Un mois après l’incendie de Hong Kong : Survivants, culpabilité et chagrin
M. Yip, 68 ans, a perdu son épouse Pak Shui-lin dans l’incendie de Wang Fuk Court, qui est considéré comme le plus meurtrier à Hong Kong depuis plusieurs décennies. La police a déclaré début décembre que 21 personnes liées à diverses entreprises de construction et de sous-traitance avaient été arrêtées, la plupart pour homicide involontaire et certaines pour fraude.
Devant les pyramides d’Égypte, la tour Eiffel ou le Taj Mahal, Yip Ka-kui fait défiler sur son téléphone des photos qui lui rappellent d’heureux souvenirs avec son épouse Pak Shui-lin, décédée il y a un mois dans l’incendie le plus meurtrier à Hong Kong depuis plusieurs décennies. M. Yip, 68 ans, fait partie des milliers de personnes ayant perdu un proche dans la catastrophe de Wang Fuk Court, un événement inattendu dans l’une des villes les plus sécurisées et développées d’Asie.
Alors que le gouvernement de Hong Kong continue d’enquêter et de mener des opérations de secours, des experts estiment que les cicatrices psychologiques seront difficiles à guérir, tant pour les survivants que pour les familles endeuillées et les témoins. « Je me sens coupable, j’ai toujours l’impression que je l’ai prévenue trop tard et qu’elle n’a donc pas pu s’échapper à temps, » confie M. Yip.
Le 26 novembre dernier, le feu s’est rapidement propagé à sept des huit tours d’habitation du complexe de Wang Fuk Court, en rénovation et entouré de filets de protection de qualité médiocre pouvant avoir contribué à la propagation des flammes. M. Yip s’est échappé en premier, mais sa femme, voyant que les alarmes incendie n’avaient pas retenti, est allée frapper aux portes de leurs voisins pour les alerter, selon un survivant. « Quelques minutes de différence entre nous et je ne la reverrai jamais. Je ne peux pas l’accepter. »
Peu après le début de l’incendie, Isaac Yu, psychologue, a mobilisé des dizaines de collègues pour soutenir les résidents évacués. « L’ampleur, l’immédiateté et le degré de choc dépassaient » tout ce pour quoi ses collègues et lui avaient été formés. M. Yu explique que ceux qui ont tout perdu ont parfois réussi à garder leur calme dans les premières minutes. Cependant, il craint qu’ils ne s’effondrent par la suite et développent un stress post-traumatique.
Des ONG comme Samaritan Befrienders ont contacté des familles endeuillées pour proposer des services de santé mentale gratuits, en plus du soutien disponible dans les logements temporaires. Dans cette ville de 7,5 millions d’habitants, nombreux sont ceux qui ont suivi les informations de manière obsessionnelle au moment de l’incendie, ce qui a pu induire une charge mentale importante, selon M. Yu. « Pour ceux qui ne cherchent pas activement de l’aide, je crains de manquer l’occasion d’intervenir, ce qui pourrait entraîner des problèmes de santé mentale plus graves et des tragédies, » a-t-il déclaré.
Johnson Wong, un directeur commercial de 51 ans, témoigne que sa famille peine à gérer son chagrin, alors que deux membres restent introuvables. La plupart des corps ont été identifiés, mais certaines dépouilles ont été réduites en cendres. Des tests ADN, qui prennent du temps, sont donc nécessaires, a précisé la police, avertissant que le bilan pourrait encore s’aggraver. L’épouse de M. Wong espérait avoir des nouvelles de sa sœur et de sa mère, mais ses pires craintes ont été presque confirmées lorsqu’on lui a montré des photos de deux corps carbonisés retrouvés dans leur appartement. « Si le (test ADN) est concluant, cela marquera une fin. Mais sinon, que pouvons-nous faire ? » s’interroge M. Wong, qui ajoute que l’incendie avait également probablement privé sa nièce, étudiante à l’université, de son seul parent restant. « Il faudra beaucoup de temps pour apaiser la famille. »
Ayant emménagé chez ses fils, M. Yip souhaiterait que son appartement soit reconstruit à l’identique. Le gouvernement ne s’est pas encore engagé à rénover ni à raser le complexe en ruines, et des acteurs du secteur estiment que la réinstallation prendra des années. Mardi, un comité dirigé par un juge a visité les lieux dans le cadre d’une enquête qui devrait rendre ses conclusions dans neuf mois.
La police a déclaré début décembre que 21 personnes liées à différentes entreprises de construction et de sous-traitance avaient été arrêtées, principalement pour homicide involontaire et certaines pour fraude. Ces chiffres n’ont pas été mis à jour depuis. M. Yip espère que les autorités clarifieront les nombreux aspects « incompréhensibles » de cette tragédie. M. Wong, quant à lui, se montre plus désabusé. « Obtenir une réponse, c’est mieux que rien, mais cela peut-il réparer ce que nous avons perdu ? »

