Sahara : le Maroc à la conquête d’un des derniers bastions du polisario en Amérique latine

Le 26 février 2025, à Mexico, une séance exceptionnelle organisée à la Chambre des députés en l’honneur du président de la Chambre des représentants marocaine, Rachid Talbi Alami, tourne à la controverse. Alors que le dignitaire marocain expose devant les parlementaires mexicains une vision ambitieuse pour renforcer les relations bilatérales, quelques députés du Parti du travail (PT), formation de gauche radicale faisant partie de la coalition gouvernementale, décident d’exprimer bruyamment leur soutien au Front polisario. Mais cette mise en scène, destinée à embarrasser la délégation marocaine, tourne rapidement au fiasco diplomatique pour ses initiateurs. Face aux accusations, une large majorité de parlementaires mexicains se mobilisent pour exprimer publiquement leur soutien à une coopération renforcée avec le Royaume. Parmi eux, la sénatrice Olga Sánchez Cordero (Morena), ancienne présidente du Sénat, qui souligne devant ses collègues que le Maroc constitue «une porte d’entrée stratégique vers l’Afrique», alors que le Mexique représente «une plateforme clé pour le Royaume vers l’Amérique latine». La députée Marcela Guerra Castillo (PRI), quant à elle, rappelle l’existence de «plus de 17 accords bilatéraux couvrant divers secteurs», insistant sur l’importance de promouvoir «le multilatéralisme» et de renforcer les échanges économiques entre les deux nations. Une réponse claire aux attaques théâtrales du Parti du travail, rapidement isolées et dépassées par cette vague de soutien en faveur de Rabat.
Polisario : le Mexique face à son histoire
Jusqu’ici, le Mexique faisait partie des quelques pays latino-américains reconnaissant officiellement la prétendue «République arabe sahraouie démocratique» (Rasd), créée par le Front polisario. Mais depuis quelques années, cette position semble évoluer vers une posture plus pragmatique, en phase avec les nouvelles réalités géopolitiques internationales. Cette tendance s’est accélérée récemment avec la mise en place, le 21 février 2025, de l’Observatoire mexicain du Sahara marocain, une plateforme d’influence composée d’éminentes personnalités académiques et politiques mexicaines. Présidée par la professeure à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), Maria Reyna Carretero, cette initiative vise clairement à défendre le plan marocain d’autonomie présenté en 2007 comme «seule solution réaliste et crédible» au conflit saharien.
Lors de son discours inaugural, Mme Carretero a affirmé que «Le lancement de cette plateforme intervient dans la foulée du soutien grandissant à la marocanité du Sahara, reflétant le bien-fondé de la position du Maroc et l’échec des thèses séparatistes et de leurs soutiens.» Andrés Ordóñez, autre membre de l’Observatoire, enfonce le clou, évoquant «une prise de conscience croissante au Mexique de l’importance d’une compréhension juste du dossier sahraoui, loin des contrevérités véhiculées par certaines parties hostiles au Maroc».
Une offensive diplomatique globale
Cette dynamique intervient dans un contexte diplomatique actif, symbolisé par la tenue de la première session des consultations politiques bilatérales, le 26 février à Mexico. La sous-secrétaire mexicaine aux Relations extérieures, María Teresa Mercado Pérez, qualifie cet événement de «jalon important» marquant «une nouvelle étape dans les relations diplomatiques entre les deux pays». Ces consultations politiques ont permis aux deux pays d’aborder plusieurs sujets, dont la migration irrégulière, la sécurité, l’économie, mais surtout la question cruciale du Sahara marocain, révélant ainsi une complémentarité stratégique entre Rabat et Mexico.
Une visite Royale historique en 2003
Cette nouvelle dynamique bilatérale n’est pourtant pas apparue ex nihilo. Elle trouve ses racines dans une histoire diplomatique marquée notamment par la visite officielle de S.M. le Roi Mohammed VI au Mexique, en octobre 2003. Lors de cette visite historique, le Souverain avait été accueilli chaleureusement par le Président mexicain de l’époque, Vicente Fox Quesada. Les deux dirigeants avaient convenu d’approfondir leurs consultations bilatérales, évoquant des coopérations renforcées dans les secteurs socio-économiques prioritaires, jetant ainsi les bases d’un dialogue politique renforcé. Cette visite avait alors illustré la volonté marocaine d’inscrire durablement son engagement en Amérique latine, tout en soulignant l’importance stratégique des relations bilatérales, bien avant la montée en puissance actuelle des échanges commerciaux, estimés aujourd’hui à plus de 350 millions de dollars annuels.
