Sport

JO 2024 : Les athlètes médaillés, nouvelles stars des séminaires d’entreprises… « Tout le monde veut toucher la médaille »

C’est le petit kiff du moment dans les entreprises – grandes ou petites, principalement celles du secteur tertiaire, des Medef territoriaux et autres chambres de commerce – pour raviver le souvenir toujours incandescent des JO de Paris 2024. Donner la parole à une ou un athlète médaillé olympique le temps d’une conférence d’une heure ou deux au détour d’un séminaire, en abordant des thèmes censés faire le pont entre le sport de très haut niveau et la vie des cols blancs. Deux secteurs hypercompétitifs, l’un un peu plus que l’autre.

Dit moins gentiment, il s’agit de donner un micro à des Florent Manaudou, Auriane Mallo-Breton ou Alexis Hanquinquant pour qu’ils réparent l’ego des détenteurs de « bullshit jobs » brutalisés au quotidien par leurs n + 1 toxiques afin de leur faire croire que se cache derrière chaque slide Powerpoint produite un bout d’effort olympique. Bien souvent, les similitudes se veulent psychologiques. « Les thématiques demandées peuvent concerner la motivation, l’esprit d’équipe, la résilience, le dépassement de soi, la réussite en milieu hostile, l’art du rebond, la gestion de l’échec, celle du stress… », énumère Caroline Angelini, conseillère presse et image de nombreux sportifs appelés à prendre la parole en entreprise.

Un club France de cols blancs avec selfies médaille au menu

L’ambiance est souvent bon enfant. On glisse le mot au DJ de bien lancer Parade, l’hymne musical des JO composé par Victor Le Masne au moment de l’entrée en scène de l’athlète, suivi d’un temps pour les selfies-médaille. « Tout le monde veut voir et toucher la médaille, sourit Rémy Boullé, porteur de la flamme et médaillé de bronze à Paris et Tokyo en parakayak sur 200 mètres en KL1, habitué à ce genre d’interventions. Bon, ça m’est déjà arrivé de venir avec la médaille et de repartir en ayant oublié de la montrer. »

Le genre de mésaventure qui n’arrive pas encore à Angèle Hug, médaillée d’argent en kayak-cross aux JO 2024 et toujours novice dans l’art du séminaire d’entreprise. « Je la prends pour dire  »regardez, c’est moi, je suis médaillée d’argent olympique ! » Quand on la sort, ça met des étoiles dans les yeux. Parfois, on a presque tendance à mal le prendre. On se demande s’ils préfèrent voir l’athlète ou la médaille. Mais c’est vraiment sympa de voir les gens inspirés par ça. »

A l’heure de prendre la parole, chaque athlète fait à sa manière. Certains préparent leurs petites fiches, d’autres improvisent leur discours en mode stand-up, quand ils ne sont pas sauvés par des formats plus dynamiques en questions-réponses animés par des speakers.

« « Je fais toujours ça en impro, même s’il y a une structure qui se met en place naturellement avec l’expérience, confie Rémy Boullé. J’évoque mon parcours, l’enseignement militaire, l’accident, et comment j’ai décidé de me reconstruire. Mais il n’y a pas deux conférences pareilles. C’est ce qui plaît, je pense, parce qu’il m’est arrivé d’intervenir trois fois pour un même groupe. Je m’adapte aussi aux personnes. Par exemple, quand je vais parler à des managers, je vais plus acter mon discours sur le management. » »

Les médaillés moins demandés contraints à la proactivité

Après le raz-de-marée Paris 2024, les fortunes sont diverses. En haut de l’échelle, les stars ont pignon sur rue auprès des grands groupes, les seuls capables de répondre à leurs exigences économiques : comptez jusqu’à 50.000 euros pour un certain judoka en passant par une agence, selon un mail que 20 Minutes a pu consulter. En dessous, on retrouve les sportifs à échelle humaine comme Angèle Hug, dont les sollicitations professionnelles décollent enfin depuis début 2025 après une période post-JO 2024 plus timide. L’inverse de Rémy Boullé, qui traverse des eaux stagnantes après avoir enchaîné une dizaine de conférences dans la foulée des Jeux paralympiques.

Encore plus bas, il y a les laissés-pour-compte des Jeux. Certains ont pourtant une médaille au cou. Ces derniers trouvent dans ces interventions en entreprise un substitut ou un complément aux revenus des sponsors qui les ont lâchés pour tout ou partie. « Je pensais que ça serait plus facile et que ça tomberait un peu tout seul avec une médaille autour du cou, nous confiait en décembre Lisa Barbelin, médaillée de bronze sur l’épreuve individuelle de tir à l’arc à Paris cet été. En fait non. Il faut qu’on soit dans une démarche très proactive pour que ça fonctionne, donc on a fait un book avec un graphiste. L’idée, c’est de donner ce book, de montrer un peu le sport et l’image du tir à l’arc. »

« Il faut être correct, mais il ne faut pas se brader »

Pour les athlètes de disciplines « mineures », une intervention en séminaire peut permettre de doubler ses revenus mensuels. Un trésor quand on galère pour vivre de son sport, à condition d’avoir la chance d’être conseillé pour ne pas tomber dans le piège de la sous rémunération. « J’ai vu des athlètes qui ne savaient pas trop. Qui, pour être sympa, parce que le voisin travaillait dans telle entreprise ou que quelqu’un qui leur avait demandé, ont fait une intervention pour presque rien, raconte Caroline Angelini. Il faut être correct, mais il ne faut pas se brader. »

Mû par une éthique revendiquée de son passé militaire, Rémy Boullé s’est fixé une limite. « En toute honnêteté, je tourne entre 2.000 et 4.000 euros en fonction de l’intervention et du nombre de personnes. Je suis déjà passé derrière des champions olympiques dont on me disait,  »ton intervention, elle est bien meilleure que la sienne, et lui, il nous a pris 50.000 euros pour l’heure. » Je suis intervenu chez Eiffage devant des gens qui travaillent dans le bâtiment, des salariés qui gagnent 2.000 euros par mois. Si moi j’en demande 10.000, quel message j’envoie ? La relation ne serait pas saine. » La nostalgie des JO de Paris, oui, mais pas à n’importe quel prix.