Suisse

Comment le superordinateur suisse Alps vise à faire progresser l’IA

Alps


Le superordinateur suisse Alps est le sixième plus puissant au monde.


Marco Abram / CSCS

Avec Alps, la Suisse a relancé son réseau de superordinateurs afin de retrouver sa place dans la première ligue mondiale du traitement de données. Qui peut utiliser le sixième superordinateur le plus puissant du monde, et quels sont ses objectifs? Explications.

Le superordinateur suisse Alps peut être utilisé par exemple pour cartographier l’univers, distinguer les faits des théories du complot, ou encore modéliser le climat avec plus de précision. Il n’est toutefois pas prévu dans l’immédiat de permettre à des entreprises privées d’exploiter ses ressources.

Le précédent superordinateur suisse, Piz Daint, effectue des calculs pour des projets de recherche scientifique depuis 2013. Il a notamment été utilisé par MétéoSuisse, par le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche, ainsi que par l’Institut Paul Scherrer, un centre de recherche pour les sciences naturelles et de l’ingénierie.

Piz Daint a été remplacé par le superordinateurAlps, qui disposera d’une puissance de calcul 20 fois supérieure à celle de son prédécesseur dès qu’il sera pleinement opérationnel et aura la capacité nécessaire pour exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle (IA).

Il s’agit du sixième ordinateur le plus puissant du monde. Seuls les États-Unis, la Finlande et le Japon possèdent des machines plus puissantes. La Suisse a ainsi retrouvé ses capacités de supercalcul par rapport à d’autres pays, qui s’étaient affaiblies lorsque Piz Daint a été dépassé par des machines plus puissantes à travers le monde.


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Un accès réservé aux projets scientifiques

Mais cela ne signifie pas que 20 fois plus de scientifiques auront accès à ce puissant réseau de calcul, qui s’étend sur trois sites en Suisse et un en Italie. Environ 1800 chercheuses et chercheurs exploitaient le superordinateur Piz Daint et, à ce jour, 1000 se sont inscrits au nouveau réseau Alps.

«Ce système ne pas être utilisé par un million de chercheuses et chercheurs», explique le professeur Thomas Schulthess, directeur du Centre suisse de calcul scientifique (CSCS). Le superordinateur, qui a coûté 100 millions de francs (107 millions d’euros) et a un budget d’exploitation annuel de 37 millions de francs, est financé par des fonds publics. «Nous sommes une infrastructure subventionnée, et les subventions ne peuvent pas être étendues. Nous devons être très disciplinés quant à l’utilisation de l’infrastructure», indique Thomas Schulthess.

Le superordinateur Alps n’est pas destiné à un usage commercial grand public. Sa puissance de calcul supplémentaire continuera à être utilisée pour des projets de recherche suisses et internationaux, principalement dans le domaine des sciences naturelles.

Les entreprises peuvent aussi demander à y accéder si elles collaborent avec une université suisse dans le cadre de leurs recherches et prennent en charge les coûts d’utilisation du superordinateur.

Et en tant qu’institut suisse de technologie, le CSCS est tenu d’accorder un accès au supercalculateur durant trois ans aux entreprises dites «spin-off», qui transforment des projets de recherche universitaire en start-ups. À condition qu’elles couvrent elles-mêmes leurs frais.

L’association digitalswitzerland, qui promeut l’innovation numérique en Suisse, indique qu’elle «échange avec le CSCS» sur la question de l’accès commercial au superordinateur. Elle ne fournit toutefois pas de détails sur l’évolution des discussions.

Garantir la qualité des données

Thomas Schulthess


Thomas Schulthess, directeur du Centre national suisse de calcul scientifique (CSCS).


Keystone / Gaetan Bally

Outre la question de l’utilisation des fonds publics, le CSCS n’est pas disposé à élargir de sitôt l’accès parce qu’il doit impérativement défendre la qualité des données sur le superordinateur et éviter que celle-ci ne soit compromise par des projets aux méthodes de filtrage moins rigoureuses.

