Affaire Mbappé : « Plus rien ne sort », la Suède, ce pays où on ne badine pas avec le secret de l’instruction judiciaire
Cela va bientôt faire un mois que le nom de Kylian Mbappé est sorti dans la presse suédoise dans une affaire de viol présumé, commis à l’hôtel Bank de Stockholm, l’établissement où résidait le joueur du Real Madrid début octobre, sans qu’on sache toujours s’il est officiellement mis en accusation. Si Aftonbladet et Expressen, les deux principaux journaux de Suède, ainsi que la chaîne de télévision TV4 News, maintiennent mordicus que c’est bien Mbappé qui est accusé par la plaignante, la procureure en charge du dossier, Marina Chirakova, n’a rien laissé filtrer de cette affaire ultra sensible.
Un secret bien gardé qui, d’un point de vue franco-français, a de quoi surprendre. Il est rare chez nous que l’intégralité des éléments d’un tel dossier soient protégés aussi longtemps des langues pendantes et des oreilles bien tendues. « Je peux comprendre que ça vous surprenne. Mais il y a quand même eu une première fuite vu que le nom de Mbappé est sorti dans les médias, rappelle Me Pernilla Dahlrot Cabouillet, avocate et membre du barreau de Paris et en Suède. Ça peut venir de la police, de la victime présumée et des gens de son entourage, on ne sait pas. Mais c’est vrai que depuis, le dossier est gardé secret. »
Pour enquêter heureux, enquêtons cachés
Et ce ne sont pas les coups de fil quotidiens de nos confrères suédois au bureau de Marina Chirakova, ou les visites des médias français jusqu’à la porte de son cabinet, qui changent quoi que ce soit. Si cela peut paraître étonnant vu de chez nous, cela n’a « rien d’extraordinaire » pour l’avocate suédoise. « Ça veut juste dire que les personnes en charge de ce dossier, et notamment la procureure, font bien leur travail et respectent leur devoir de confidentialité. Et même si j’ai d’autres dossiers dans lesquels la police a fait fuiter des éléments dans la presse, ce qui prouve bien que ça peut arriver chez nous, le degré de morale est quand même très élevé dans notre pays. »
Journaliste pour Aftonbladet depuis la France, où elle réside depuis de nombreuses années, Johanna Franden nous confirme que « plus aucune information ne sort » depuis le 15 octobre. « On a obtenu le témoignage d’une des filles présentes à la soirée mais les autres ne veulent pas parler. J’ai l’impression que tout le monde a un peu peur car tu ne sais pas ce que tu risques à accuser une star comme ça, bardée d’avocats, explique notre consœur. C’est un dossier tellement sensible que tout le monde est très prudent. C’est souvent le cas dans les affaires de viol, mais encore plus si on parle d’un joueur de la notoriété de Mbappé. »
Le nom de Mbappé pourrait ne jamais sortir
Quant à la durée des investigations, là non plus nos interlocuteurs ne sont pas surpris. Un tel dossier prend du temps, quand bien même la procureur souhaiterait ne pas trop traîner vu le retentissement médiatique de l’affaire. Après une perquisition policière au Bank Hotel de Stockholm, des affaires de la victime présumée ont été récoltées et envoyées au laboratoire pour des analyses ADN, dont on ne connaît toujours pas le résultat.
Il faut en outre auditionner les témoins potentiels et, le cas échéant, l’agresseur présumé. Là encore, impossible de savoir si Kylian Mbappé a déjà été entendu par les policiers suédois. Tout ce que l’on sait, c’est que la procureure Marina Chirakova est réputée pour être une magistrate respectée, rigoureuse et très professionnelle, et qu’elle a déjà eu à traiter de grosses affaires de cette envergure.
Tout est désormais entre ses mains, comme nous le confirme Me Dahlrot Cabouillet. « Selon la loi suédoise, l’enquête doit rester confidentielle jusqu’au moment où le procureur décide soit de poursuivre plus en avant les investigations, soit de refermer le dossier. Dans le premier cas de figure, elle se doit d’être relativement convaincue de pouvoir obtenir une condamnation. A priori, elle n’a pas encore tranché. On peut même ne jamais savoir si c’était bien Kylian Mbappé qui était accusé, dans le cas de figure ou la procureure jugerait qu’il n’y avait pas assez d’éléments à charge et qu’elle décidait de classer ce dossier. »
Une communication hâtive de la part du clan Mbappé ?
Du reste, cette affaire serait restée bien plus secrète encore si le joueur lui-même n’avait pas alimenté la machine médiatique en parlant de « fake news » et en criant au complot sur X, après la publication des premiers articles dans la presse française. Ou en envoyant au feu son avocate sur le plateau du 20 h de TF1 dans les premières heures d’une affaire à peine naissante, ou celle-ci mettra en doute la probité d’Aftonbladet, qui avait publié la photo du joueur à la sortie de son hôtel avant de sortir l’affaire sur le viol.
« Aftonbladet a beaucoup de ressources pour l’investigation et ne publie rien sans être sûr de son info, assure notre consœur. Chaque papier passe dans les mains de ce que l’on appelle un rédacteur éthique, pour être sûr de ne rien publier qui pourrait être diffamatoire. Tout est réglo, bordé. Si on a décidé de sortir le nom de Mbappé, c’est parce que le joueur a réagi sur Twitter. Sans ça, on ne l’aurait pas fait. »
Mis de côté par Didier Deschamps en équipe de France et ne mettant plus un pied devant l’autre au Real, l’ancien enfant prodige du foot français sait qu’une partie de son avenir se joue à des milliers de kilomètres plus au nord, dans un étrange pays qui ne plaisante pas avec les secrets de l’instruction judiciaire.