Une diplomatie parlementaire active
C’est précisément pour consolider ce rapprochement que Rachid Talbi Alami a entrepris une visite au Mexique, les 25 et 26 février 2025. Devant les députés mexicains, il avait déclaré «Nos pays partagent les mêmes valeurs, les mêmes préoccupations et se mobilisent face aux mêmes défis : la migration irrégulière, le changement climatique, le terrorisme et le crime organisé». Appelant à une «diplomatie constructive et pragmatique», il précise que Rabat souhaite aujourd’hui diversifier ses partenariats, faisant du Mexique «un partenaire incontournable en Amérique latine». Pour sa part, le président de la Chambre des députés du Mexique a souligné que son pays «attache une grande importance à ses relations avec le Maroc et aspire à renforcer la coopération parlementaire ainsi que l’échange d’expériences entre les deux institutions législatives, de manière à contribuera à consolider les valeurs démocratiques et renforcer le développement durable».
À l’assaut d’une citadelle historique de la gauche
Abstraction faite de ses retombées à court et moyen termes, la visite de M. Talbi Alami a eu le mérite de suscité un débat historique au sein de la classe politique mexicaine au sujet de la question du Sahara. Pour Machij El Karkri, le discours de M. Talbi Alami devant le Parlement mexicain et l’incident provoqué par la députée du Parti du travail a ouvert un débat inédit au sein même de la coalition gouvernementale mexicaine, composée du parti au pouvoir, le MORENA, et du Parti vert. «Ce débat est historique car, pour la première fois, il rompt avec un silence diplomatique longtemps figé. C’est exactement ce genre de discussions que nous voulons susciter : il faut briser les vieux tabous idéologiques pour favoriser une réelle évolution», explique ce membre du bureau politique de l’USFP et coordinateur des relations extérieures avec les pays d’Amérique du Sud et d’Afrique. Il semblerait donc qu’une nouvelle dynamique diplomatique soit enclenchée, ce qui laisse présager une évolution lente, mais progressive de la position officielle de Mexico. Mais il faut savoir raison garder. Cette évolution ne sera pas exempte de défis internes au Mexique. L’hostilité persistante de certaines formations montre clairement que le Maroc doit se montrer plus convaincant au-delà des cercles proches du pouvoir mexicain.
Saïd El Rhouli, chercheur et analyste politique : «Des acteurs en l’Amérique latine demeurent encore influencés par les séquelles de la guerre froide»
Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), formation politique historique au Mexique, a exprimé sa «solidarité avec la lutte légitime» du Maroc pour défendre sa souveraineté sur son Sahara. Pensez-vous qu’un changement de la position officielle de ce pays est en train de prendre forme ?
Saïd El Rhouli : Ce qui est sûr, c’est que l’instigateur d’un fait ou d’un acte est celui qui peut le changer, dans la mesure où il possède une légitimité politique de réviser sa position. De ce fait, je crois qu’un changement de position officielle du Mexique par rapport à la question du Sahara me paraît possible dans un horizon proche.
Comment expliquez-vous le maintien de la reconnaissance par le Mexique du polisario malgré les relations plutôt bonnes entre Rabat et Mexico et les perspectives de partenariat considérables qui s’offrent aux deux parties ?
La question est liée à un aspect souvent doctrinal, mais qui peut aller jusqu’à épouser des convictions personnelles. En politique, il faut toujours attendre l’éclipse d’un ancien acteur qui a marqué la scène par sa philosophie et son mode de gouverner au profit d’un nouveau protagoniste. Nous devons nous rappeler que certains acteurs de l’Amérique latine et du Caraïbe demeurent encore influencés par les séquelles de la guerre froide et la doctrine révolutionnaire. Il s’agit donc d’une question liée à un héritage politique qui, compte tenu de la nouvelle la carte politique mondiale, des changements géostratégiques et des défis économiques, finira par disparaître.
Quels leviers faut-il actionner pour pousser le Mexique à prendre modèle sur nombre de pays d’Amérique latine ayant retiré leur reconnaissance de la Rasd ?
Le levier qu’on doit actionner est celui déjà utilisé, du fait qu’il a prouvé son efficacité. Nous sommes face à des pays qui ont le même modèle de pensée, voire les mêmes traditions politiques. Mais il faut aussi mobiliser d’autres alternatives telles que la diplomatie parallèle à travers le Parlement, la société civile et d’autres acteurs. Il serait également souhaitable de renforcer notre présence historique dans la culture hispanophone à travers laquelle nous pouvons donner plus d’éclairage sur notre cause nationale aux Mexicains.
