Sport

Procès Deschamps contre Riolo : retour sur une journée de dingo

Didier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de France, a déclaré au tribunal : « Cela fait quarante ans que je suis dans le milieu du football et c’est la première fois que je mène une action en justice contre un journaliste. » La décision sera rendue le 30 janvier 2026 à 13h30.

De notre envoyé spécial au TGI de Paris,

Une atmosphère d’excitation flottait ce jeudi après-midi devant la petite salle d’audience 4.01 du tribunal de Paris. En effet, il n’est pas courant de voir Didier Deschamps, l’homme aux deux Coupes du monde, se présenter en personne pour croiser le fer avec Daniel Riolo, la figure médiatique du sport français, journaliste et éditorialiste de l’After Foot sur RMC. « C’est quoi cette foule, c’est pour Sarko encore ? », interroge une passante. La force de l’habitude, sans doute. Non, chère madame, c’est pour le sélectionneur de l’équipe de France. « Ah tout ça pour ça, c’est nul », s’ajoute une avocate qui a été tenue informée de la situation.

Si celles-ci sont déçues, ce ne fut pas notre cas. Les cinq heures d’audience furent passionnantes et inédites, visant à déterminer si Daniel Riolo s’était rendu coupable de diffamation à l’encontre de Deschamps. En effet, le chroniqueur de l’After avait accusé à deux reprises, en janvier et mars 2023, Deschamps de mentir aux Français concernant la blessure de Karim Benzema lors de la Coupe du monde 2022. Une blessure qui avait conduit à un départ discrètement orchestré du Qatar, alors que l’équipe dormait paisiblement dans son hôtel à Doha. Mais il n’a pas limité ses accusations à cela, en déclarant que Deschamps « a été dans toutes les histoires belles, mais également louches du football français ».

Riolo dégaine le premier, Deschamps hallucine

Le premier à se présenter à la barre fut Daniel Riolo qui, fidèle à sa réputation, a lancé les hostilités avec une remarque provocatrice à l’encontre du sélectionneur. « Je note que lorsque Didier Deschamps critiquait Raymond Domenech, son prédécesseur, il aimait beaucoup notre émission à l’After », a-t-il déclaré sans préambule. Situé derrière lui, Deschamps ne peut contenir un rire, qu’il laissera échapper tout au long de l’audition de Riolo, affichant des mimiques qu’un dessinateur aurait aimé immortaliser, se prenant parfois la tête dans les mains pour montrer sa désapprobation.

S’agissant de ses allégations selon lesquelles Deschamps aurait été impliqué dans « toutes les affaires louches » entourant le football français, Riolo a tenté de nuancer ses propos. « Je n’ai pas accusé Deschamps de corruption ou de dopage, j’ai juste dit qu’il était présent dans les clubs concernés comme l’OM et la Juve au moment des faits. » « Mais vos auditeurs pourraient conclure qu’il était impliqué », lui répond le président de la Cour. Cela a amené Riolo à convenir qu’il serait peut-être souhaitable de préciser davantage les choses.

Concernant l’affaire Benzema, Riolo a affirmé s’appuyer sur deux sources pour soutenir que la blessure de l’attaquant était moins grave que déclarée par la FFF et qu’il aurait pu continuer avec les Bleus. La première est l’agent de Karim Benzema, Karim Djaziri, dont l’impartialité est mise en doute par les avocats du plaignant. La seconde est le docteur Hakim Chalabi, directeur de la clinique Aspetar au Qatar où Benzema a passé une IRM. Selon ce médecin, Benzema aurait souffert d’une lésion de grade 1 qui l’aurait tenu éloigné des terrains pendant dix jours au maximum. De plus, Riolo avait affirmé que le docteur Le Gall, le médecin de l’équipe de France, n’avait même pas jugé bon de se rendre à la clinique pour échanger avec les médecins, ce qui s’est révélé faux et que le prévenu finira par reconnaître.

