Roland-Garros 2025 : Carlos Alcaraz – Jannik Sinner, une finale d’anthologie et des émotions pour les 10 ans à venir
De notre envoyé spécial à Roland-Garros,
Tout le monde attendait l’apothéose de cette rivalité naissante pour avoir une idée plus précise de ce qu’elle aurait à nous offrir. Mais personne n’avait imaginé ça. Pour leur premier affrontement en finale d’un tournoi du Grand Chelem, dimanche à Roland-Garros, Carlos Alcaraz et Jannik Sinner ont sorti les pinceaux pour en faire une œuvre d’art, un morceau d’histoire, de ceux qui restent dans les livres et qu’on se raconte de génération en génération. Et si c’est l’Espagnol qui est reparti avec le trophée dans les bras au bout d’une épique bataille de 5h29, c’est en duo qu’ils en sont sortis grandis.
L’ère du « big 2 » ?
Numéros 1 et 2 mondiaux, désormais vainqueurs des six derniers tournois du Grand Chelem (trois chacun), l’Italien (23 ans) et l’Espagnol (22 ans) ont mis les petits plats dans les grands pour marquer leur territoire et montrer au monde que le tennis avait un bel avenir, malgré les retraites de Roger Federer et Rafael Nadal, en attendant celle plus si lointaine de Novak Djokovic. L’ère du « big 3 » est terminée, une nouvelle s’ouvre et si c’est pour admirer des matchs du niveau de cette finale, on est prêt à se prosterner devant ce nouveau « big 2 ».
Bien sûr, pour insuffler de la vie dans tout ça, il faudra que d’autres têtes viennent se frotter aux deux nouveaux patrons, voire les dépasser de temps en temps. Certains de leur génération ont le pedigree, comme Jack Draper (23 ans), Lorenzo Musetti (23 ans) ou Ben Shelton (22 ans). Plus loin, on peut miser sur Joao Fonseca (18 ans), et pourquoi pas Arthur Fils (20 ans), pour lequel il n’est pas interdit de rêver. Mais en attendant, donc, savourons ce moment, cette rencontre à 123 coups gagnants, ces premières pages d’une histoire qui s’écrit déjà en lettres d’or.
« C’était le match le plus excitant de ma vie, estime Alcaraz. J’ai aimé jouer à ce niveau contre Jannik. J’ai aimé ce combat. Ça m’a paru vraiment irréel, parfois. » Il n’est pas le seul, loin de là. « C’est bien de voir que l’on peut produire un tennis de ce niveau, apprécie également sa victime du jour, malgré la défaite. C’est bon pour notre sport, pour le public. L’ambiance était extraordinaire aujourd’hui [dimanche] ! En faire partie est très spécial pour moi. J’en suis heureux, même si bien sûr je l’aurais été encore plus si j’avais pu soulever le trophée. »
Opposition de styles
Comme toute bonne rivalité, celle qui s’installe entre les deux hommes se nourrit de leurs différences. « Avec Jannik et Carlos, on a tout ce qu’on pouvait espérer. Des gars sympas, des styles contrastés et une domination sans partage, disait le double vainqueur de Roland (1991 et 1992) Jim Courier dans L’Equipe dimanche matin. Alcaraz est un joueur d’instinct. Rien n’est planifié chez lui. Son instinct est celui de l’agressivité et des coups spectaculaires. Son meilleur [niveau] est plus haut que celui de Sinner, mais le pire est beaucoup plus bas. »

Le tempérament de feu d’Alcaraz face à la régularité destructrice de Sinner, en somme. Ce que dit l’ancien champion américain vaut pour leurs affrontements directs, mais cette opposition se retrouve également à l’échelle d’une saison. Sinner est du genre à concasser tous ses adversaires, sans jamais montrer de signes de faiblesse. Ce qui fait qu’il sera probablement numéro 1 mondial beaucoup plus souvent que l’Espagnol.
Alcaraz peut quant à lui débrancher à n’importe quel moment, contre n’importe quel adversaire. Mais il est capable d’entrer en transe quand l’histoire l’appelle. Ce qui fait qu’il comptera probablement plus de victoires en Grand Chelem au bout du compte. On serait prêt à parier gros là-dessus.
« Pour le sport, c’est absolument merveilleux, applaudit Juan Carlos Ferrero, ancien lauréat Porte d’Auteuil lui aussi et coach d’Alcaraz. Avoir ces deux garçons qui luttent pour les grands trophées, on ne peut que s’en réjouir. A chaque fois qu’ils s’affrontent, ça les pousse à monter encore leur niveau et ça va les faire progresser encore plus. »
Pas grand monde chez les observateurs, dimanche soir, pour ne pas s’emballer à la vue de ce qu’ont proposé les deux asticots, et de ce que cela annonce du tennis de demain. « Ils ont un niveau extrêmement élevé et un palmarès déjà incroyable à leur âge, note la directrice du tournoi Amélie Mauresmo. Cette rivalité sous-jacente va animer le circuit. » Et sûrement nous procurer des émotions pour la décennie à venir.
Un point essentiel, tout de même. Carlos Alcaraz a désormais remporté les cinq derniers bras de fer (8-4 depuis leur premier affrontement en 2021). Pour que la saga tienne en haleine tout le monde dans la durée, il faudra que le bilan se rééquilibre un peu. Mais l’Espagnol ne remontera pas toujours deux sets de retard, et de toute façon, il n’y a aucune fatalité à ces hauteurs. Qui eut cru à une certaine époque que Rafael Nadal battrait un jour Roger Federer en finale de Wimbledon ? C’est arrivé en 2008, au terme là aussi d’un match entré au Panthéon.
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« J’espère que ce n’est pas notre dernier match à un tel niveau, projette ainsi l’Espagnol. Je ne pense pas que cette finale sera un virage dans notre rivalité. Il va en tirer les leçons et revenir plus fort. La prochaine fois qu’on jouera l’un contre l’autre, je suis à peu près certain qu’il fera ce qu’il faut pour que ça fonctionne. On apprend l’un de l’autre et je suis sûr qu’on jouera encore des finales de Grand Chelem. » Pour notre part, les billets sont déjà réservés.