Maroc

Tahar Ben Jelloun à l’honneur au MMVI : manuscrits et toiles en dialogue

Le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) a inauguré, mardi 8 avril, l’exposition «Tahar Ben Jelloun : De l’écriture à la peinture». Cette rétrospective inédite, à découvrir jusqu’au 30 juin, met en lumière la double vocation de l’écrivain franco-marocain à travers une quarantaine de toiles et des manuscrits originaux de plusieurs de ses romans emblématiques.

Écrivain, poète, essayiste et peintre, Tahar Ben Jelloun n’a jamais dissocié la création littéraire de l’expression plastique. Son parcours de peintre, né tardivement, est pourtant enraciné dans l’enfance : «J’ai commencé à dessiner avant d’apprendre à lire et à écrire», confie-t-il. C’est sous l’impulsion d’un ami italien qu’il se met à la peinture sur de grandes toiles. Ce geste nouveau devient un exutoire : il passe de «la douleur du monde» à «la lumière de ce même monde».

Pour l’auteur de «La Nuit sacrée», Prix Goncourt 1987, peindre est une quête de beauté et d’espérance, une réponse poétique à la violence du réel : «Je ne me considère pas comme un peintre… Je suis un écrivain qui essaye de se racheter en faisant danser les couleurs prises dans le ciel et la mer de Tanger.» Ses toiles révèlent une palette vibrante : jaune, bleu, orange, rouge… Ces couleurs «qui dansent et qui chantent» traduisent une volonté de saisir l’instant lumineux, de convoquer la joie sans nier la brutalité du monde. Des signes mystérieux, entre oiseaux stylisés et calligraphie arabe, s’élèvent sur ses toiles comme un langage pictural inédit.

Dans le catalogue de l’exposition, Jérôme Clément, écrivain français et éminent personnage du paysage culturel francophone, rend hommage à cette double vocation : «Tahar est un créateur de mots, un homme de plume devenu homme de pinceau dans la même recherche de l’autre, du monde qu’il observe, comprend et cherche à nous transmettre : sa vie, celle de ses contemporains, les paysages qui les entourent.» Il souligne la continuité entre l’écriture et la peinture, deux langages au service d’une même mission : transmettre la beauté du monde malgré ses drames.

Pour sa part Aziz Daki, cofondateur de la galerie L’Atelier 21, rappelle que la peinture est une source de bonheur pour Tahar Ben Jelloun. «Ce bonheur de peindre est l’une des marques patentes de l’artiste. Toutes les toiles de Tahar se ressentent du plaisir que leur auteur a éprouvé en les réalisant». Ce bonheur et ce plaisir de peindre sont communicatifs. Il imprègne les œuvres de Tahar d’une énergie généreuse et spontanée. Selon Aziz Daki, le face-à-face de Tahar avec la toile relève davantage de l’étreinte amoureuse. «Pas de joute, pas de partie à qui perd-gagne. Peindre n’est pas une épreuve pour Tahar. Chaque toile constituant une promesse vers le bonheur. Tahar est un amoureux désarmé et conquis par la peinture.» L’audace de Tahar Ben Jelloun l’a aussi conduit vers l’art du vitrail. En 2019, il réalise un ensemble de vitraux pour une église du XIIIe siècle à Thoureil, sur les bords de la Loir en France. Une manière pour lui de mêler le soleil de Tanger aux lumières angevines, dans une œuvre où se croisent traditions musulmane et chrétienne, dans un esprit de dialogue et d’universalité.

Sous le commissariat de Abdelaziz El Idrissi et Boubker Temli, cette exposition offre une immersion rare dans l’univers de Tahar Ben Jelloun. Manuscrits, peintures, témoignages : tout y est réuni pour comprendre comment l’écrivain, sans jamais quitter sa plume, s’est laissé guider par les couleurs vers un nouvel espace de création.