«En sciences naturelles, nous disposons de méthodes pour filtrer les mauvaises données qui sont connues depuis l’époque de Galilée, relève Thomas Schulthess. Nous souhaitons aider les sciences humaines, les entreprises commerciales et la société à adopter ces méthodes.»

Ce point devient critique à l’ère de l’intelligence artificielle, où des ordinateurs plus puissants, avides de données, sont entraînés à traiter l’information par eux-mêmes. Saisir des données de mauvaise qualité dans un système d’IA pourrait l’amener à reproduire des biais et des informations fausses, avec des conséquences néfastes.

Par exemple, Alps est utilisé pour former le système Meditron, un grand modèle de langage (LLM) qui traite des données médicales de haute qualité soigneusement sélectionnées. Meditron est ensuite utilisé par les médecins pour établir des diagnostics précis dans les pays qui manquent d’infrastructures médicales de pointe.

Selon Mary-Anne Hartley, professeure à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et membre de l’équipe de recherche du Meditron, exploiter des données de qualité de cette manière pourrait convaincre les malades de privilégier des traitements médicaux fondés sur la science plutôt que des remèdes locaux douteux.

Distinguer les faits de la fiction

«L’information joue un rôle crucial dans la santé. Or, beaucoup d’informations erronées circulent», a-t-elle déclaré lors d’une conférence sur Alps à Zurich le 13 septembre.

«Dans les pays à faible revenu, il n’existe pas de filet de sécurité pour les malades. Si une erreur est commise, les conséquences peuvent être graves. Nous devons respecter les normes les plus strictes et les plus solides possibles.»

En raison de l’impact futur de l’IA sur l’informatique et d’autres disciplines, il est difficile de prédire quels projets et quelles institutions utiliseront Alps dans dix ans.

«La grande inconnue est l’évolution de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle, selon Thomas Schulthess. L’IA pourrait entraîner des changements tels que nous devrions trouver des méthodes totalement différentes pour sélectionner et soutenir de nouveaux projets.»

Alps


Alps a été conçu dans un souci de flexibilité pour les scientifiques.


CSCS

Interfaces logicielles sur mesure

Pour faire face à un avenir largement imprévisible, Alps a été conçu avec une plus grande flexibilité que son prédécesseur, Piz Daint. Il est modélisé pour imiter un système de cloud qui permet aux chercheuses et chercheurs de se connecter via des portails informatiques adaptés aux besoins spécifiques de chaque projet.

«Par le passé, le calcul à haute performance (HPC) définissait un environnement auquel tout le monde devait s’adapter. Pour la première fois, nous pouvons prendre en charge plusieurs environnements différents en adaptant les interfaces logicielles aux besoins des diverses communautés de recherche», souligne Thomas Schulthess.

Parmi les projets déjà conclus avec Alps, on peut citer l’Observatoire du réseau d’un kilomètre carré (Square Kilometre Array Observatory), qui prévoit de cartographier l’univers de manière nettement plus détaillée grâce aux données extraites de milliers d’antennes radio installées à travers le monde.

La collaboration est également renforcée avec les services météorologiques suisses et européens. Elle vise à produire des modèles de prévision climatique plus détaillés et plus précis.

Le CSCS conservera sa méthode éprouvée pour sélectionner les recherches qu’il soutiendra. Un panel de scientifiques internationaux est chargé d’examiner à la fois l’intégrité scientifique des projets et la capacité des candidates et candidats à réaliser, dans le temps imparti, leurs tests sur le superordinateur.

De grandes entreprises technologiques, telles que Google et Amazon, ont mis au point leurs propres superordinateurs pour renforcer leur recherche et leur croissance.

Alps, quant à lui, utilisera l’IA pour soutenir la recherche scientifique.

«La science doit jouer un rôle pionnier dans ce domaine d’avenir, plutôt que de le laisser à quelques multinationales», a déclaré Christian Wolfrum, vice-président de la recherche à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich), lors du lancement de l’initiative «Swiss AI» en décembre dernier. «Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons garantir l’indépendance de la recherche et la souveraineté numérique de la Suisse.»

Texte relu et vérifié par Veronica De Vore/ac, traduit de l’anglais par Zélie Schaller