Zinédine Zidane : « 2006, sa Joconde personnelle », interview des auteurs de la BD
Faro, Alexandre Fiévée et Gérard Ejnès ont publié une bande dessinée de 200 pages intitulée Zidane, l’histoire d’une étoile (éditions Jungle), qui sort en librairie ce jeudi. Les auteurs ont rencontré la famille Zidane le vendredi 17 octobre, avant de parler de leur démarche qui vise à rester fidèles aux propos de Zidane et de son entourage.
Par quel angle aborder, une nouvelle fois, Zinédine Zidane ? La vie de l’ancien numéro 10 des Bleus a déjà été largement explorée, mais jamais vraiment illustrée. C’est sous cet aspect que Faro, dessinateur pour L’Équipe et France Football, en collaboration avec Alexandre Fiévée, un avocat passionné par l’écriture de biographies de personnalités, et Gérard Ejnès, ancien rédacteur en chef de L’Équipe, ont décidé de se lancer dans ce projet. Le résultat est une bande dessinée de 200 pages, soigneusement documentée, retraçant l’enfance de l’artiste jusqu’à la fin de sa carrière de joueur, intitulée Zidane, l’histoire d’une étoile (éditions Jungle), qui sort en librairie ce jeudi.
Nous avons rencontré les deux auteurs le vendredi 17 octobre, visiblement nerveux – ils avaient envoyé un exemplaire la veille à chaque membre de la famille Zidane – mais aussi ravis de discuter d’un personnage qui les fascine.
Pourquoi avoir choisi de revenir sur l’histoire de Zidane maintenant ?
Alexandre Fiévée : L’idée m’est venue en découvrant la BD sur Kylian Mbappé [2021]. Je n’avais pas lu de bande dessinée depuis 30 ans, et j’ai apprécié la manière dont le personnage était traité depuis son enfance. Je me suis demandé, si un jour je réalisais une BD, sur qui je la ferais ? Il fallait un personnage accessible au grand public et intergénérationnel. Et Zidane s’est imposé comme une évidence.
Gérard Ejnès : J’ai trouvé son idée excellente car Zidane représente à la fois un passé et un avenir. J’ai immédiatement pensé à Zidane en tant que sélectionneur. Une fois le lecteur arrivé à la fin de la BD, il n’aura pas fini d’explorer les aventures footballistiques de Zinédine Zidane, car l’équipe de France l’attend, et cela constitue une aventure incroyable.
Vous évoquez beaucoup son enfance. Est-ce parce que c’est la partie de sa vie la moins connue ?
AF : Nous avons constaté, grâce à la BD sur Mbappé, que la partie enfance est très plaisante à lire, surtout pour ceux qui ne suivent pas assidûment le football. Narration d’un match de foot en BD n’est pas toujours captivante ; montrer un jeune évoluer avec sa personnalité, son caractère et ses ambitions, l’est beaucoup plus.
Parmi les proches avec qui vous avez échangé pour l’écriture, qui vous a le plus marqué ?
AF : Guy Lacombe, car il était alors directeur du centre de formation et a vu l’adolescent de la Castellane arriver et évoluer. Ce qui est fascinant chez Zidane, c’est qu’il retenait tout ce qu’on lui disait. Lacombe m’a expliqué que lorsqu’on lui donnait des instructions verbales, il parvenait à les reproduire avec son corps, un talent extrêmement rare.
GE : Au départ, nous avons pensé qu’il serait prudent de prévenir Zidane, et pourquoi pas de co-créer la BD avec lui. Mais finalement, si nous avions rencontré Zidane et sa famille, nous aurions été limités par l’histoire qu’ils auraient souhaité nous raconter. Personnellement, je trouve qu’une création libre permet une meilleure expression. Bien évidemment, nous avons basé notre récit sur des faits réels, en ajoutant de l’humour et des dialogues. Cela dit, en écrivant sans lui, nous avons également été en droit de nous demander comment il percevrait le livre.

Ressentez-vous une responsabilité quand vous écrivez sur un personnage qui fait partie du patrimoine français ?
AF : Oui, car notre démarche est bienveillante, l’objectif étant de faire plaisir. Nous avons tenu à rester très fidèles aux propos qu’il et les membres de sa famille ont pu exprimer en interviews. Il n’y avait certainement pas de volonté de notre part de nuire. Et parfois, même de manière indirecte, cela peut arriver. Nous espérons que ce ne sera pas le cas ici ; nous avons justement mis en lumière son enfance, ses parents, ses frères et sœurs, avec l’espoir que cela leur plaira.
GE : C’est un peu stressant de se demander comment il va recevoir cet ouvrage, puisqu’il s’agit de son histoire. Notre recherche a été très approfondie. Ce n’est pas simplement assis autour d’une table et raconter trois anecdotes. Mais oui, la bienveillance est essentielle, car Faro, de toute façon, est un dessinateur très humoristique, avec un style doux et arrondi qui correspond bien à Zidane. Ce dernier a connu de nombreux accès de violence, avec 14 expulsions dans sa carrière, ce qui indique sa nature impulsive. Et en même temps, il est très doux. Cela témoigne de la complexité de l’être humain, et la BD devait refléter ce personnage aux multiples facettes. Chacun de nous l’est un peu, mais lui de manière plus marquée, entre cette douceur apparente et ses colères contenues, une sorte de combat constant.
Pensez-vous que la bande dessinée peut aider à mieux comprendre ses réactions sur le terrain ?
AF : Ce qui ressort des anecdotes que nous avons collectées sur son enfance, c’est cette notion d’injustice. Il pouvait exploser lorsqu’il ressentait cela. Cependant, les cartons rouges deviennent des éléments humoristiques dans la BD. Nous ne ciblons pas particulièrement ce genre de situation.