Après plus de 60 ans de relations diplomatiques, qu’est-ce qui empêche les deux pays de sceller un partenariat stratégique ?
Il vaudrait mieux dire qu’après toutes ces années, il est temps de sceller ce genre de partenariat qui ne peut qu’assurer la complémentarité entre Rabat et Mexico, d’autant plus que les conditions d’aujourd’hui sont plus favorables que celles d’hier. L’Initiative Royale pour l’Atlantique est un élément essentiel à prendre en considération. Elle permettra au continent africain de s’ouvrir sur la façade atlantique américaine. Les deux pays peuvent jouer un rôle majeur dans ce cadre.
Sahara marocain : pourquoi un changement de la position de Mexico n’est probablement pas pour demain
Pour Mohamed Badine El Yattioui, expert en relations internationales, la déclaration de solidarité du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) mexicain envers le Maroc représente un changement symbolique majeur. Toutefois, cette prise de position ne traduit pas nécessairement une évolution significative de la politique étrangère mexicaine actuelle, en particulier en ce qui concerne le dossier du Sahara marocain. «Ce changement est important d’un point de vue symbolique puisque c’est le parti qui avait reconnu la prétendue rasd et l’avait soutenue pendant des décennies. Cependant, cette décision n’aura probablement aucune incidence sur la position future du Mexique concernant les provinces du Sud», affirme l’expert qui est également professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis.
Le PRI, bien qu’il ait dominé la vie politique mexicaine au XXᵉ siècle, ne détient plus aujourd’hui de pouvoir décisionnel majeur, ce qui limite l’impact de cette nouvelle position. «En fait, le PRI, qui est dans l’opposition, ne pèse quasiment plus rien, que ce soit à la Chambre des députés ou au Sénat», précise l’expert, soulignant que le parti au pouvoir, Morena, est dominant dans le paysage politique mexicain actuel. Ce qui voudrait dire que, même si le PRI change de position, cela n’aura probablement pas d’effet sur la politique officielle du Mexique, qui est guidée par le parti au pouvoir.
Les principes et les enjeux internes l’emportent sur les intérêts stratégiques
Ceci étant, les relations globalement positives entre Rabat et Mexico interrogent quant à leur compatibilité avec la position du Mexique sur la question du Sahara marocain. M. El Yattioui explique que certaines limites brident la capacité du Président à agir de manière indépendante, même en l’existence d’intérêts stratégiques qui pourraient justifier un changement de position. «L’article 89 de la Constitution mexicaine limite assez fortement la marge de manœuvre du Président, quel qu’il soit, et pose un problème que j’appelle la sanctuarisation de la politique étrangère du Mexique», relève-t-il. Cette «sanctuarisation», ajoute l’expert, fait que les décisions sont davantage guidées par des principes établis que par des considérations pragmatiques ou opportunistes, dont le fort potentiel de collaboration économique, culturelle et politique entre les deux pays.
Aux limites constitutionnelles s’ajoute aussi la force de frappe d’un puissant lobby, opposé à la reconnaissance des intérêts marocains. «Ce qui empêche les deux pays de sceller un partenariat stratégique après 60 ans de relations, c’est le fait que les lobbies anti-marocains soient encore très puissants», relève M. El Yattioui. Ce point est crucial, car il indique que les décisions de politique étrangère ne sont pas uniquement le fait de considérations internationales, mais aussi d’influences internes. Le milieu universitaire et politique, notamment au Sénat, joue un rôle dans la formation de l’opinion publique et des décisions gouvernementales. À ce titre, toute évolution dans la position du Mexique nécessite un changement significatif dans ces cercles d’influence, comme souligné par notre interlocuteur.
«Je pense qu’il est essentiel d’engager un travail sur le moyen et le long terme, en mobilisant des ressources humaines significatives, afin de mettre en œuvre une stratégie, voire une contre-stratégie, pour lutter contre cette situation et parvenir à un retrait de la reconnaissance de la pseudo-rasd», recommande M. El Yattioui. «Mais cela nécessitera du temps car, comme je l’ai souligné, le monde politique ainsi que le milieu intellectuel et académique demeurent résolument opposés à la cause nationale. En revanche, du côté économique, la dynamique est différente. Le Maroc se positionne en effet comme un véritable hub pour les pays d’Amérique latine désireux d’accéder au marché africain, ce qui suscite un réel intérêt», poursuit-il.
