Equipe de France : « On ne se voit pas plus belles que les autres », assure Amel Majri
Sortie du groupe par Hervé Renard au début de l’année 2024 et privée des Jeux olympiques de Paris avec les Bleues l’été dernier, la Lyonnaise Amel Majri a profité du départ de l’ancien sélectionneur pour faire son grand retour à l’occasion de l’Euro 2025 qui débute ce samedi, sous la houlette de Laurent Bonadei.
L’occasion pour l’expérimentée milieu offensive, qui nous a reçus à Clairefontaine quelques jours avant le départ pour la Suisse, de nous livrer ses impressions sur l’ambiance dans l’équipe et sur les ambitions d’une équipe de France qui ne cesse depuis des années de se faire sortir des grandes compétitions internationales aux portes du dernier carré.
Ça fait quoi d’être de retour en équipe de France après une année 2024 loin des Bleues ?
Je savoure le fait d’être de retour, surtout que l’absence a été longue – près de neuf mois – dans des circonstances particulières. C’est une fierté d’être là aujourd’hui. J’essaye de savourer pleinement chaque moment passé ici avec les filles.
Comment avez-vous vécu cet exil loin des Bleues ?
J’ai essayé de prendre la chose avec philosophie. De toute manière je savais que je ne serai pas rappelée tant qu’Hervé Renard serait à la tête de l’équipe de France. J’ai essayé de faire avec et, au lieu de me morfondre, j’ai profité du fait d’avoir un mois et demi complet de vacances l’été dernier, chose qui est très rare dans une carrière quand on est internationale. Ça m’a permis de profiter pleinement de ma famille. Sur le coup j’étais un peu triste, je ne vais pas vous mentir, mais ça passe et on fait avec. On tente de prendre le positif là où il est.
Vous n’aviez pas abandonné l’idée de revenir dans le groupe ?
Je suis restée concentré sur mon club car je savais qu’en étant performante avec l’OL, en continuant à travailler, la logique voudrait que je puisse à nouveau postuler à une place dans le groupe en cas de départ de l’ancien sélectionneur. Et c’est ce qui s’est passé. J’ai patienté, j’ai bossé dur et je suis de retour, c’est un grand plaisir.
Et les JO depuis votre canapé, sachant que ça se passait en France et à Lyon, votre ville de toujours ?
Mon seul regret c’est que ça avait lieu à Lyon, chez moi, dans ma ville, devant ma famille. Pour le reste, je savais plus ou moins comment Hervé Renard comptait m’utiliser si j’acceptais de rester dans le groupe et ce n’était pas forcément en adéquation avec ce que je prône, à savoir le mérite sportif avant tout. Là, ce n’était pas forcément le cas.
On a eu des échanges, on en a pas mal parlé tous les deux et je me dis que c’est un mal pour un bien parce que je n’aurais peut-être pas vécu la compétition comme il se devait et j’aurais peut-être été encore plus frustrée en restant. Donc le fait d’être chez moi, entourée de mes proches, ce n’était pas plus mal.
Comment s’est passée la nomination de Laurent Bonadei ? Les joueuses ont-elles eu leur mot à dire ?
On n’a pas forcément été sondées, même s’il y a forcément des choses qui remontent aux oreilles des décideurs de la Fédé. Laurent Bonaedi a un parcours intéressant, un parcours de formateur auprès des jeunes, ça compte. Il est là tout simplement grâce à ses qualités et grâce au fait qu’il a côtoyé le groupe depuis maintenant deux ans.
Comment se passe la vie sous ses ordres ?
On essaye avant tout de créer une relation de confiance basée sur les échanges. Pour pouvoir se dire les choses, ne pas laisser de non-dits, il faut d’abord se connaître et s’apprécier, et c’est ce que le groupe essaye de faire depuis plusieurs mois maintenant. Et jusqu’ici, ça fonctionne plutôt très bien.
Laurent Bonadei a-t-il changé sa manière d’être avec le groupe depuis qu’il n’est plus adjoint ?
Non, c’est toujours le même. Sa porte nous est toujours ouverte pour quoi que ce soit, c’est quelqu’un de très à l’écoute des joueuses. Déjà à l’époque où il était adjoint, on pouvait aller vers lui facilement tandis qu’avec Hervé (Renard) c’était différent, il était moins dans l’échange, dans la communication. Laurent est quelqu’un d’assez facile, d’ouvert, c’est une de ses grandes qualités et ça ne peut que nous aider à performer ensemble.

Comment définiriez-vous le style de jeu qu’il essaye de mettre en place ?
C’est un jeu axé énormément sur la possession de balle, le mouvement, le fait de toujours donner une solution à ses coéquipières sur le terrain, avec des permutations de postes et des compensations. Ce que j’aime beaucoup, c’est qu’il nous laisse une très grande liberté sur les phases offensives et qu’il veut qu’on soit actrices du jeu avant tout. On analyse évidemment le jeu de l’adversaire mais on va surtout se focaliser sur nos forces.
En termes de créativité, là aussi on est très libres même si on a des consignes de base à respecter quand on attaque, pour le reste c’est vraiment au feeling, il attend de nous qu’on exprime notre talent comme on l’entend. Moi, c’est le football qui me parle.
Ça ressemble, sur le papier, à une équipe qui nous a toutes et tous fait vibrer cette saison, le PSG…
On a regardé la finale de la Ligue des champions ensemble lors du premier stage de préparation et c’est vrai qu’on retrouve une philosophie commune, une envie de jouer ce football aussi plaisant à regarder qu’à jouer. Forcément, on les regarde avec un œil particulier. La temporisation, le fait de faire courir l’adversaire. On dit parfois que les passes à deux mètres ne servent à rien, mais ce n’est pas tout le temps vrai, ça permet de faire sortir l’adversaire, de l’aspirer. On apprend toujours des plus grands et cette saison, on a été gâtées avec eux.
