Ce qu’une semaine avec le FC Servette raconte de la Suisse
Grand un jour et minuscule le lendemain, tel est le lot de la «Conditio Helvetica». Voici aussi comment en une semaine le FC Servette est passé d’un stade de campagne suisse à Stamford Bridge à Londres. Mêlé à la foule, le photographe Mark Henley retranscrit ce grand écart.
Le 22 août dernier, Servette était sur le toit du monde en évoluant dans le stade de Stamford Bridge pour y affronter l’équipe anglaise de Chelsea en match de barrage de Conference League. Mais quelques jours plus tôt, c’est sur la pelouse d’un petit stade de campagne que l’équipe a dû évoluer en match de Coupe de Suisse.
Contraste révélateur de l’identité suisse avec ce côté rural qui colle aux basques. Mais des basques ripolinées pour apparaître ensuite sur la scène internationale.
Alors que Chelsea se rend ce jeudi à Genève pour le match retour, le chef de la diplomatie suisse, Ignazio Cassis, y accueillait quelques jours plus tôt le Conseil de sécurité de l’ONU, fraîchement débarqué de New York pour un événement qui avait lieu tout près du terrain d’entraînement du club. Vous avez dit analogie?
Pas toujours drôle
Si la formation genevoise s’est royaumée en Coupe de Suisse face à la modeste équipe de Signal-Bernex, signant un tranchant 7 à 1, la grande satisfaction du match fut l’unique but marqué par le petit. Et encaissé par le gardien et capitaine de Servette à quelques jours seulement de devoir se frotter aux stars anglaises.
Le match contre Signal-Bernex fut moyen aux dires des supporters, les buts s’étant fait attendre. De plus, la pluie s’est invitée durant la partie arrosant les fans du FCS concentrés dans un virage d’un stade sans tribune ni avant-toit.
«Voilà à quoi ressemble aussi le charme du football suisse. Passer en quelques jours d’un terrain miteux à une enceinte légendaire. Disons qu’il n’est pas toujours amusant de supporter son équipe fétiche», a concédé un supporter.
Reste que jouer dans une ambiance champêtre comme celle de la Coupe de Suisse a également ses avantages pour les fans. Comme pouvoir faire usage par exemple d’engins pyrotechniques. Comme ce fut le cas au début du match où de la fumée a enrobé le stade.
La possibilité aussi d’être au plus près des joueurs, à quelques mètres seulement, ou d’écluser quelques bières durant la rencontre.
Équipe à un milliard de francs
Le contraste était saisissant quatre jours plus tard à Londres, d’autant que Servette n’avait plus affronté de formation anglaise depuis un demi-siècle.
Le dernier match recensé contre une équipe d’Albion était une défaite contre Derby County (2 à 6). Mais avec Chelsea, club qui a déjà tout gagné, en particulier la Ligue des champions il y a trois ans, le niveau s’élevait encore d’un cran.
Chelsea n’a perdu que deux fois lors de ses quinze dernières rencontres en Coupe d’Europe. Et les deux fois contre le Real Madrid. Son effectif vaut au total plus d’un milliard de francs contre 25 millions à peine pour le Servette.
Et même si tout ne tourne pas rond à Chelsea avec son nouvel entraîneur, la presse anglaise ne s’est pas gênée avant le match de rappeler que Servette avait encaissé un sec 6-0 à domicile contre Bâle en début de saison.
Autant dire que pour la presse la partie était pliée d’avance. Sur le terrain côté anglais, des joueurs d’une valeur de 500 millions ont été alignés au début du match.
Sur Earls Court Road, devant un pub, un fan de Servette a toutefois remis les pendules à l’heure. «C’est un grand privilège de venir encourager notre équipe ici et c’est une occasion unique d’être à Londres. Si nous sommes éliminés, ce n’est pas si grave, car nous rejouerons peut-être en Europe l’an prochain.»
«Nous sommes libres, eux pas»
C’est sous l’œil vigilant des bobbies anglais, dont des fans dévoués de Chelsea, que les supporters genevois ont rejoint alors Stamford Bridge.
L’un des policiers nous a expliqué qu’escorter le public «faisait partie du job», mais que cela ne l’empêchait pas non plus de voir le match. «Nous sommes à l’affût d’engins pyrotechniques sachant qu’ils font partie de la culture des fans», a-t-il ajouté.
Des policiers en civil étaient-ils aussi présents au Stade municipal de Bernex pour le match de Coupe de Suisse? Et pourquoi pas des observateurs de Chelsea venus superviser leur adversaire et qui, le cas échéant, ont dû se demander ce qu’ils faisaient là sous la pluie au milieu de nulle part?
