émissions de CO₂. Elles sont diverses aussi en termes de gouvernance et d’ambitions en matière d’objectifs climatiques. Chacune des villes du réseau mène ses propres recherches en lien avec le projet. Un vaste réseau a été créé en Europe», conclut-il.
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Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’anglais par Alain Meyer/op