Privilégier une approche individualisée et une vision transpartisane
Partant de là, M. El Yattioui met l’accent sur l’importance d’adopter une approche nuancée et différenciée de la diplomatie marocaine en Amérique latine. Cela implique que le Maroc doit faire des efforts pour analyser et comprendre les dynamiques internes de chaque pays partenaire, ce qui nécessite une expertise pointue. «Le Maroc doit développer une diplomatie adaptée à chaque pays, sans appréhender l’Amérique latine comme un bloc homogène», indique-t-il, soulignant la diversité politique et culturelle de l’Amérique latine, où les pays ont des intérêts et des perspectives variés. Il insiste ainsi sur la nécessité de comprendre les particularités politiques de chaque nation, y compris les différences partisanes. Il explique qu’une approche incluant à la fois la droite et la gauche est nécessaire afin d’établir des relations équilibrées et de ne pas se lier exclusivement à un seul camp politique. Cela pourrait augmenter l’influence marocaine en jouant sur les intérêts de différents acteurs.
«Le Mexique, bien qu’il fasse partie du bloc de l’Amérique latine, est géographiquement situé en Amérique du Nord et présente des intérêts et une vision distincts, en comparaison avec des pays comme la Colombie, l’Équateur ou même le Brésil, qui se trouvent en Amérique du Sud. Cette distinction est essentielle à prendre en compte», précise M. El Yattioui. «Pour naviguer efficacement dans ces différences, il est crucial de disposer de véritables experts en matière de diplomatie ainsi que dans le milieu intellectuel et académique. Ces spécialistes peuvent offrir des clés de compréhension sur les particularités de chacun de ces pays», analyse-t-il.
Trump II : pas d’impact sur la position du Mexique
Sur le plan économique, cette même logique s’impose. L’expert explique que 85% du commerce mexicain se fait avec les États-Unis, engendrant une forte dépendance économique, contrairement à d’autres pays latino-américains, tels que le Brésil, lequel a un commerce international plus varié et diversifié. Cette situation est en grande partie le résultat de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui rend l’économie mexicaine particulièrement sensible aux changements de la politique commerciale américaine. Dans ce contexte, le Mexique aurait intérêt, en toute logique, à diversifier ses partenariats commerciaux, ce qui représenterait une opportunité pour le Maroc qui possède des atouts indéniables, notamment sa vision pour l’Atlantique.
«Avec Trump II, il semble que l’ALENA soit en voie de disparition. L’introduction de droits de douane de 25% sur les importations en provenance du Canada et du Mexique, qui sont les deux partenaires historiques des États-Unis au sein de cet accord, en est un indicateur clair. Face à cette situation, le Mexique pourrait envisager de diversifier ses relations commerciales et de rechercher de nouveaux partenaires. Le Maroc pourrait en profiter pour se positionner sur certains marchés. Cependant, cela nécessitera des stratégies bien pensées et un temps considérable», relève M. El Yattioui qui ne voit pas de lien direct entre la réélection de Trump et une évolution positive de la relation entre le Maroc et le Mexique.
Abdallah Bouanou : «Il est essentiel que la diplomatie parlementaire poursuive son travail au-delà des clivages politiques internes»
«Cette visite parlementaire porte en elle la responsabilité pour notre diplomatie de poursuivre son engagement au service des intérêts vitaux du Maroc, notamment pour défendre avec force notre intégrité territoriale.» Abdallah Bouanou, président du groupe parlementaire du Parti de la justice et du développement (PJD), dresse ainsi le bilan, dans un récent article publié sur le site du parti, de la visite officielle d’une délégation parlementaire marocaine au Mexique, menée du 23 au 26 février 2025 par Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants. Le député islamiste y voit une réussite diplomatique marquante, soulignant notamment l’importance symbolique du discours prononcé par M. Talbi Alami devant la Chambre des députés mexicaine. Cet événement, rare dans l’histoire parlementaire du Mexique, est décrit par Bouanou comme une «victoire diplomatique», car il offre une tribune exceptionnelle aux positions marocaines sur la scène internationale, en particulier concernant le dossier sensible du Sahara. La délégation marocaine, composée de représentants des principaux partis politiques (RNI, PAM, PPS, PJD), semble avoir dépassé ses divergences internes habituelles afin de présenter une image cohérente et unifiée à Mexico. Selon M. Bouanou, l’un des succès majeurs tient à l’unanimité inattendue des réactions parlementaires mexicaines, majorité et opposition, qui ont appelé à renforcer davantage la coopération bilatérale avec Rabat, saluant au passage les avancées politiques et économiques du Maroc.
