Irlande – France : Dette abyssale et appels au secours… La FFR peut-elle vraiment déposer le bilan ?
«Terre en vue ! ». Après avoir quitté Calais en catamaran et vogué des jours durant dans le froid et les vents qui balayent la Manche, le XV de France pose enfin le pied en terre d’Irlande, fatigué mais heureux. Encore faut-il maintenant prendre un bus pour rejoindre Dublin, où le charmant bed and breakfast les attend avec des chocolats à la menthe sous l’oreiller, histoire de préparer au mieux le big match contre le XV du Trèfle ce samedi, pour le choc final de cette édition 2025.
Voilà donc le nouveau train de vie (à peine exagéré) imaginé par 20 Minutes d’une équipe de France de rugby qui n’a plus un kopeck en poche, deux ans à peine après avoir organisé la Coupe du monde la plus bankable et regardée de l’Histoire. Un paradoxe à vous donner des envies de meurtres sur des bébés dauphins, c’est pas mal, non ? C’est Français.
Une fédé au bord du gouffre financier
En effet, alors que le rugby tricolore rayonne à l’international grâce à ses clubs, sa sélection et cette génération dorée que le monde du rugby nous envie (soit 7 ou 8 pays à tout casser), il se trouve dans une situation économique désespérante, comme l’a claironné un peu partout son président Florian Grill ces derniers mois. « Le déficit est de 57 millions d’euros : 36 millions d’exploitation et les 19 millions de redressement fiscal réclamés le 23 décembre dernier. Je le dis très clairement, cet héritage n’est pas à la portée de la FFR, a-t-il prévenu dans Le Figaro fin février. Si on devait payer demain ces 57 millions d’euros, on serait en dépôt de bilan ! »
L’appel au secours semble sincère, mais une question demeure. Une fédération aussi puissante pourrait-elle fermer boutique si toutes les étoiles (noires) étaient alignées ? « Si la FFR se retrouve à devoir régler l’addition toute seule, oui, le risque est bien réel, assène l’économiste Pierre Chaix, grand passionné de rugby. Avec les choix de l’ancienne gouvernance de Bernard Laporte d’obtenir l’organisation de la Coupe du monde à tout prix, on se retrouve avec une dette – si ce n’est abyssal – très conséquente et qu’il va bien falloir éponger. »
La démesure du duo Laporte-Atcher
Les raisons de ce sabordage sont connues et largement documentées. Dans un rapport de la Cour des comptes que se sont procuré nos confrères du Monde, l’institution pointe du doigt les responsabilités du duo Bernard Laporte-Claude Atcher : les deux grands manitous de l’époque se sont longtemps targués d’être, de par leur qualité de lobbyistes, à l’origine de cette victoire. Sur le papier, en réalité, il fut surtout question de très gros sous plus que de talent oratoire.
Pour coiffer l’Irlande et l’Afrique du Sud au poteau et gagner le droit d’organiser le Mondial 2023, la France a fait une offre que la fédération internationale ne pouvait refuser : quand les deux premiers ont respectivement mis sur la table 27 et 35 millions d’euros, les Gaulois ont fait tapis en balançant 83 (!) millions. Et c’est cette enveloppe – totalement surévaluée – qui a été à l’origine du fiasco financier qui pèse sur les épaules de la nouvelle équipe fédérale.

A ce sujet, la Cour des comptes ne se montre pas tendre avec ceux qu’un de nos interlocuteurs n’hésite pas à qualifier en off de « Pieds Nickelés ». On parle de « dysfonctionnements [ayant] conduit à des choix stratégiques majeurs contestables et risqués, qui ont entraîné des pertes substantielles pour le comité d’organisation, et donc de moindres ressources laissées en héritage pour le développement du rugby en France ». Quant à l’opération de vente d’hospitalités (package premium en loges), elle était fondée sur « des prévisions initiales erronées en dehors de la réalité du marché ».
