Coupe de France : « Ça a fait basculer ma carrière »… Comment l’épreuve a permis à ces amateurs de devenir pros
Il ne faudra pas faire les étonnés si Jean-Philippe Krasso, dans quarante ou cinquante ans, près d’un feu de cheminée, ses petits enfants prêts à boire ses paroles, tressera des lauriers à la ville d’Epinal. Non pas que la cité vosgienne soit devenue un des fleurons du tourisme français ou suscite l’envie de horde de Parisiens en quête d’air frais de s’y installer. Mais les Spinaliens ont changé la vie du désormais attaquant du Paris FC (Ligue 2).
Grâce au bon parcours d’Epinal (National 2, quatrième division française) en Coupe de France, dont les seizièmes de finale commencent ce mardi, Jean-Philippe Krasso a pu réaliser son rêve : devenir footballeur professionnel. Auteur d’un doublé face à Lille en huitième de finale, lors de la saison 2019-2020, l’avant-centre avait également inscrit un but en quart de finale face à Saint-Etienne, qui l’a recruté dans la foulée.
« C’est clairement la Coupe de France qui a fait basculer ma carrière, nous explique Krasso. Durant la saison, je n’étais pas du tout suivi par les clubs pros. Après le match contre Lille, mon téléphone était en surchauffe. Et ça s’est confirmé après le match face à Sainté. Claude Puel a directement essayé de me joindre et voulait qu’on se rencontre. On a pas mal échangé, mais bon, moi, dès la première phrase, j’étais déjà convaincu. Peu importe ce qu’il me disait derrière, moi, c’était tout droit. »
« Ce but, ça déclenche le regard »
Comme Jean-Philippe Krasso, qui avait également une offre de Nancy sur la table, de nombreux amateurs ont pu basculer dans le monde pro grâce à la Coupe de France. Franck Ribéry (Brest), Eric Abidal (Lyon-La Duchère), Jonathan Clauss (Avranches) et des dizaines d’autres joueurs se sont ainsi révélés en disputant la Vieille Dame. Yohan Baï a également connu la même trajectoire, alors qu’il évoluait au Canet Roussillon (N2) en 2020-2021. Buteur décisif lors de la victoire face à l’OM en 16es, il a été recruté quelques semaines plus tard par le CSKA Sofia.
« Ce but, ça allume la mèche, ça ne déclenche pas les offres, mais ça déclenche le regard, raconte, encore des étoiles dans les yeux, le milieu de terrain aussi passé par Bastia. Dijon, a été la première équipe à se manifester, à 2 heures du mat après le match contre Montpellier en quart de finale. Il y a eu aussi Sochaux. Sofia arrive deux jours après le match contre Montpellier. Le directeur sportif m’appelle alors que je dormais. Je n’avais aucune idée du truc. Je vais sur Instagram, j’écris CSKA Sofia, je vois que ça a joué l’Europe, c’est en course pour gagner la Coupe de Bulgarie, c’est un club historique. »
Pour Jean-Philippe Krasso et Yohan Baï, qui ne devait pas être conservé à la fin de la saison par Canet Roussillon, la trajectoire est d’autant plus folle qu’ils avaient presque fait une croix sur le monde professionnel. Après avoir été formé du côté de Lorient, l’attaquant espérait revenir vite, mais a dû passer par des saisons un peu galère à Schiltigheim et Epinal. « Ce n’est pas un truc que j’avais complètement supprimé de ma tête, mais ce n’était plus une fixette, relève le buteur. Je m’étais un peu fait à l’idée et je commençais à penser aussi à l’après-carrière, à me dire aussi qu’il fallait que je commence une formation ou un travail à côté. »
« La Coupe de France, c’est une porte à ne pas négliger »
Après sa signature en Bulgarie, Baï, qui avait commencé à prendre des cours pour passer des diplômes en France, a mis du temps à réaliser qu’il venait de faire du foot son métier : « Mon entourage me répétait que j’étais devenu un joueur de football professionnel. Mais je n’arrivais pas à me le dire. J’étais juste un joueur de N2 qui essayait de s’en sortir. Et, d’un coup, t’arrives dans un club où tout est pris en charge, on vient te chercher à l’aéroport, on te prend en photo. C’était fou. »
« Mon père m’a toujours dit de tout faire à fond, reprend Baï. De jouer à fond les petits tours de merde, de gagner sa place. La Coupe de France, c’est une porte à ne vraiment pas négliger. Et puis les clubs à l’étranger, ils n’ont pas peur, tu fais un match, deux matchs, t’as été bon, ils viennent. Le directeur sportif de Sofia, il m’a expliqué qu’il avait juste vu deux résumés de matchs contre Marseille et Boulogne et il s’était déplacé pour voir le quart contre Montpellier. »
Dans la plupart des cas, en France, les clubs prennent un peu plus de temps et de recul avant de recruter un joueur amateur. « Je pense que les clubs aujourd’hui, vu le nombre de joueurs qu’il y a sur le circuit, ils regardent plus sur le long terme que sur un match couperet, indique Bernard Vellut, coprésident du GFA Rumilly Vallières (N2), demi-finaliste de la Coupe de France en 2020. Nous, il y a des clubs, des agents qui viennent nous voir à tous les matchs. Ils n’attendent pas la Coupe de France. »
Pilleurs de talents
« C’est sûr que les clubs qui ont une très faible compétence à suivre les clubs amateurs durant toute une saison se réfugient devant des écrans télé en hiver pour les regarder, peste Christophe Gauthier, président du Puy Foot 43, qui affronte le SU Dives Cabourg (N3) en 16es de finale ce mardi, après avoir humilié Montpellier (4-0) au tour précédent et atteint les quarts de finale de la compétition la saison dernière. La Coupe de France permet aux gens qui restent dans le canapé de voir la qualité des joueurs qui peuvent évoluer dans les clubs amateurs. »
Le dirigeant auvergnat est d’ailleurs particulièrement contrarié par ses clubs pros qui viennent en plein milieu de la saison solliciter ses joueurs, qui sont en majorité sous contrat fédéral. Certains ont d’ailleurs été approchés après le coup de maître face à Montpellier, mais le président a exprimé un refus catégorique : « Aujourd’hui, ils sont dans une compétition certainement inférieure, mais dans le haut du tableau en N2 et toujours qualifiés en Coupe de France alors que les clubs qui viennent ne le sont pas. »
Une place en quart de finale pourrait venir peut-être rebattre les cartes pour certains, qui rêvent de faire le grand saut. D’ailleurs au moment d’atterrir au Puy, qui perd une dizaine de joueurs par an, des joueurs savent que les bons parcours réguliers en Coupe de France peuvent ouvrir des portes. « Tu sais que, par exemple, Epinal, c’est minimum 32e, conclut Yohan Baï, qui a également porté le maillot spinalien. Tu sais que tu peux tomber des grosses équipes. Bien sûr que ça pèse sur la balance parce que la Coupe de France, c’est une visibilité de fou. » Et un contrat pro au bout.