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Johan De Muynck, dernier vainqueur belge du Tour d’Italie: « Si Remco gagne le Giro, je serai soulagé »

Johan De Muynck avait enfin du soutien en 1978.Johan De Muynck avait enfin du soutien en 1978. ©BELGA

Cette victoire lors du Giro 1978 était-elle un objectif concret au départ ?

”Oui, ça l’était depuis deux ans. Depuis l’édition 1976 que j’ai terminée à la seconde place malgré beaucoup de malchance et des contretemps, je savais que le Giro était dans mes cordes. Alors, en 1978, je suis arrivé préparé comme jamais avec la ferme intention de dominer les Baroncelli, Moser, Saronni et Gimondi. J’étais convaincu de pouvoir les battre chez eux et je suis très fier d’y être parvenu.”

Vous souvenez-vous précisément du déroulé de ce Giro ?

”J’ai pris le maillot rose le deuxième ou troisième jour de course et je l’ai gardé jusqu’à la fin. Défendre le leadership était très fatigant parce qu’on m’attaquait tous les jours mais j’ai tenu bon pour treize ou quatorze secondes (NdlR : dix-neuf, en fait). Il y a vraiment eu du suspense jusqu’au bout. Les spectateurs et les journalistes ont apprécié. Moi, je me serais volontiers passé de ce scénario-là. C’était éprouvant mais je me devais de conclure le fabuleux travail de mes équipiers. Cette année-là, j’ai pu compter sur une solide équipe.”

On peut imaginer que gagner, avec sur le dos, le maillot de Bianchi-Faema, une équipe italienne, a augmenté votre plaisir.

Oui mais cela m’a surtout donné beaucoup de reconnaissance en Italie et plus aussi en Belgique. Cela m’a permis de sortir de l’ombre de coureurs nettement plus connus que moi.”

Que signifiait cette victoire pour vous, à l’époque ?

”C’était la confirmation que j’étais tout à fait capable de gagner un grand tour. Deux ans plus tôt, j’avais un peu surpris des gens qui ne croyaient pas fort en moi. Après ce triomphe de 1978, plus personne n’a douté de mes capacités.”

guillement

« Il y avait trois coqs de trop dans le poulailler. »

Pourquoi la victoire vous avait-elle échappé deux ans plus tôt ?

”Parce que je n’ai pas été assez égoïste. Pour remporter un grand tour, il faut d’abord penser à soi. Et, moi, je ne l’ai pas fait assez. Ce n’est pas parce que je ne croyais pas en mon potentiel mais parce que nous avions beaucoup de candidats à la victoire finale au sein de l’équipe. Nous étions vraiment quatre à pouvoir gagner. Quatre, c’est beaucoup trop. Il y avait trois coqs de trop dans le poulailler. La cohabitation ne s’est pas très bien passée.”

Vous avez d’ailleurs perdu le Giro 1976 lors du dernier jour…

”Oui mais j’avais une équipe qui ne roulait pas pour moi. Je me suis retrouvé tout seul, isolé au sein de ma formation parce que je volais la vedette à d’autres. J’ai dû rouler un chrono sans voiture derrière moi, parce que certains râlaient au sein de l’équipe. Résultat des courses : j’ai terminé second du classement final à moins de vingt secondes du vainqueur. En 1977, j’étais toujours là mais je n’avais plus aucun plaisir à rouler. Heureusement, j’ai pu changer de formation pour débuter 1978.”

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« J’ai eu une augmentation de salaire de 10% l’année qui a suivi ma victoire. »

Outre davantage de reconnaissance, que vous a apporté votre victoire dans le Giro 1978 ?

”J’ai gagné un peu plus d’argent et j’ai pu compter sur le soutien d’un peu plus de sponsors. Ce n’était vraiment pas négligeable mais les retombées n’avaient rien à voir avec ce que le vainqueur d’un grand tour peut gagner aujourd’hui. Pour vous donner une idée, j’ai eu une augmentation de salaire de 10 % l’année qui a suivi ma victoire. C’est le jour et la nuit avec ce que l’on peut gagner aujourd’hui. Mais bon, je ne me plains pas. J’étais heureux comme ça.”

On vous connaît surtout pour ce Giro victorieux.

(il coupe) “C’est logique parce que c’est la plus grande course que j’ai gagnée. Pourtant, j’ai été présent dans le final de grandes classiques comme le Tour des Flandres, Paris-Roubaix ou encore Liège-Bastogne-Liège. Mais je n’avais pas un bon sprint. Ça m’a coûté pas mal de victoires.”

Vous avez longtemps été dans l’ombre de Roger De Vlaeminck. Comme le viviez-vous ?

”J’ai essayé de ne jamais me frustrer de tout ça, sinon j’aurais arrêté de rouler beaucoup plus tôt. À l’époque, un équipier pouvait difficilement jouer sa carte personnelle. Il ne fallait surtout pas faire de l’ombre au leader. Or, De Vlaeminck était le leader de l’équipe. Aussi longtemps que ton leader gagne, tu ne peux pas avoir d’ambitions personnelles. Il faut pouvoir l’accepter. Dans ma génération, il y avait énormément de Belges dominateurs. Avoir pu gagner le Giro dans ce contexte restera toujours une immense fierté.”

Sans De Vlaeminck et Merckx, pensez-vous que vous auriez eu un plus beau palmarès ?

