Ce que le débat parlementaire sur le budget révèle sur la Suisse
Malgré la polarisation croissante, le Parlement suisse a réussi à se mettre d’accord sur un budget. Il parvient encore à trouver des compromis, mais au Palais fédéral la devise «la Suisse d’abord» prévaut désormais.
La décision prise au cours de la session qui devrait réjouir le plus les Suisses de l’étranger concerne l’identité électronique. Celle-ci sera introduite en 2026. Les deux chambres du Parlement l’ont adoptée. Pour la diaspora, l’e-ID devrait faciliter les relations avec les autorités et éventuellement aussi avec les banques.
Le Conseil des États a également pris une décision importante concernant l’e-collecting, soit la collecte numérique de signatures pour des initiatives populaires et des référendums.
L’e-collecting est devenu une priorité après l’éclatement de l’affaire des fausses signatures en septembre dernier. Des entreprises commerciales sont soupçonnées d’avoir falsifié des paraphes à grande échelle, au cours de récoltes effectuées pour des référendums ou des initiatives. Le Conseil des États (Chambre haute) attend de l’e-collecting un processus de collecte et de vérification fiable.
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Plus de participation pour les Suisses de l’étranger
Pour les Suisses de l’étranger, la récolte de signatures électroniques permettrait également de participer au processus d’élaboration des initiatives et des référendums.
La députée du Centre Elisabeth Schneider-Schneiter a récemment souligné que cette possibilité de participation était jusqu’à présent restreinte pour la diaspora. Le Conseil national (Chambre basse) doit cependant encore rendre une décision.
Les observateurs partent du principe que l’introduction de l’e-collecting permettrait d’accélérer et de faciliter la collecte de signatures. Cela pourrait conduire à une augmentation, voire à un afflux d’initiatives populaires.
L’analyste politique Mark Balsiger a déclaré à SRFLien externe à ce sujet: «Les initiatives populaires pourraient ainsi devenir encore plus populaires». De telles réflexions seront prises en compte dans la suite des débats.
La bataille autour du budget
La discussion sur le budget s’annonçait difficile dès le départ: tout le monde ou presque voulait plus d’argent pour l’armée, mais seulement sur le principe. Dans le détail, beaucoup de choses restaient controversées.
Une chose est claire pour tout le monde: la Suisse doit économiser ailleurs pour couvrir les dépenses supplémentaires. Mais où et comment? Il y a autant d’opinions que de sièges sous la Coupole fédérale.
La situation est d’autant plus difficile que les deux chambres ne sont pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les propositions d’économies. Au début de la session, certains commentateurs ont même envisagé la possibilité que le Parlement ne parvienne pas à trouver un terrain d’entente et que la Suisse doive commencer l’année sans budget.
Les débats à ce propos étaient donc plus compliqués qu’ils n’en avaient l’air, même si la Suisse s’en sort relativement bien, du moins sans dettes héritées du passé grâce au strict frein à l’endettement.
En Allemagne, le gouvernement s’est effondré à cause du budget. En France, le budget 2025 n’a toujours pas été accepté par l’Assemblée nationale. Et aux États-Unis, le service de la dette engloutit la somme de l’ensemble du budget de l’État suisse.
L’heure de gloire du travail parlementaire
D’un point de vue technique, l’adoption du budget de l’État en Suisse est un jeu de ping-pong entre les deux Chambres jusqu’à ce qu’elles se mettent d’accord.
Le premier débat a eu lieu au Conseil national. Il était bruyant, virulent, les camps s’opposaient de manière irréconciliable et se lançaient parfois des piques.
Ce fut ensuite au tour du Conseil des États. La manière dont celui-ci a appréhendé le débat peut être qualifiée d’heure de gloire de la session. La Chambre haute a fourni un exemple parfait de la bonne vieille politique de compromis, sans spectacle, qui se concentre sur le contenu.