Car comme les tabloïds anglais l’annonçaient, le match contre Servette allait être une affaire classée. Même les fans genevois ne se faisaient guère d’illusions sur l’issue de cette rencontre, certains évoquant un 7 à 1 pour Chelsea, le même score, mais inversé que celui obtenu par le FC Servette face à Signal-Bernex.
«Comme il y a peu de chances que l’on gagne, nous ne sommes guère sous pression, et donc plus libérés que les Anglais», s’est même permis l’un d’eux.
Moments surréalistes
Ayant pu suivre par le passé leur équipe dans de nombreuses villes en Suisse ou ailleurs, les supporters servettiens n’en étaient pas à leur coup d’essai. Mais il s’agissait ici de Londres, l’une des places fortes du football mondial, une ville dotée d’une population aussi nombreuse que celle d’un pays comme la Suisse.
En dépit des maigres chances de l’emporter, les supporters genevois ont pourtant assuré l’ambiance. «Allez Servette, allez! Nous serons toujours là, nous chanterons pour toi. Nous sommes les Servettiens, nous allons gagner…»
Stamford Bridge est caché de l’extérieur par des bâtiments. Ce qui confère à ce stade un aspect irréel. Les jours de match, un gros dispositif policier avec des gendarmes à cheval encadre le site. Ce soir-là aussi, la tension était palpable.
La maréchaussée a procédé à une ou deux arrestations durant la rencontre. Mais nous sommes restés très loin de l’émeute annoncée par le tabloïd The Sun. Dès que les portes se sont ouvertes et que les supporters ont pu entrer à l’intérieur, les bouches se sont tues et les yeux se sont écarquillés à la vue de l’enceinte.
Car ce stade est une cathédrale du football avec sa verticalité impressionnante et sa jauge de 37’900 spectateurs.
Depuis chaque siège, on peut observer le jeu distinctement. À l’intérieur, ni oriflamme, ni engin pyrotechnique, ni bière ne sont autorisés, de nombreux officiers de police veillant au grain à la buvette.
Une ambiance à mille lieues de celle observée quelques jours plus tôt en Suisse. Pas de quoi non plus refroidir les 700 supporters genevois qui ont fait le déplacement à Londres, manifestant sur place leur joie et fierté d’être là. Et de le crier haut et fort dans la capitale.
Même si Servette devait perdre, les autres devaient comprendre qu’il était important de soutenir son équipe jusqu’au bout.
Supporters locaux muets
À la mi-temps, les 37’000 supporters de Chelsea sont restés muets, voire indignés par le score de 0 à 0. On était loin de la déculottée promise. Assez pour désinhiber aussi des fans servettiens désormais torses nus et dont les chants ont tout à coup redoublé jusqu’à résonner dans le mythique Stamford Bridge.
Toujours est-il que le retour des vestiaires allait s’avérer moins glorieux avec un penalty concédé au début de la 2e mi-temps par les Genevois.
Chelsea ayant fait entrer en jeu quelques-uns de ses ténors aux salaires mirobolants, un deuxième but tomba dans son escarcelle pour sceller le score en faveur des Britanniques (2-0).
Servette n’a pourtant pas démérité, les Genevois ayant même failli marquer plus d’une fois, notamment à quelques secondes du coup de sifflet final.
Et comme l’histoire ne peut être écrite à l’avance en football, ce match a finalement été plus serré que prévu. Les supporters ont entonné un vibrant «Merci Servette!».
Au sortir de cette partie, certains ont secoué la tête au vu du nombre d’occasions manquées.
À leur passage et en les entendant chanter, plusieurs regards se sont tournés dans leur direction. Quelques quolibets ont aussi fusé venant de supporters de Chelsea bien conscients que leur équipe aurait pu faire mieux.
C’est alors qu’un étrange sentiment m’a saisi. À voir cette exubérance servettienne, il m’a semblé que cette défaite à Londres avait un meilleur goût que la victoire obtenue le week-end auparavant dans la banlieue genevoise.
Parmi les supporters, l’un s’est amusé à flirter avec une policière anglaise. «Elle me fera essayer son képi quand nous arriverons en gare», a-t-il même plaisanté.
«Je crois que nous nous adaptons finalement assez bien à nos adversaires», a commenté à la fin du match le capitaine du FC Servette. Teintée à la fois de joie, mais aussi d’un brin de critique, sa conclusion sonnait en définitive très suisse.
* Toutes les photos ont été prises au téléphone portable. Pour des raisons de sécurité, aucun appareil n’était autorisé dans l’espace réservé aux supporters.
Texte traduit de l’anglais par Alain Meyer
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