Tennis de table : Jérémy Surault, le magicien derrière les capacités physiques hors norme d’Alexis et Félix Lebrun

Dans l’entourage de Félix et Alexis Lebrun, on commence à identifier quelques têtes connues. Nathanaël Molin, bien sûr, l’entraîneur présent sur la chaise au plus près des exploits de ses poulains. Dominique Lebrun, également, la maman qui n’est jamais très loin en tribunes, avec les deux sœurs Roxane et Margaux Lebrun. Mais l’irrésistible ascension des frangins, aujourd’hui tous les deux dans le top 10 mondial au moment de démarrer les championnats de France ce vendredi à Levallois-Perret, porte aussi l’empreinte d’une personne moins familière du grand public : le préparateur physique Jérémy Surault.
Le jeune quadra escorte les deux garçons depuis toujours, en fait. Joueur de tennis de table de bon niveau, en parallèle de ses études en STAPS, il travaillait déjà pour le club de Montpellier quand ils sont arrivés, à peine sortis de l’école maternelle. Il s’est occupé d’eux comme de tant d’autres gamins du coin, avant de voir sa mission évoluer au fur et à mesure de l’éclosion des deux petits génies. Alexis (21 ans) et Félix (18 ans), qu’il suit dans tous les grands tournois ainsi qu’en équipe de France, accaparent aujourd’hui les trois quarts de son année. Pour son plus grand bonheur.
Energique, inventif, Jérémy Surault a trouvé dans ces deux petits gars les sujets parfaits pour développer une méthode dans laquelle il croit dur comme fer. « J’ai toujours apporté une attention particulière au traitement de l’information, à la capacité à percevoir, à comprendre, à réagir vite, et pas seulement au développement physique pur. Parce que ça, tout le monde peut le faire », nous explique-t-il, attablé au deuxième étage du Palais des Sports Marcel-Cerdan, où se disputent ces championnats de France.
Echecs et ping
Pour ça, il s’est constitué tout au long de ses années de pratique un panel très large d’exercices pour stimuler le cerveau de ses athlètes. « Le principal facteur de performance, c’est la capacité à s’adapter à l’adversaire et aux situations. Et pour développer ça, il faut avoir été confronté à plein de situations, très variées. » Les images diffusées dans un reportage de « Stade 2 » où l’on voyait Alexis et Félix jouer une partie d’échecs entre deux échanges à la table sont celles qu’on ressort à chaque fois en exemple, mais des petits exercices comme ça, il en a des milliers en stock.
« Oui, les échecs, je ne le fais pas tous les jours, en sourit-il. Il y a majoritairement plein d’autres choses, plein d’exercices complètement différents, qui sont créés sur le moment parce que ça répond à des besoins. Quand on commence un exercice avec Félix et que je vois que ça fonctionne, j’essaye de le complexifier. Ce n’est pas quelque chose que j’ai prévu à l’avance, ça vient tout seul. Je suis très créatif, j’adore ça. »
Les frangins se retrouvent ainsi à devoir effectuer un huit avec leur main entre deux balles qui rebondissent, ou se faire des passes au pied avec un ballon de foot en même temps qu’ils se renvoient la balle avec leur raquette. Le rythme est soutenu, ça bosse dur, mais bien souvent ça se termine par des grands éclats de rire et du chambrage de bon aloi.
« Ça a matché direct avec nous parce qu’on adore rigoler, faire des choses variées, ludiques, observait Félix dans une vidéo tournée pour Brut l’année dernière. Tout ça ne se faisait pas dans le ping, il a été en avance là-dessus. C’est difficile à appréhender mais comme on a commencé très jeunes avec lui, on a vite progressé et ça nous aide beaucoup. »
L’aspect récréatif de la chose ne doit pas faire oublier l’objectif final, bien sûr : faire les choses mieux et plus vite que les autres à la table. Le travail de Jérémy Surault se compose de deux grands axes, qu’il énonce ainsi :
Transférer les capacités physiques dans le jeu
« Ce transfert, c’est la clé de voûte de la préparation physique selon moi, et c’est souvent sous-estimé. Pour cet aspect-là, c’est souvent l’entraîneur qui me stimule par des demandes particulières, des problématiques techniques qu’il souhaite travailler. »
L’aspect traitement de l’information
« C’est bien de voir les choses, mais combien de temps il se passe entre le moment où ça arrive et le moment où je vois ? Entre le moment où je vois et celui où je comprends ce qui se passe ? Entre le moment où je comprends et celui où je vais choisir la réponse ? Entre le moment où je vais choisir la réponse et celui où je vais commencer à bouger ? J’aime bien stimuler tout ça. »
Volontiers partageur de ses recettes sur sa chaîne YouTube ou son compte Instagram, le préparateur physique fait désormais plus attention à ce qu’il diffuse sur les réseaux sociaux. « Les Chinois commencent à regarder ce qu’on fait de très près, assure-t-il. Je donne des petites touches, mais jamais le sens profond du travail que l’on fait. » Car tout ce boulot de l’ombre n’est certainement pas étranger à la réussite des deux jeunes Français, qui s’approchent toujours plus près de l’élite chinoise, référence planétaire depuis le milieu des années 90. Félix Lebrun est par exemple perçu comme un joueur quasiment impossible à déborder dans l’aire de jeu. « C’est dû notamment à ma capacité visuelle. Je prends l’information et pense plus vite que beaucoup de joueurs, et c’est grâce à ce travail », estime le benjamin.
Dernières marches vers les sommets
Mais attention, le boulot physique pur et dur n’est pas mis de côté pour autant. Alexis, avec « ses cuisses de rugbyman », comme dit son coach, est l’un des meilleurs athlètes du circuit, « rapide, puissant, qui se tient ». Pour son petit frère, « on a encore une vraie marge de manœuvre, parce qu’il termine juste son adolescence », reprend Surault. Après les JO, il a eu droit à un bloc de travail de cinq mois pour renforcer tout le bas du corps, passage obligé pour aller voir encore plus haut, même s’il a fallu sacrifier quelques résultats sportifs en chemin. « Son corps a changé, au début il avait du mal à s’organiser dans l’espace et à la table, donc ça a été compliqué sur certains matchs. Aujourd’hui, ça commence à aller mieux », détaille son préparateur.
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Le temps joue pour eux, de toute façon. Si des objectifs sportifs ont été définis pour cette année 2025, toute la « cellule Lebrun » réfléchit à un plan sur quatre ans, jusqu’aux prochains JO de Los Angeles. Le travail du moment consiste à mettre en place des automatismes de jeu qui fonctionnent face au top 3 mondial, et plus seulement face à ceux qui évoluent dans leur cour, entre le top 5 et le top 15.
« On a établi qu’il faut être capable d’être meilleur de la troisième à la cinquième balle sur les meilleurs joueurs du monde, illustre Jérémy Surault. C’est ce qui nous a fait défaut en demi-finales des JO pour Félix, par exemple. » On le voit à sa tête et son regard malicieux, il est déjà en train d’imaginer les exercices qui aideront ses poulains à franchir les dernières marches du classement mondial.