Maroc

Taxis VS VTC : le décryptage de Hicham Amadi, PDG de Toogo

«Mobilité / Taxis / VTC : un enjeu de rente ou un jeu de monopole ?» Cette question était au cœur du dernier numéro de «L’Info en Face» de Groupe Le Matin. Et c’est Hicham Amadi, PDG de Toogo & vice-président de l’ASMEX qui était invité à en discuter. D’emblée, il explique que «nous sommes plutôt face à un enjeu de libéralisation». M. Amadi souligne en effet dès le début de l’émission que la qualité des taxis et le mindset des chauffeurs n’ont pas changé, alors que leur environnement change. Mais pour l’invité de Rachid Hallaouy, ces chauffeurs sont confrontés à un autre enjeu de taille : celui de la rentabilité. Et s’ils refusent de prendre des clients ou de desservir certains points, c’est parce qu’ils ont des contraintes et qu’ils se trouvent piégés dans un système qui a montré ses limites, explique l’invité de «L’Info en Face».

Un kilomètre pas cher Vs des coûts élevés

Ce système démarre par un kilomètre à 2,5 DH, rappelle l’invité. À ce niveau, «le chauffeur doit conduire toute la journée pour rentrer dans ses frais. En plus du gasoil et de son revenu quotidien, il doit s’acquitter du montant de la location de voiture : 300 à 400 DH pour 12 heures. C’est plus cher que la location d’une voiture normale de même catégorie. Dans ces conditions, est-ce normal que les chauffeurs de taxis refusent toute forme de concurrence déloyale ? La réaction primaire des chauffeurs était de dire «que s’il y a un nouvel entrant, nous allons encore perdre en revenus. Ce qui n’est pas vrai», affirme l’invité de Rachid Hallaouy, même si les syndicats des chauffeurs de taxis affirment perdre 10 à 20% de leurs revenus à cause des VTC. Pour étayer ses propos, M. Amadi rappelle qu’en 2017, il avait mis en ligne une autre application (Heetch), dédiée uniquement aux chauffeurs de taxis. Cette expérience, qui a duré 3 ans, avait permis aux taxis partenaires d’augmenter de 40% leurs revenus, affirme-t-il.

VTC : le métier doit être réglementé

Le souci pour notre spécialiste des applications de VTC réside dans la réglementation : «nous avons fait des réunions marathoniennes» avec le Conseil de la concurrence sur la question de la légalité ou pas de ces applications. En 2020, vient l’acquisition par Uber de Kareem, application VTC leader du Moyen-Orient. «Pour avaliser cette acquisition, Uber devait passer par les Conseils de la concurrence des pays couverts par Kareem. Au Maroc, cette acquisition a été avalisée, ce qui veut dire que c’est légal», conclut M. Amadi.

Pourquoi alors sanctionner les chauffeurs de VTC et pas les sociétés opérant dans ce secteur ? pour notre spécialiste, le ministère du Transport et de la logistique donne déjà des autorisations à des loueurs de véhicules avec chauffeurs à l’aéroport et les VTC peuvent y prétendre aussi. «Ce qui manque, en revanche, c’est une réglementation qui nous permet d’opérer au sein d’une ville, pour porter un client d’un point A à point B, sans que ce dernier lève la main haute», explique M. Amadi.

Taxis vs VTC : un nouvel épisode d’une guerre souterraine

Faible rentabilité des taxis

Concernant les taxis, l’invité de l’émission pointe du doigt un système à 3 maillons : le propriétaire de l’agrément, le propriétaire de la voiture et le chauffeur. Ce dernier est pris dans un système qui ne lui permet pas d’évoluer explique M. Amadi. Et d’ajouter : «Un chauffeur de taxi gagne entre 120 et 170 dirhams par jour, alors qu’un chauffeur VTC gagne entre 200 et 400 dirhams par jour net, avec moins de courses. C’est un vrai revenu !» En effet, la rémunération est basée sur le chiffre d’affaires réalisé par le chauffeur : «certaines plateformes prennent 25%, d’autres 30%. Nous, nous restons sur un modèle plus équilibré à 10%. Les chauffeurs VTC peuvent choisir leurs horaires, travailler sur plusieurs applications et optimiser leur revenus», partage le patron de Toogo.

Mais ce n’est pas le seul avantage, souligne notre invité. Pour les clients, M. Amadi cite d’autres atouts : un prix des trajets connus à l’avance et des véhicules bien entretenus. «Les exploitants de taxis voient les VTC comme une menace parce qu’ils contrôlaient un système où ils capturent toute la valeur sans garantie de qualité».

Par ailleurs, il a rappelé que la réglementation des VTC serait mise en place dans les prochaines semaines par le ministère de tutelle : «une étude a été lancée pour analyser l’écosystème et voir comment réguler cette activité». En attendant, le président de Toogo souligne qu’InDrive a déverrouillé le marché d’une manière sauvage», mais qui a le mérite d’avoir démontré le potentiel de ce marché, avec 60.000 chauffeurs contre 77.000 agréments.

Données personnelles : les plateformes ne se valent pas toutes

Le stockage des données des clients est également un point important sur lequel insiste Hicham Amadi : «Toutes les données de Toogo sont hébergées au Maroc. Je suis prêt à être audité pour le prouver». Il pointe du doigt l’opacité qui caractérise la gestion de ces données par les plateformes étrangères : «les autres plateformes stockent leurs données ailleurs, et personne ne sait où elles vont réellement». Pire, ces données seraient, dans certains cas, une marchandise vendue ou louée par certaines applications de mobilité. «Uber a fait le choix de ne pas monétiser les données, mais d’autres plateformes le font clairement», affirme notre invité. La solution ? Un cahier des charges qui permet même aux opérateurs étrangers d’opérer au Maroc tout en se conformant à la législation en vigueur.