Baisse du budget des sports : « On retourne en bas de l’échelle », s’alarme le fleurettiste Enzo Lefort
Les grands sourires de l’été olympique ont vite laissé place à la soupe à la grimace dans la grande famille du sport français. En annonçant une nouvelle baisse drastique du budget du ministère des Sports, le gouvernement et le chef de l’Etat ont réussi à se mettre tout ce beau monde à dos, moins de six mois après avoir fait le pied de grue pour poser fièrement en photo avec nos athlètes médaillés olympiques. Belle perf, rien à dire !
Qu’ils soient simplement déçus ou carrément en colères, 435 athlètes tricolores ont décidé de publier une lettre ouverte dans les colonnes de L’Equipe pour dénoncer rien de moins qu’un « sabotage du vivre-ensemble » et réclamer la préservation de « l’héritage des Jeux de Paris 2024 ». « Investissez dans le sport, pas seulement pour ses médailles, mais surtout pour son impact positif sur nos vies et notre société », concluent-ils cette tribune. Signataire parmi tant d’autres, l’escrimeur Enzo Lefort, médaillé de bronze au fleuret par équipe l’été dernier à Paris, a accepté de répondre à nos questions et de nous donner son avis sur cette situation un brin révoltante.
Quelle a été votre première réaction en apprenant ces nouvelles coupes budgétaires ?
Ça me rend triste, je suis déçu, tout simplement. Après, pour être tout à fait honnête, je ne suis pas naïf et je m’y attendais un peu, même si je ne pensais pas que ce serait dans de telles proportions. Ce qui m’a surpris, c’est le côté brusque de la chose, la rapidité à laquelle ça a été fait, à peine quelques mois après les Jeux de Paris… On a fait un gros effort en matière de budget avant les JO mais je n’avais pas trop de doutes quant au fait que ça n’allait pas perdurer dans le temps. Dans un contexte politique et économique très tendu, le sport apparaît toujours en France comme la cinquième roue du carrosse. Il a pourtant fait office de pansement durant les JO sur une société française assez meurtrie. Malheureusement le soufflé est vite retombé et le sport, qu’il soit amateur ou de haut niveau, a retrouvé la place qui était la sienne avant les Jeux. Tout en bas de l’échelle.
Quel va être l’impact direct de cette baisse du budget ?
Ça va immanquablement conduire à une baisse de la pratique sportive en France. Et ça, on finira par le payer cher à bien des égards. On sait qu’une société qui pratique une activité sportive régulière, c’est une société qui vit mieux, qui est en meilleure santé et qui, de fait, coûte moins cher aux caisses de l’Etat. Et au-delà de ça, c’est aussi un formidable levier d’interactions sociales, de vivre ensemble, à une époque où les plus jeunes, qui ont grandi avec Internet, ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes et leurs smartphones, à moins sortir, à moins bouger.
Dans ce contexte, les associations sportives ont un grand rôle à jouer. C’était un peu le ciment de la société, des jeunes générations, à une époque, et cela à tendance à disparaître. Ces coupes budgétaires ne vont faire que grossir cette tendance, alors qu’on a su impulser quelque chose grâce aux Jeux, en donnant envie aux jeunes de s’y mettre. Malheureusement on ne va pas pouvoir surfer sur cette vague positive et je pense qu’on va le payer cher sur le moyen et le long terme.
D’autant que cet été, nos gouvernants n’étaient pas les derniers à s’afficher avec les athlètes, à les féliciter pour leurs performances et les remercier pour l’exemple qu’ils ou elles représentent pour les jeunes générations…
Je suis peut-être un peu naïf mais, même si je sais que les politiques ont toujours à y gagner en matière d’image, de popularité, j’ai quand même eu la sensation que c’était assez sincère, spontané, qu’ils étaient vraiment heureux pour nous. Le problème, c’est de voir qu’une fois les Jeux derrière nous, nous gouvernants parent aux plus pressés sans réelles ambitions de mettre en place une stratégie sur le long terme.
Pensez-vous que cette baisse peut avoir des conséquences sur la préparation des prochains Jeux de 2028 ?
C’est une évidence. Je n’ai pas les détails du dossier et je ne sais pas à quel point l’ANS sera impactée, mais ce qui est sûr c’est qu’à l’époque elle a fait un gros travail pour aider les athlètes à bien se préparer, à vivre un quotidien un peu moins précaire afin de ne pas être parasité par des questions financières et pouvoir se préparer au mieux. C’est sûr que si on retire ces aides aux athlètes, la résultante c’est qu’on aura beaucoup moins de médailles. Et après, ça enclenche une sorte de cercle vicieux. Moins de médailles, moins de visibilité, moins de vocations créées chez les jeunes générations, donc moins de pratiquants, et donc encore une fois moins de moyens derrière… On aura récolté ce qu’on aura semé, tout simplement.
Souhaitez-vous aborder un autre point en particulier que ces baisses budgétaires vont bouleverser ?
Oui, cela va directement impacter les infrastructures sportives, qui sont le socle de la pratique dans notre pays. Comment va-t-on faire si on ne peut pas accueillir dans des conditions décentes tous ces nouveaux jeunes qui ont eu envie de rejoindre un club à la rentrée, grâce aux JO ? On le voit déjà dans le tennis de table où les clubs ne sont pas armés pour recevoir autant de nouveaux licenciés, les infrastructures ne sont pas prêtes à gérer cela. A titre d’exemple, le club dans lequel j’ai commencé l’escrime à mon arrivée en Guadeloupe est vraiment dans une situation alarmante. On peut presque parler d’insalubrité, ça fait quatre ans que le club n’a pas d’eau, la salle est de plus en plus vétuste et ça devient vraiment problématique pour la population locale. Ils ont finalement dû être délocalisés dans mon école primaire de l’époque pour pouvoir continuer à faire de l’escrime dans de bonnes conditions, mais ça reste du système D.
Je me mets à la place des parents – j’ai moi-même une petite fille de cinq ans – qui arrivent et voient ça… Personnellement, je réfléchirais à deux fois avant de l’inscrire dans ce club et je l’amènerais peut-être faire un autre sport où elle sera accueillie dans des conditions un peu plus décentes. Les jeunes auront beau avoir envie de se mettre à un sport, si à l’arrivée ils ne peuvent pas le faire dans de bonnes conditions, ça risque à terme de décourager tout une génération. Et parmi ces jeunes, peut-être passera-t-on à côté du prochain Teddy Riner ou Léon Marchand.