Pour pratiquer ce football, il faut avoir les joueuses de qualité qui vont avec, or je pense que c’est le cas cette année et qu’on peut réussir à mettre ça en place. Maintenant c’est à nous de le faire et de créer notre propre identité de jeu car c’est bien de s’inspirer des meilleurs mais il ne faut pas non plus calquer leur jeu à tout prix.
C’est quoi le statut de l’équipe de France aujourd’hui ? Je rappelle que les Bleues restent sur sept éliminations en quart de finale lors des huit dernières grandes compétitions…
On est à notre place, on n’a rien gagné. Donc on ne fait plus partie des favoris à l’heure actuelle sur la scène internationale. Mais je le répète, on a un effectif de grande qualité. C’est à nous de confirmer cela dans les faits. C’est bien beau de dire qu’on a du talent, pour le moment on n’a rien gagné. On va prendre les matchs les uns après les autres, on ne se voit pas plus belles que les autres.
Comment on fait pour vaincre cette malédiction ?
Je pense justement qu’il ne faut pas trop y penser en se répétant « cette fois, c’est la bonne, il faut que ça le soit ». Au contraire, je crois que penser comme ça peut aussi avoir des effets négatifs, ça peut nous bloquer. Il faut juste vivre le moment présent et être conscience de nos forces et de notre potentiel. Il ne faut surtout pas partir défaitiste et garder à l’esprit qu’on peut réaliser de très belles choses toutes ensemble. Il faut arriver à mettre le passé derrière nous car il n’y a rien de pire que de ressasser.
Comment avez-vous réagi à la non-sélection de Wendie Renard, Eugénie Le Sommer et Kenza Dali ?
Ça choque, on ne va pas se le cacher. Ces trois joueuses sont des filles et des coéquipières que je côtoie et que j’apprécie énormément. Donc je ne vais pas vous mentir, à titre personnel j’ai été choquée et triste à la fois, c’est normal. Mais comme l’a dit le coach, ce sont ses choix et il faut les respecter, il faut avancer sans elles et faire du mieux possible.

Arrivez-vous à prendre un peu de plaisir en période de préparation, où tout est axé sur le physique et la souffrance ?
On prend du plaisir mais dans la souffrance on va dire (rires) ! On souffre ensemble, ça soude. On est fatiguées, mais quand on en reparle à table, on sait que c’est pareil pour tout le monde et ça permet de nous unir encore plus. L’Euro ne sera pas facile, on sait qu’on va traverser des moments compliqués et peut-être que c’est à ce moment-là qu’on va se rappeler ce qu’on a vécu durant la prépa. On se souviendra que malgré la souffrance on a toujours essayé de garder le sourire, d’être positives, et que ça nous aidera.
On vous a vu faire un exercice de cohésion dans les vagues durant votre stage dans le Pays basque, toutes en lignes, main dans la main. Y a-t-il un vrai intérêt à ça ou ça tient plus du gadget ?
Je suis persuadé que ça a un vrai intérêt. Il y a la métaphore des vagues qu’on doit affronter toutes ensemble. Si on s’était lâché les unes après les autres, le cordon aurait sauté et on aurait retrouvé des filles éparpillées un peu partout dans l’eau. A la place, on est restées solidaires, soudées. Et c’est bien car, des vagues, on va aussi en prendre sur le terrain et il faut y être préparées et savoir au mieux gérer dans ces moments plus compliqués.
Quel est le rôle de Thomas Sammut, votre préparateur mental, qui est aussi celui de Léon Marchand ?
Il nous aide à mettre des mots sur ce qu’on ressent, sur ce qu’il nous manque ; il nous permet d’extérioriser nos sentiments, nos besoins, nos envies. Ça permet de mieux prendre conscience des choses, de savoir vraiment ce qu’on doit encore améliorer, aussi bien individuellement que collectivement. Il nous fait comprendre que l’on ne doit pas se faire bouffer par la critique, qu’on doit garder la confiance qu’on a en nous. On s’en fout de ce que les autres vont penser, de ce que les médias vont écrire si on rate un match, on doit être focus à 100 % sur nous, notre travail, rien d’autre.
On a la sensation qu’on est encore loin d’un engouement populaire en France autour de l’équipe et de l’Euro…
Je ne ressens pas une énorme euphorie autour de nous pour le moment, c’est vrai. Pour nous, c’est peut-être différent car on sent que notre jeu est plus plaisant. Avant, il faut dire les choses, ce n’était pas toujours fantastique. On pouvait jouer des équipes comme la Belgique, plus faibles sur le papier, et malgré ça dans le jeu ce n’était pas forcément ça. Aujourd’hui la notion de plaisir sur le terrain est essentielle, c’est vraiment quelque chose que l’on recherche en premier lieu. Et je pense que si on arrive à transmettre ça au public, il sera à fond derrière nous.
Il y a deux ans, lors du Mondial en Australie, votre petite fille vous avait accompagnée. Que gardez-vous comme souvenir de tout ça ?
J’en ai gardé de très bons souvenirs. On était loin de la maison et de l’avoir à mes côtés, franchement c’était beau, c’était fort. En plus, elle a fait ses premiers pas avec nous en Australie, elle a une vraie histoire là-bas. Du coup je suis contente qu’on y retourne ensemble, de pouvoir partager cet Euro avec elle encore une fois.
En plus, aujourd’hui, elle comprend ce qu’il se passe. Elle met des mots sur ce qu’elle vit, elle sait que je joue au foot, elle veut regarder tous les matchs, c’est cool.