Daniel Riolo, le journaliste de RMC, lors de son procès en diffamation, jeudi, au tribunal de Paris.
Daniel Riolo, le journaliste de RMC, lors de son procès en diffamation, jeudi, au tribunal de Paris.  - Anne-Christine POUJOULAT

Invité à témoigner quelques moments plus tard, le docteur Le Gall rejette le diagnostic de Riolo. « Je n’ai pas refusé de voir les médecins. Ça fait 29 ans que je suis dans le milieu, je peux vous assurer qu’en matière d’expérience, je suis loin d’être incompétent. Chalabi n’est pas vraiment reconnu, il n’est pas médecin, il est directeur de clinique. Pour moi, il n’est pas une référence. Quant à Aspetar, ils ont l’air d’avoir inventé la médecine. Il y a cinquante ans, c’était un caillou, le Qatar. » Cet argument est peu convaincant. Frank Le Gall maintient que Benzema avait bien une lésion de grade 2, ce qui l’aurait empêché de revenir avant les quarts de finale du Mondial, considérant que le diagnostic de M. Chalabi était erroné.

« Il a attaqué mon honneur »

La cour questionne alors Daniel Riolo sur le fait d’avoir interrogé Didier Deschamps avant de l’accuser de mensonge à l’antenne à neuf reprises début 2023. Réponse de Riolo : « Non. De toute façon, il ne m’aurait pas répondu. Déjà que nos confrères de RMC ont du mal à obtenir le micro en conférence de presse. » Ces propos suscitent rires chez Deschamps et dans la salle (et rires de ma part, ayant assisté à de nombreuses conférences, je peux assurer que cela est faux).

Après plus de quatre heures d’audience, il est enfin temps de voir le sélectionneur à la barre. Petit papier en main, il avance et déclare : « Cela fait quarante ans que je suis dans le milieu du football et c’est la première fois que j’ai recours à la justice contre un journaliste. Mais il était inacceptable de laisser passer cela, il a attaqué mon honneur et ma probité. Je suis scandalisé par ses déclarations », lance Didier Deschamps, avant de revenir sur la nuit du 19 au 20 novembre 2022, après la blessure de Benzema.

« Ils (Karim Benzema et Franck Le Gall) sont revenus de la clinique, j’ai échangé quelques minutes avec le docteur avant de rejoindre Karim dans sa chambre. Je lui ai demandé comment il envisageait la suite et il m’a répondu « c’est mort ». Je lui ai conseillé de prendre son temps et de se coordonner avec le staff pour organiser son départ le lendemain matin, après avoir dit au revoir au groupe. À mon réveil, il était déjà parti. » À ce moment-là, on doit admettre que la situation était totalement surréaliste : un sélectionneur devant le tribunal pour justifier une décision managériale prise lors d’une Coupe du monde remontant à trois ans, on avait du mal à y croire.

Décision attendue le 30 janvier prochain

Bien qu’il ait affirmé au cours de l’audience « respecter la liberté d’expression, pilier de notre démocratie », Deschamps a également tenu à rappeler que « les journalistes ont des devoirs et une responsabilité, celle de mener des enquêtes sérieuses et rigoureuses ». Ce que l’avocate de l’ancien entraîneur de l’OM a également souligné, en allant jusqu’à affirmer que Daniel Riolo « ne fait pas honneur à la profession de journaliste ». De la part de l’avocat de la défense, on tente de rappeler que Karim Benzema lui-même avait réagi à une interview de Deschamps dans le Figaro en février 2023, laissant entendre que DD avait menti.

Du côté de l’équipe de Deschamps, il sous-entend que le joueur madrilène aurait peut-être été influencé – pour ne pas dire poussé – par son entourage à réagir rapidement sur les réseaux sociaux, sans que cela ne traduise un quelconque mensonge de la part de Deschamps. Ce qui est certain, c’est que Benzema n’a jamais publiquement désavoué le sélectionneur et le médecin des Bleus, ce qui aurait pu éviter tout ce processus judiciaire un peu pathétique. Il était finalement 18h30 lorsque le juge a annoncé la fin de l’audience. La décision sera rendue le 30 janvier 2026 à 13h30.