GE : C’est très difficile à analyser car nous ne sommes pas des psychanalystes. Nous n’avons pas placé Zidane sur le divan. Les situations qu’il a traversées pendant son enfance, tous les enfants les vivent, et ceux qui deviennent footballeurs ne reçoivent pas autant de cartons rouges. Tout cela, en même temps, ce n’est pas lui et c’est lui. Ce n’est pas lui parce qu’il ne renvoie pas cette image dans ses interactions. Ses colères, il les exprimait de cette manière, exclusivement. Nous n’avons pas le souvenir de Zidane prenant la parole à la mi-temps d’un match, en tapant du poing sur la table.
Avez-vous parfois eu des désaccords sur la façon de raconter certains événements ?
GE : En réalité, nous avons écrit chacun de notre côté, puis Faro a interprété cela à sa manière. Nous avons fourni une matière à partir de laquelle il a ajouté ses propres idées. Il n’y a jamais eu de conflits ; nous étions totalement en accord, car Zidane est une personne que nous admirons. Pour ses qualités, mais aussi pour ses faiblesses. Lors de la finale de Ligue des champions en 2002, il marque le but qui a marqué toutes les finales de C1. Parce que c’est Zidane. Lors de sa première finale de Coupe du monde, il marque deux buts de la tête. Jamais on n’aurait pu imaginer cela auparavant, mais c’est Zidane. En 2006, il a une sortie unique et inimaginable, qui a bouleversé toute la France. Parce que c’est Zidane. C’est cela, les grands destins.
AF : Il déclarait avant la finale, « il faut qu’on s’en souvienne ». Donc il réussit sa panenka. Mais de là à sortir sur un carton rouge lors de son dernier match en tant que joueur professionnel… D’une certaine manière, il a vraiment poussé le concept à l’extrême.
GE : Autant ses autres expulsions semblent être des réflexes, des impulsions du moment. Cependant, ici, l’action s’étend sur un certain temps. Il ne donne pas le coup de boule immédiatement, lorsque l’autre commence à lui parler dans la surface. Cela intervient après un délai. Cela signifie qu’il a réfléchi à ce qu’il allait faire. Que se passait-il dans sa tête à cet instant ? Quelle sortie voulait-il avoir ?
[Il coupe] AF : Oh, tu penses ? Non, tu vas trop loin là.
GE : Non ! Je ne sais pas. Nous ne le saurons jamais. Car lui ne le racontera pas. Que s’est-il passé dans l’esprit de Zidane pendant ces 15 secondes ? Lui seul le sait. Le coup de boule qui finit par arriver, qu’est-ce que c’est ? C’est Léonard de Vinci. C’est un artiste génial. Il vient de peindre sa Joconde personnelle. Une sortie magistrale, extraordinaire. Si la France avait gagné la Coupe du monde grâce à son geste ? Oui, mais cela aurait été la deuxième fois. Le Ballon d’or derrière ? Il l’avait déjà eu. Cela aurait été une sortie magnifique mais banale. Là, elle est extraordinaire, au sens littéral du terme. Pour moi, c’est un génie, un artiste qui a réalisé sa dernière toile dans la violence. Picasso qui crée des œuvres en projetant de la peinture comme ça [il mime le geste]. Pour moi, c’est Zidane.
Quel est, selon vous, le tournant dans la vie de Zidane ? Est-ce son départ pour Cannes, sa rencontre avec sa future femme, ou la Coupe du monde 1998 ?
[Ils hésitent] AF : J’ai une anecdote. Un jour, Dugarry et lui discutent après avoir perdu la finale de la Coupe de l’UEFA avec Bordeaux [en 1996]. Ils se préparent à l’Euro, et se disent qu’ils sont tellement bien ici… Le niveau des Girondins, combiné avec ce qu’ils réalisent en équipe de France, leur convient parfaitement. Ils ne souhaitent pas aller plus haut. Ils envisagent d’aller voir Alain Afflelou [le propriétaire] pour lui demander une augmentation et déclarer qu’ils souhaitent rester à vie aux Girondins. Ils imaginent qu’Afflelou sera ravi. Pourtant, lui sait qu’il y a des dizaines de millions de francs en jeu. Donc, il leur dit qu’il faut partir. Zidane rejoint la Juventus, et c’est à Turin qu’il apprend la culture de la victoire, le véritable haut niveau. S’il ne fait pas ce saut à ce moment-là de sa carrière, nous n’avons peut-être pas 98.
GE : Cette anecdote résume parfaitement le personnage. Imaginez, s’ils étaient restés à Bordeaux, ils auraient manqué de nombreuses opportunités étant l’un des meilleurs footballeurs du monde. Mais pour lui, c’était le plaisir du jeu. Il se sentait bien, avec ses amis, sans contraintes de l’entraîneur. Cela lui suffisait ! Ensuite, tout ce qui lui est tombé dessus, la gloire, il ne s’était pas préparé à cela, contrairement à d’autres. Cristiano Ronaldo et Mbappé, eux, étaient parfaitement préparés. Lui, pas du tout.
Vous concluez en laissant la porte ouverte vers le poste de sélectionneur. Est-ce que l’on mesure bien ce que cela va représenter, Zinédine Zidane à la tête des Bleus ?
GE : Non, car c’est absolument colossal.
AF : Ce qui sera intéressant de voir, c’est si, bien qu’il bénéficie d’une image incroyable, celle-ci serait ternie s’il échouait. Deschamps a atteint des sommets, et on constate que ces trois ou quatre dernières années, c’est plus compliqué pour lui en termes d’image, de popularité. Est-ce que Zidane, avec sa personnalité et sa stature, pourrait, même en cas d’échec, toujours être considéré comme un dieu ? Cela, l’avenir nous le dira.

