Vendée Globe : « Je ne joue pas avec ça »… Du lapin aux offrandes, les légendes ont la vie dure chez les marins
Oubliez les baleines, les orques, les dauphins ou tout autre cétacé plus gros les uns que les autres qu’il est possible de heurter dans les mers du monde. S’il y a bien un animal que les skippeurs du Vendée Globe craignent, c’est bien le lapin. Oui, le lapin, vous avez bien lu. La petite bestiole aux grandes oreilles est l’ennemi d’une grande partie de la flotte. Et il est bien sûr hors de question de prononcer ce mot à bord sous peine de vous retrouver à la baille, mains et pieds liés, sans gilet de sauvetage à disposition.
Non pas que quantité de bateaux aient heurté un lapin en pleine mer, mais que voulez-vous, les légendes et les croyances dans le petit monde de la voile sont tenaces. Et on préfère les respecter au risque de voir la foudre et tous les malheurs s’abattre sur son Imoca. Concernant le lapin, deux versions divergent.
- « La racine latine de lapin, c’est “cuni”, le sexe de la femme, explique Eric Bellion (Stand as One). A l’époque, on disait que les femmes portaient malheur sur les bateaux. Quand il y avait 500, 600, 700, 800 hommes à bord, qui étaient souvent des repris de justice, avoir une femme, ça mettait le boxon, ça pouvait entraîner des mutineries, des maladies… »
- « A l’époque de la marine à voile, comme tu n’avais pas de quoi conserver du frais, et qu’il fallait prendre de quoi manger pour des mois et des mois, ils emmenaient des animaux vivants, et notamment des lapins, détaille Louis Burton (Bureau Vallée). Et, les lapins, dans les cages, ils bouffaient le cordage, le calfat, qui faisait l’étanchéité. »
« Je n’ai envie de courroucer personne »
En naviguant au large de Lorient avec Samantha Davies, à bord d’Initiatives Cœur, on a un peu tremblé, et pas qu’à cause des remous, au moment de lui poser la question autour de « l’animal aux grandes oreilles », avant de défaillir et de croire que le bateau allait chavirer lorsque l’Anglaise a répondu du tac au tac : « Ah, le lapin »… Autant dire qu’elle ne croit pas spécialement à cette légende, même si elle la respecte car « beaucoup de Français dans mon équipe y sont sensibles ».
A l’inverse de Samantha Davies, d’autres skippers sont convaincus que prononcer celui dont on ne dit pas le nom peut leur être fatal. A tel point que les piles Duracell sont interdites à bord d’un Imoca ou alors le paquetage découpé soigneusement pour éviter que l’animal ne se retrouve à bord de quelque forme qu’il soit. « Pendant longtemps, je refusais d’embarquer du pâté de lapin, ma femme avait également la manie de lire tous les ouvrages que j’emportais et de déchirer les pages mentionnant le mot “lapin” », expliquait Loïck Peyron à Ouest-France.
« « Jamais je ne dirais le mot “lapin” à bord, insiste de son côté Eric Bellion. Ma fille de 2 ans et demi, elle dit déjà “polopolop” au lieu de “lapin”. Je n’ai pas du tout envie de jouer avec ça, je sais que je ne suis rien. Et comme je ne suis rien, je n’ai pas envie de… Je pense que l’océan est un être vivant, je pense que mon bateau est aussi un être vivant. Donc, je n’ai envie de courroucer personne. » »
Vade retro satanas
Dire le mot « lapin » à bord n’est pas le seul crime de lèse-majesté parmi les légendes de la voile. « Mettre un bateau à l’eau un vendredi, ça porte malheur, assure Charlie Dalin (Macif) Si je peux éviter de mettre mon bateau le vendredi, c’est plus dans le doute. Au cas où il y a un bureau des mecs qui se disent : « Tiens, il a mis son bateau le vendredi, on va lui faire une merde ». Normalement je ne suis pas trop superstitieux, mais il y a des trucs que tu fais plus ou moins. »
Comme ne pas porter de vert lorsqu’on est partis au large ou emporter des bananes à bord, ce qui pourrait provoquer la perte de l’embarcation. « Je n’en prends pas, affirme Samantha Davies, beaucoup plus catégorique sur le fruit que sur le lapin. Après, si j’ai du muesli avec des bananes, je ne vais pas les enlever. A un moment, mon préparateur était obligé d’enlever les bananes de mes paquets de Haribo. » Des traditions étrangères viennent également pimenter ces petits ajustements.
Attention au passage de l’Equateur
« Nous avons beaucoup de traditions, même certaines que je ne connais pas moi-même, nous indique le Chinois Xu Jingkun (Singchain Team Haiku). Par exemple, si on mange un poisson à bord, il ne faut pas dire le mot “retourner le poisson”, ça porte malheur, car ça veut dire “retourner le bateau. On utilise autre chose. » « Quand on jette des graines de prune à la mer, on peut avoir plus de vent, ajoute le Japonais Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One). Quand j’arrive à l’Equateur, je jette beaucoup de graines de prune. »
Le passage de l’Equateur est également un moment sacré pour Charlie Dalin, qui a un peu oublié son devoir et s’est fait punir instantanément par les forces du mal. « La petite offrande à Neptune [dieu de la mer dans la mythologie romaine], c’est une petite tradition que j’essaie de respecter. Je ne l’ai pas fait la dernière fois et j’ai eu un problème de foil dans l’océan Indien. Je me suis dit que, dans le doute, je vais quand même faire un petit truc pour le passage de l’Equateur. » Les baleines seront là pour vérifier.