«Â Surfeurs harcelés pour ne pas montrer d’images de spots secrets »
Le documentaire « Slows, Les lents de la mer… (de) » de Lost in the swell a dû être amputé d’une grande partie de ses images montrant des vagues jugées secrètes dans des coins paumés de l’Atlantique nord. Après la sortie du teaser du film, des habitués de ces spots mystérieux ont fait pression sur l’équipe pour que les séquences soient retirées, menaçant de perturber les avant-premières.
Ils ne s’attendaient pas à cela. Bien connus pour la qualité de leurs films et leur respect des lieux de surf, les surfeurs de Lost in the swell ont été la cible d’une campagne de harcèlement les incitant à censurer leur dernier documentaire. Intitulée « Slows, Les lents de la mer… (de) », cette œuvre est accessible depuis quelques jours sur YouTube, mais a dû être amputée d’une grande partie de ses images mettant en avant des vagues considérées comme secrètes sur des spots isolés de l’Atlantique nord. « On a inventé le concept de film de surf sans surf », confie Ewen Le Goff, un sourire aux lèvres. Bien qu’il se déclare « fier » du résultat, il ne digère toujours pas la campagne de harcèlement dont lui et ses deux camarades ont été victimes.
Suite à la sortie du teaser du film il y a quelques mois, des habitués de ces spots mystérieux n’ont pas supporté de voir des images de « leurs vagues » partagées. Ils ont ainsi exercé des pressions sur les Français et leurs familles pour obtenir le retrait des séquences. « On recevait tous les jours des messages sur nos réseaux sociaux, via WhatsApp. Ils avaient obtenu nos numéros et mettaient la pression sur nos sponsors et nos amis. Ils menaçaient de venir perturber les avant-premières. C’était constant », relate le surfeur.
Pour comprendre les origines de cette improbable campagne de dénigrement, il est nécessaire de rappeler ce qu’est l’essence de Lost in the swell. Ce projet a vu le jour en Bretagne, dans l’esprit d’Ewen Le Goff, de Ronan Gladu et d’Aurélien Jacob. Depuis quinze ans, ces trois amis parcourent le monde à la recherche de « la vague parfaite ». Conscients de l’impact du réchauffement climatique, ils ont choisi « de réduire leur utilisation de l’avion » et tentent donc de voyager de manière plus respectueuse.
L’ADN de leur projet est de montrer des images de spots méconnus, tout en préservant leur localisation. « Le surf, c’est un peu comme les champignons, on ne donne pas ses coins facilement. Mais nous faisons attention. Ronan (qui filme) fait hyper gaffe à empêcher l’identification des lieux. Nous ne mentionnons pas la destination, nous ne fournissons aucun indice, et faisons des plans rapprochés pour ne rien montrer. Nous savons qu’il y a de plus en plus de surfeurs et que cela peut provoquer des tensions sur les spots. Donc, nous faisons attention », assure Ewen Le Goff.
C’est dans cette quête de « la vague parfaite » que les trois amis avaient pris la direction d’une destination secrète de l’Atlantique nord en plein hiver, afin de bénéficier des meilleures conditions. Guidés par la navigatrice Samantha Davies, récemment revenue de son Vendée Globe, ils avaient loué un petit voilier et navigué depuis la Bretagne vers ces plages cachées. « Nous avions fait des repérages sur les cartes. Nous avions étudié la houle, les vents et les orientations. Nous savons maintenant faire cela. Mais nous ignorions quand cela se présenterait. Nous voulions prendre notre temps. C’est l’opposé de notre société qui veut tout, tout de suite », poursuit Ewen Le Goff.
À leur arrivée, les Bretons se réjouissent. Oui, ils ont rencontré des difficultés avec leur petit voilier. Oui, ils ont eu des frayeurs en croisant des cargo géants. Oui, ils ont eu froid. Mais la récompense était à la hauteur de leurs efforts. « Nous avons découvert des spots incroyables, tous très différents. Il n’y avait personne à l’eau. Là-bas, Ronan a pris la plus longue gauche de sa vie. Et avec Aurel, nous avons passé un excellent moment, nous avons scoré. Depuis notre voyage en Patagonie (en 2020), ce sont les plus belles vagues que nous ayons jamais vues. »
Ces sessions mémorables étaient censées figurer dans le film, avec pour seul objectif de montrer la beauté des lieux. « Trois semaines de postproduction à tout flouter, effacer pour qu’aucun élément ne puisse permettre d’identifier les spots », raconte Ronan Gladu dans le film. Cependant, elles ont été retirées, sous la pression de surfeurs professionnels et de locaux visiblement influents. « Nous avons supprimé vingt minutes de surf. Heureusement, les gens apprécient quand même le film. Ils découvrent notre aventure, nos épreuves. Pendant les avant-premières, nous n’avons rien caché de ce que nous avions vécu. C’était l’occasion d’aborder le cyberharcèlement. Mais cela a été un crève-cœur de tout enlever », résume Ewen Le Goff.
Après cette désagréable expérience, les trois surfeurs bretons cherchent des moyens de rebondir. Engagés à prendre moins l’avion et à utiliser des moyens de transport moins polluants, ils se sentent quelque peu limités dans leur exploration du monde. Les trois amis s’interrogent également sur leur capacité à garder le mystère autour des spots qu’ils visitent, sur lesquels ils sont souvent seuls. « Aujourd’hui, avec une bonne IA, tu peux toujours retrouver où c’est. Et cela, nous n’y pouvons rien. »

