Vendée Globe 2024 : Pourrait-on assister un jour à une course par équipe de deux bateaux, un peu comme en Formule 1 ?
Il y a des expressions comme ça qui nous font souffler. Evoquez « la Belle endormie » aux Bordelais et vous vous ferez insulter sur plusieurs générations, pire que si vous osiez un petit « pain au chocolat » en bord de Garonne. Même yeux qui roulent quand il s’agit d’évoquer le Zidane du….. (insérer pays ou département) au moindre joueur de foot un tantinet technique. Dans la voile, surtout en temps de Vendée Globe, on va vous rebattre les oreilles avec ces fameuses « Formule 1 des mers ».
Des bolides remplis de technologie qui vont très vite et l’analogie entre les Imocas et les monoplaces tombe rapidement. On pourrait même aller un peu plus loin. Cette année, comme une écurie de F1, le projet Vulnerable envoie deux bateaux, menés par Thomas Ruyant et Sam Goodchild. Une sorte de doublette Red Bull Max Verstappen-Sergio Pérez des océans. Une première dans l’histoire du Vendée Globe.
« Quand on a lancé la construction d’un nouveau bateau pour ce Vendée Globe, on se disait que ça serait intéressant de garder, avec un nouveau skippeur, celui qui a fait la Jacques-Vabre en 2021 et la Route du Rhum en 2022, pour aller plus vite dans la compréhension de ce nouveau bateau, nous explique Thomas Ruyant, qui fait partie des favoris. Quand j’ai commencé à en parler dans l’équipe, tout le monde n’était pas forcément ravi, parce que tu partages les connaissances, tu donnes un petit peu à la concurrence les clés d’un bateau qu’on sait très bon. »
« L’esprit d’une équipe »
La barre a donc été donnée à l’Anglais Sam Goodchild, qui disputera son premier Vendée Globe. Depuis deux ans, les deux skippeurs échangent énormément, sans filtre. « On a fait des briefings techniques qui se font en petits cercles, en petits groupes autour du skippeur, du »boat captain », de l’équipe technique qui est dédiée au bateau, développe Thomas Gavériaux, directeur de l’écurie TR Racing et du projet Vulnerable. Mais, par contre, tout ce qui est préparation météo ou préparation sportive, que ce soit pour aller à un entraînement ou sur une course, on fait toujours tout en commun. C’est fondamental dans la démarche qu’on a construite de le faire comme ça. »
« Un peu comme une écurie de F1, résumait Goodchild quelques semaines avant la course. Si le collectif est plus fort, on sera tous les deux plus forts. Je vais lui donner des infos, parfois il me donne des infos, on travaille sur les mêmes données. Après une navigation, il y avait un souci sur mon bateau. On l’a tout de suite partagé avec l’autre, donc ils ont changé certains éléments pour qu’il ne connaisse pas le même problème. C’est vraiment l’esprit d’une équipe. »
Certains membres du petit monde de la voile ont été assez dubitatifs en voyant l’émergence de ce projet à deux bateaux. Avant de finalement être conquis, voire admiratif comme Samantha Davies (Initiatives cœur) : « Il y a tellement de choses que nous, on fait chacun de notrte côté, car on n’a pas envie de partager, puisqu’on est concurrents. Avoir une équipe de deux bateaux, c’est très malin, ce n’est pas facile à faire, puisque sans favoritisme, il faut vraiment bien collaborer. Et en collaborant à deux bateaux, on peut vachement réduire nos budgets. Ça permet d’avoir deux bateaux avec une meilleure préparation, et peut-être des meilleurs équipements.
Mutualisation des coûts
C’est notamment le cas de Jean Le Cam (Tout commence en Finistère) et Eric Bellion (Stand As One), qui ont travaillé main dans la main pour préparer ce Vendée Globe en construisant deux nouveaux bateaux (sans foil) pour cette dixième édition. « L’idée, c’était de montrer que la performance peut être respectueuse de la nature, explique Bellion. On a mutualisé les moules du bateau, les achats pour faire des économies d’échelle, les développements, les traitements d’avaries. ça nous fait gagner de l’argent et du temps. Les bateaux, ils nous ont coûté plus d’un million d’euros moins cher. »
Eux aussi, même s’ils sont sur deux projets différents, ont rassemblé leurs informations, sans garder dans leur coin un petit secret de fabrique. « En 2023, j’ai eu une avarie sur la transat Jacques-Vabre, donc je n’ai pas pu faire mes deux transats de l’année, raconte Bellion. Jean les a faites, et quand il est rentré, il m’a montré sa job list avec tout ce qu’il avait découvert sur le bateau pendant la course. Ses équipes, elles viennent sur mon bateau quand elles veulent pour observer tout ce qu’on fait, et nous aussi, pareil. »
Chacun pour soi en course
Tout ça c’est bien mignon, mais le Vendée Globe reste une course en solitaire, et voir ces alliances, ces projets communs se développer pourrait-il remettre en cause le fondement de la course ? Pas pour toute de suite, en tout cas, car le règlement ne le permet tout simplement pas : pas d’assistance entre les skippeurs, pas de stratégies discutées en scred, caché sous la bannette. « Il n’y a aucune consigne, assure Thomas Gavériaux. Ils feront chacun leur Vendée Globe. Ce n’est pas une course par équipe, c’est une course individuelle, c’est chacun pour soi. Ce sont des compétiteurs. »
« Sam sera un concurrent comme un autre, ajoute Thomas Ruyant. Même s’il y a une affinité particulière, et un fonctionnement commun en amont, il n’y aura pas de jeu d’équipe, ou on ne demandera pas à Sam de me laisser passer, ou à moi de laisser passer Sam. Chacun fera sa course et donnera le meilleur. »
Reste que le projet lancé par TR Racing pourrait donner des idées à d’autres partenaires, espère Thomas Gavériaux. Jusqu’à, pourquoi pas, développer une vraie team, avec deux bateaux similaires. « On n’y est pas encore, mais ce serait vachement bien, s’enthousiasme Louis Burton (Bureau Vallée). Moi, j’adorerais qu’il y ait un bateau 1 et un bateau 2. » Reste à définir qui des deux sera Max Verstappen ou Sergio Pérez. Il y a un palmarès à construire.