Sa commission des finances s’est d’abord penchée sur les propositions du Conseil national. Ensuite, elle s’est présentée devant le Conseil des États avec une seule proposition de réduction finement équilibrée. Au vu de la situation de départ, cela constitue un véritable tour de force.
«Tout ne convient pas, mais suffisamment de choses conviennent»
Le sénateur glaronnais Matthias Zopfi a présenté l’idée de la commission. À ce moment-là, on pouvait entendre voler les mouches, tant la salle était concentrée.
«C’est peut-être l’objet le plus important de la session. Et oui, nous avons une responsabilité. Premièrement, nous avons besoin d’un budget. Deuxièmement, nous devons aborder l’équipement de notre armée avec équité et réalisme, avec circonspection. Jusqu’à présent, j’ai l’impression que le Parlement donne une image plutôt triste. C’est à vous de décider si vous voulez continuer ainsi ou si nous allons maintenant lentement passer en mode solution.
La commission des finances vous propose une solution intégrale à la problématique. Intégrale signifie: tout ne me convient pas, mais suffisamment de choses conviennent pour que cela ait un sens. Je sais que la tentation est grande de voter maintenant dans chaque domaine pour ce qui nous convient le mieux personnellement. Pour moi aussi, cette tentation est grande, mais je vous le dis: résistez!»
À ce moment-là, l’élu écologiste de 40 ans du canton de Glaris a remis sur les rails une discussion budgétaire qui avait dérapé et s’était fortement polarisée.
Armée: que faire de tout cet argent?
En effet, le Conseil des États a ensuite rejeté toutes les propositions individuelles existantes et a voté en bloc pour le concept de sa commission.
Il a ainsi donné un signal fort que le Conseil national n’a pas non plus pu ignorer. À partir de là, les divergences qui subsistaient entre les deux Chambres sont devenues surmontables.
Finalement, le Conseil national, dominé par la droite, s’est largement imposé. L’armée reçoit 530 millions de francs de plus. Malgré le fait que même les députés bourgeois se sont demandé comment autant d’argent pouvait être dépensé de manière judicieuse en une seule année.
En revanche, l’aide au développement se trouve réduite d’environ 100 millions de francs, tandis que l’agriculture est épargnée par les économies.
Les limites de la solidarité
Les coupes dans la coopération au développement ont fait l’objet de discussions particulièrement vives.
Le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, a tenté en vain de s’y opposer en utilisant des mots forts: «Face à l’anneau de feu aux portes de notre continent et aux nombreux incendiaires, nous avons besoin à la fois de la protection contre les incendies et de pompiers, et nous ne devons pas opposer les deux».
Par pompiers, Ignazio Cassis entendait l’aide humanitaire, et par protection contre les incendies, l’aide au développement.
Finalement, le budget du Parlement suisse envoie un message simple au reste du monde: la solidarité de la Suisse a des limites.
En effet, le Parlement a également décidé de restreindre le statut de protection S pour les personnes venant d’Ukraine. À l’avenir, seules les personnes des zones de guerre en Ukraine obtiendront ce statut.
Le pacte de l’ONU sur les migrations sans la Suisse
Les deux Chambres ont par ailleurs enterré le pacte de l’ONU sur les migrations. Celui-ci définit des mesures visant à réguler la migration transfrontalière. La Suisse avait pourtant participé à son élaboration.
C’est également en vain qu’Ignazio Cassis a qualifié cet instrument d’utile pour gérer les flux migratoires. La majorité bourgeoise craignait qu’un oui au pacte n’entraîne une pression sur la Suisse.
Parmi les autres décisions de la session d’hiver qui ont trouvé un large écho, citons les mesures de soutien à l’industrie sidérurgique suisse en crise, la pénalisation du harcèlement (stalking) et la suppression de la Patrouille suisse dans sa forme actuelle.
Enfin, le Parlement a décidé d’interdire l’organisation terroriste Hamas. Il devrait en être de même pour le mouvement chiite Hezbollah, si le Conseil des États valide la décision du Conseil national.
Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger et Samuel Jaberg, traduit de l’allemand par Katy Romy