Sport

Vendée Globe 2024 : Houles, vagues de dix mètres… Bienvenue dans les mers du Sud, « où on flirte avec les limites »

Les grands albatros sont heureux. Après quatre ans à voir toujours les mêmes visages, des manchots d’Adélie par ici, des pétrels des Kerguelen par là, revoilà une attraction bien plus singulière : la trentaine d’embarcations du Vendée Globe, qui affrontent les mers du Sud après avoir passé le Cap de Bonne Espérance. La tête de la course, à l’image de Charlie Dalin ou Sébastien Simon, est déjà en plein dedans, pendant que le reste de la flotte s’apprête à entrer dans ce « monde différent », comme nous l’a expliqué Paul Meilhat (Biotherm), neuvième de la course.

Un monde différent de ce que les skippeurs ont trouvé depuis leur départ des Sables-d’Olonne le 10 novembre. Des conditions de navigation idéales, une vitesse de croisière, du soleil, pas de grosses embûches, aucune avarie, hormis pour Maxime Sorel et Louis Burton. Bref, très tranquille, comme une régate. « Comment ça tranquille ?, nous rétorque le dernier vainqueur du Vendée Globe Yannick Bestaven (Maître Coq, 8e). On a battu tous les records. On a fait plus de cinq jours à 25 nœuds de moyenne pour les foilers, ce ne sont pas des conditions calmes. »

« Un coup dur se prépare derrière »

Mais rien de comparable à ce qu’ils vont affronter dans les mers du Sud, à commencer par une petite tempête qui va leur tomber sur la tête mercredi ou jeudi. Au programme : 35 nœuds de vent (65 km/h), des rafales à plus de 50 nœuds (92 km/h), des vagues de dix mètres de haut… Effrayant. « Les mers du Sud, c’est vraiment les houles assez importantes, avec les dépressions qu’il faut essayer de voir venir de loin pour ne pas se retrouver dans des situations dangereuses », note Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence), qui va débarquer dans le bazar dans les prochaines heures.

« Le plus dur à gérer, c’est la durée. On peut se retrouver pendant 4-5 jours dans du vent, avec de la houle, un peu enfermé, cloîtré dans son bateau, à attendre que ça passe, reprend la skippeuse. Les moments de répit sont assez peu nombreux, parce qu’il y a tout de suite l’inquiétude. Quand il y a un moment de répit, il y a forcément un coup dur qui se prépare derrière, avec à nouveau une météo compliquée. »

La météo, justement, est beaucoup plus difficile à analyser tout en bas du globe. Les prévisions sont aléatoires, les changements réguliers et donc les manœuvres beaucoup plus nombreuses. Comme en témoignent celles de Yoann Richomme, qui se bat dans le trio de tête, parti plein nord en direction de Madagascar. « On va se prendre une sacrée « prune », détaille-t-il dans un communiqué. Dans le centre de la dépression, il y a 60 nœuds de vent, ce qu’on va éviter d’aller chercher. Par le Nord, ça me permet d’avoir une échappatoire en cas de problème, de me diriger dans des eaux plus calmes sans être coincé par la zone des glaces. »

Pas faire une Escoffier bis

Le but de tout ce beau monde est évidemment d’éviter la casse et des avaries, comme celle vécue par Kévin Escoffier il y a quatre ans, au sud-ouest du Cap de Bonne Espérance. A cause d’une voie d’eau, il avait dû quitter son bateau, et il avait finalement été secouru par Jean Le Cam, après plusieurs jours cauchemardesques. Car l’arrivée dans les mers du Sud marque aussi l’éloignement avec toute forme de vie humaine et donc de potentielles équipes de secours.

« Il y a un peu d’appréhension quand on est là, assure Paul Meilhat. On sait qu’on peut compter que sur soi et éventuellement sur les adversaires. C’est mon troisième océan Indien, j’ai l’impression de mieux gérer ça, mieux anticiper et le bateau est mieux préparé au mauvais temps. C’est ça qui est aussi intéressant, c’est de flirter avec les limites, et savoir ce qu’on est capable de supporter. »

Isabelle Joschke (MACSF), lors de sa précédente participation au Vendée Globe s’était juré de ne plus mettre les pieds et un bateau dans ces terribles mers du Sud, après une expérience pas folichonne. Elle n’a évidemment pas tenu sa promesse et va y retourner dans quelques jours. Avec pas mal d’appréhension. « Je sens qu’il y a quelque chose en moi qui doit se reconfigurer pour se préparer à vivre des semaines qui ne vont pas forcément être faciles et qui, dans tous les cas, ne vont pas être confortables. J’essaie de laisser derrière tous les vieux souvenirs pas sympas et de m’ouvrir aussi à quelque chose de nouveau. Ça bataille un peu intérieurement. »

Une « grosse fracture » peut se créer

Tout cet environnement peut-il permettre de voir le départ d’une nouvelle course ? « C’est une deuxième étape, pas une nouvelle course, parce qu’il y a déjà des positions qui sont déjà établies, assure Bestaven, plutôt content d’être dans les mers du Sud. C’est une autre façon de naviguer. » A la manière de la Trouée d’Arenberg sur Paris-Roubaix, on ne gagne pas le Vendée Globe dans les mers du Sud, mais on peut le perdre.

Toute l’actu du Vendée Globe

« La gestion de cette dépression qui va les cueillir, c’est sûr que ça risque d’être important, affirme Hubert Lemmonier, le directeur de la course. Ça peut créer une grosse fracture, mais je ne pense pas que ça mette quelqu’un vraiment hors d’atteinte. Je pense qu’il faudra même attendre le Pacifique et peut-être le Cap Horn pour se faire une bonne idée et faire un premier bilan. » On sait déjà que les albatros, vastes oiseaux des mers, qui suivent, indolents compagnons de voyage, le navire glissant sur les gouffres amers, pleureront.