« Il n’y avait plus la moindre limite »
Pour l’ancien président de la Ligue nationale de rugby (LNR) Patrick Wolf, on a laissé les clés du camion à Satanas et Diabolo. « On n’a pas suffisamment tenu compte de la capacité des gens à la tête de la fédération à l’époque à gérer des choses en bon père de famille, comme on dit. On est dans un système – et ce n’est pas spécifique au rugby – où le buzz et les effets d’annonce l’emportent la plupart du temps sur la raison. »
« Ces gens avaient une ambition démesurée et ont tout fait pour les atteindre, sans se préoccuper des risques pris pour l’avenir du rugby français. Bernard Laporte voulait remporter le Mondial et les élections à World Rugby dans la foulée, Atcher l’aurait remplacé à la tête de la Fédé et se serait ensuite démerdé pour maquiller les comptes, je ne sais comment. Ce qui est sûr c’est que pour suivre leur plan, il fallait absolument remporter l’organisation du Mondial, peu importe comment, il n’y avait pas la moindre limite. »
Comme toujours quand il est question de sport dans notre pays, l’Etat est loin d’être exempt de tous reproches. Partie prenante de l’organisation du Mondial 2023, il peut difficilement s’en laver les mains. « Ce serait un peu gros que tout le monde soit gagnant dans cette Coupe du monde sauf la FFR, s’est-il étranglé récemment. L’État a engrangé 800 millions d’euros de recettes de TVA. Moins les 100 millions de coût de sécurité, il reste largement gagnant. Il doit nous écouter, car la responsabilité est partagée et on ne peut pas assumer seul ce déficit. »
« L’Etat était donc au cœur du système, y compris M. Castex, le Premier ministre de l’époque, qui n’était pourtant pas un perdreau de l’année, convient Pierre Chaix. Il était partie prenante dans le GIP [Groupement d’Intérêt Public], simplement il n’a pas joué son rôle de régulateur. Il a laissé M. Laporte et M. Atcher gérer cela comme ils le souhaitaient, en dépit du bon sens. Et aujourd’hui, l’Etat se retourne contre le GIP avec ce redressement fiscal, c’est un petit peu facile. »
Un redressement qui prendra du temps
La FFR tente donc d’écoper le navire comme elle peut, grattant à droite, à gauche. Le train de vie du XV de France a été revu à la baisse sans qu’il faille pour autant sortir les mouchoirs et les violons. S’il aura toujours droit de descendre dans des hôtels huppés lors de ses voyages à l’étranger, il se voit désormais cantonné au CNR pour ses stages de préparation. Interrogée sur le montant de l’enveloppe dévolue à ce périple en Irlande pour se faire une idée des coupes budgétaires, la Fédé n’a pas souhaité rentrer dans les détails.
En plus de dénicher de nouveaux sponsors, les grands argentiers attendent beaucoup du nouveau contrat signé avec le futur concessionnaire du Stade de France, mais l’affaire tarde à se conclure. Enfin, Florian Grill en appelle à la solidarité de la Ligue nationale de rugby pour « contribuer à cet effort de guerre ». Une mesure que l’ancien président de la LNR voit aujourd’hui d’un bon œil. « Le moment est venu de montrer une solidarité entre le monde professionnel et le monde amateur », affirme-t-il.
« La FFR et la LNR ont des liens très forts, et la LNR et les clubs professionnels sont d’ores et déjà pleinement engagés au soutien des activités fédérales et du rugby amateur. La FFR et la LNR ont échangé ces dernières semaines sur la situation. » Les discussions reprendront après les élections à la LNR la semaine prochaine, le 13 mars, « pour travailler à des solutions durables et bénéfiques pour l’ensemble du rugby français. » En attendant, une victoire des Bleus samedi à l’Aviva Stadium serait de nature à redonner le sourire à tout ce petit monde en cette période de vache maigre. Le prize money du VI Nations a été revu à la hausse cette année : 7,5 millions d’euros pour le vainqueur. Vous savez ce qu’il vous reste à faire, messieurs les déménageurs.