”Pas forcément. Quand tu roules contre de tels champions et que tu as aussi des ambitions personnelles, tu deviens meilleur. Rien que leur présence te tire vers le haut. Quelque part, avoir dû rouler avec eux et contre eux m’a servi, même s’ils m’ont privé de nombreuses victoires. Et puis, je ne les mettrais pas dans le même sac. Merckx était vraiment au-dessus du lot.”

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« Tout est plus grand aujourd’hui et il y a davantage de retombées. »

Quand Remco a gagné la Vuelta en 2022, il était considéré comme un Dieu. Ce n’était pas votre cas, on imagine ?

”Pas du tout. Mais, à l’époque, les Belges gagnaient des grands tours. Cela arrivait assez souvent. En s’adjugeant le Tour d’Espagne, Remco a mis fin à une très longue période de disette pour les Belges. En outre, tout est plus grand aujourd’hui et il y a davantage de retombées. Les temps ont changé. Le cycliste qui gagne les Jeux olympiques sort complètement de l’anonymat. Ce n’était pas le cas avant.”

Vous êtes toujours le dernier Belge à avoir remporté le Tour d’Italie. Quel sentiment ça vous procure ?

”Mais ce n’est pas normal ! Pendant des années, on était content parce que les Belges gagnaient des classiques. Heureusement, aujourd’hui, c’est en train de changer. Avec un gars comme Remco, on a enfin un Belge qui nourrit de grandes ambitions dans les courses à étapes. À mes yeux, l’un n’empêche pas l’autre. Des gars comme Merckx et De Vlaeminck couraient aussi plusieurs lièvres à la fois.”

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« Remco devra garder à l’esprit que ses équipiers ne sont pas aussi forts que lui. »

Et si Remco gagne le Giro le 28 mai prochain ?

”Honnêtement, je serai un peu soulagé qu’un Belge gagne enfin à nouveau le Giro. Je pense que Remco en a les capacités mais il va devoir rouler très juste et limiter la casse s’il connaît un moins bon jour. Il devra également moins s’éparpiller qu’au Tour de Catalogne. Et il devra être très frais pour aborder la dernière semaine et les cols très pentus de la fin du Giro. Et puis, faudra voir comment se comporteront ses équipiers. Quand Merckx a gagné le Giro pour la première fois, il a pu s’appuyer sur une formation très expérimentée. Ses équipiers n’hésitaient pas à lui dire de rester calme dans telle ou telle situation. Je ne sais pas qui tiendra ce rôle aux côtés de Remco. Il devra en tout cas garder à l’esprit que ses équipiers ne sont pas aussi forts que lui. Il faudra en tenir compte dans la tactique de course. En tout cas, je serai très content si Remco me succède au palmarès. Je serai son premier supporter. Il passe bien la montagne et est très fort en contre-la-montre. Donc, il a toutes ses chances.”

Qu’a le Giro de si spécial ?

”Ses montagnes. En général, son parcours est beaucoup plus sélectif qu’au Tour de France et à la Vuelta. Il y a pas mal de diversité au Giro et des retournements de situation sont possibles jusqu’au dernier jour. Cette fois encore, il y aura un chrono avec une ascension spectaculaire la veille de l’arrivée à Rome. En Italie, les cols sont à la fois très raides et très longs. Les pourcentages dans les virages peuvent être terribles.”

Que pensez-vous du peloton actuel ?

”J’aime le cyclisme d’aujourd’hui. Il est souvent spectaculaire avec des jeunes qui n’ont pas peur de prendre le risque de tout perdre en partant de très loin. Mais c’est parfois trop stratégique aussi. Ça, c’est dommage. On voit encore trop d’équipes rouler les unes contre les autres.”

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« Tu roulais sous la pluie et tu pouvais jeter tes chaussures à la poubelle. »

Auriez-vous aimé être cycliste professionnel aujourd’hui ?

”Oui, bien sûr. Parce qu’aujourd’hui, le peloton fait le tour du monde. Nous, nous courions toujours dans les cinq, six mêmes pays. Il était inimaginable d’aller faire un critérium à Singapour. Et, puis, ils ont un tel matériel ! Je suis fou de tout ça, je me tiens à la page concernant les nouveautés… Avant, tu roulais un jour sous la pluie et tu pouvais jeter tes chaussures à la poubelle.”

Qui est le Johan De Muynck du peloton actuel ?

”Des gars qui ont mon profil, je n’en vois pas beaucoup. J’étais un très bon grimpeur qui pouvait rouler sur les pavés et être présent dans les classiques flamandes.”

Êtes-vous satisfait de votre palmarès ?

”Ça aurait pu être mieux mais j’ai eu mon lot de chutes et de vilaines blessures. Je me souviens être tombé dans le Mont Kemmel et m’être relevé avec plein de fractures. J’ai passé une demi-année éloignée du vélo. C’était en 1971.

Peut-on comparer Tadej Pogacar à Eddy Merckx ?

”Oui, dans le sens où l’un comme l’autre a gagné sur tous les terrains. Mais je pense que Merckx aimait encore davantage le vélo.”

Et que pensez-vous de Remco en général ?

”C’est incroyable comme il a progressé depuis un an. Il s’est assagi et lit mieux la course. Je me répète : il lui manque peut-être un ou deux équipiers bourrés d’expérience qui peuvent le freiner quand il le faut. Mais est-ce que Remco les écouterait ? Je ne sais pas.”