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Vendée Globe 2024 : Yoga, sieste, bricolage et frustration… Que font les skippeurs quand il n’y a pas un pet de vent ?

On ne sait pas si les skippeurs du Vendée Globe sont tous fans de Louise Attaque, mais certains ont quand même dû fredonner avec insistance « Allez, viens je t’emmène au vent, je t’emmène au-dessus des gens », histoire de faire basculer le destin. Car si les Canaries et le Cap-Vert demeurent des destinations prisées par le commun des mortels, elles vont venir hanter nos marins à cause du calme plat qui y régne.

Pas un pet de vent, pas une bourrasque, pas un souffle, rien, pendant de trop nombreuses heures dans cette descente de l’Atlantique nord. Collés à la mer, empétolés, ceux, comme Sam Goodchild (Vulnerable) ou Yoann Richomme (Paprec Arkéa), qui s’étaient envolés depuis le début de la course, le 10 novembre aux Sables-d’Olonne, où les conditions étaient à peine meilleures, ont vu le reste du peloton revenir. Et ceux partis à l’est, pensant échapper au freinage général, se sont retrouvés à quai.

« Un fort potentiel de s’incriminer soi-même »

Des passages à 1 nœud (1,8 km/h) de moyenne, comme pour Conrad Colman (MS Amlin), de quoi vous faire regretter de ne pas avoir amené des rames ou un sifflet ultrason pour rameuter un banc de dauphin, leur lancer une corde pour être tracté jusqu’au Cap de Bonne Espérance. « Les skippeurs sont plutôt les gens un peu nerveux, un peu tendus, nous explique le Néo-Zélandais depuis son bateau. C’est un atout, mais ça peut vite devenir une énergie toxique si on est coincé et surtout après avoir pris telle option, différente du reste de la flotte, il y a un fort potentiel de s’incriminer soi-même, de se dire que je suis nul, que je ne suis un bon à rien. »

Conrad Colman sait de quoi il parle. Lors d’une précédente course, en 2010, avec un vent réduit à peau de chagrin, il avait pété un plomb, crié jusqu’à perdre sa voix. « Je n’étais pas très sympa avec moi-même, jusqu’au point de me faire mal, parce que j’étais tellement frustré », relève-t-il. Encalminé avant d’aborder le pot-au-noir, Eric Bellion (Stand as one) est lui aussi passé par des états de souffrance ultime :

« Quand c’est pétole, tu n’as plus que la grand-voile qui est haute. Comme il n’y a plus d’air, elle n’est pas gonflée, et en fonction des vagues, elle va d’un bord sur l’autre. Tu as tout le bateau qui vibre, qui est d’un côté. Et puis deux secondes après, de l’autre côté. Tu as l’impression que tu vas tout casser. Nerveusement, c’est hyper dur. »

« Pas de culpabilité à dormir quasiment toute la nuit »

Avec la sagesse et l’expérience, Conrad Colman, fier de lui, a réussi à prendre du recul sur la situation, alors qu’il était presque à l’arrêt : « Je ne me suis pas renfermé avec mes émotions, avec la déception je me suis concentré juste sur moi et mon bateau et du coup je profite de ce moment pour faire un check complet de l’avant jusqu’à l’arrière du bateau, pour vérifier que tout allait bien. » Dans une situation moins désespérée que son semblable (vitesse de 4 nœuds dans le pire des cas), Éric Bellion a lui fait du bricolage sur son Imoca, qu’il n’avait pas eu le temps d’effectuer jusque-là.

Mais les deux hommes en ont surtout profité pour recharger les batteries, après une semaine de course, avant d’affronter le terrible pot-au-noir, avec des conditions très instables annoncées, et les mers du Sud. « Il va falloir être sur le qui-vive sans arrêt et je sais que je ne vais pas beaucoup dormir, estime le Versaillais. Donc là, je fais le plein. Je n’ai pas de culpabilité à dormir quasiment toute la nuit, à me réveiller de temps en temps d’un œil pour voir si tout va bien. Je fais des grosses siestes. Je dors, je dors, je dors. »

Même chose chez Conrad Colman, qui a ajouté quelques séances de bien-être pour le corps. Pas de spa, de thalassothérapie ou de massage, on fait avec les moyens du bord. « J’ai pris le temps de bien manger, de faire du yoga, de faire des étirements et surtout de bien dormir parce que ces périodes-là (on y revient), ça peut vite te bouffer les nerfs. » Et tous les skippers ont aussi pu bénéficier d’une aide de dame nature pour reposer les esprits.

Non, ce n'est pas un tableau de peintre
Non, ce n’est pas un tableau de peintre - C. Colman

Des paysages exceptionnels

Avec une mer d’huile devant elle, la flotte a pu se ressourcer avec une vue à couper le souffle, celle qui vous fait poser mille questions alors que vous restez sagement derrière votre écran d’ordinateur. « Le coucher de soleil, avec le reflet de la lune et les étoiles, c’est magique, s’enthousiasme Colman. Il faut être ouvert à cette beauté, pour se dire que dans le Vendée Globe, comme dans la vie, il y a tout, il y a les moments calmes, il y a les moments un peu en tempête. Il faut profiter de ce paysage, en sachant que c’est rare, c’est très très rare d’être totalement empétolé comme ça. Profiter, c’est un mot un peu difficile, mais admirer tant qu’on peut, parce que c’est unique dans la vie de l’individu. »

Même sentiment du côté d’Éric Bellion : « J’en profite pour rêver à mort aussi, parce que ça donne des jolis couchers de soleil, des levées de lune, t’as zéro stress. C’est quand même vachement bien. Quand le bateau est à 15 nœuds, ça fait un bruit d’enfer. Là, il n’y a pas de bruit dans le bateau, c’est juste le bruissement de l’eau sur la coque. Moi, je ne me plains pas, je fais le plein. Après, ça ne sera pas pareil dans les mers du Sud. » Faire du yoga en pleine tempête, ce n’est effectivement pas le plus simple.