Le député du PJD relève néanmoins une tentative isolée de contestation venue d’une députée mexicaine, opposée à la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud. Mais loin d’affaiblir la position du Maroc, cette intervention a eu, paradoxalement, pour conséquence d’isoler davantage les voix favorables aux thèses séparatistes au sein même du Parlement mexicain, suscitant même, selon M. Bouanou, un débat interne sur les responsabilités et les conséquences politiques d’une telle prise de parole. Cette visite, qualifiée de «moment déterminant» par Abdallah Bouanou, intervient dans un contexte géopolitique où le Maroc multiplie les avancées diplomatiques sur le dossier du Sahara, bénéficiant d’un soutien international croissant à sa proposition d’autonomie. Si la réussite de cette visite est évidente, le député rappelle toutefois qu’elle impose désormais aux parlementaires marocains une vigilance accrue et une responsabilité renouvelée. «La réussite de cette mission ne doit pas nous faire oublier l’exigence d’un travail diplomatique constant, structuré et uni, au-delà des clivages politiques internes.»
Machij El Karkri, membre du bureau politique de l’USFP et coordinateur des relations extérieures avec les pays d’Amérique du Sud et d’Afrique : «Sur la question du Sahara, la dernière visite du président de la Chambre des représentants a ouvert un débat inédit au sein de la classe politique mexicaine»
Le Matin : Vous revenez du Mexique, où l’USFP était présente à l’invitation du PRI mexicain. Parlez-nous de cette visite et de son importance ?
Machij El Karkri :
Cette visite s’inscrit dans un cadre stratégique, celui d’une diplomatie partisane dynamique et proactive voulue par l’USFP. Nous étions à Mexico pour deux raisons : célébrer les 96 ans du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), parti mexicain historique, mais aussi pour officialiser notre adhésion à la COPPPAL, la Conférence permanente des partis politiques d’Amérique latine et des Caraïbes, qui rassemble 74 partis issus de 30 pays de la région. Cette adhésion est une première pour un parti africain. Elle concrétise plus de deux années de dialogue intense, de négociations et de rapprochements idéologiques. Derrière cette démarche, il y a une volonté claire de renforcer la position du Maroc dans une région qui possède un potentiel énorme, mais dont les relations avec notre pays étaient jusqu’alors restées trop timides.
Qu’est-ce qui rend aujourd’hui le Mexique stratégique aux yeux du Maroc ?
Le Mexique est une économie majeure, classée parmi les vingt premières mondiales. Il jouit d’une position diplomatique exceptionnelle : il a su, pendant la Guerre froide, entretenir de bonnes relations avec Washington tout en restant proche de Moscou. Pourtant, malgré cette ouverture mondiale, ses échanges avec l’Afrique restent quasi inexistants. Le Maroc a une opportunité réelle d’être ce pont entre l’Amérique latine et l’Afrique, deux régions au potentiel considérable, mais encore sous-exploité. C’est une opportunité que nous ne devons pas manquer.
Les relations entre Rabat et Mexico ont longtemps été marquées par la reconnaissance mexicaine de la «Rasd». Comment expliquer cet alignement qui traverse le temps ?
Historiquement, le Mexique s’est aligné sur une logique de solidarité révolutionnaire des années 70-80, influencé notamment par Cuba et l’Algérie. Mais contrairement à d’autres États, le Mexique n’a jamais développé une hostilité particulière envers le Maroc. Il y avait un silence diplomatique plutôt qu’une véritable opposition. Aujourd’hui, l’enjeu est justement d’ouvrir ce débat, de permettre au Mexique de mieux comprendre la réalité du dossier du Sahara. Je crois que les lignes commencent réellement à bouger.
Justement, comment évaluez-vous les résultats concrets de ces initiatives diplomatiques récentes ?
Je vous donne un exemple très concret. Lors de la récente visite du président de la Chambre des représentants marocaine à Mexico, son discours devant le Parlement mexicain a été perturbé par quelques députés de l’extrême gauche, notamment du Parti du travail. Pourtant, loin d’être négative, cette perturbation a ouvert un débat inédit au sein même de la coalition gouvernementale mexicaine, composée du parti au pouvoir, le MORENA, et du Parti vert. Ce débat est historique car, pour la première fois, il rompt avec un silence diplomatique longtemps figé. C’est exactement ce genre de discussions que nous voulons susciter : il faut briser les vieux tabous idéologiques pour favoriser une réelle évolution.
En rejoignant la COPPPAL, que gagne concrètement l’USFP et, plus largement, le Maroc ?
Pour l’USFP, c’est un immense progrès. On intègre un espace de dialogue politique et idéologique dynamique, riche d’expériences démocratiques, notamment en matière de justice transitionnelle et de démocratie participative. Ces expériences peuvent nous inspirer au Maroc. Mais au-delà, pour notre pays, c’est surtout une occasion unique de faire entendre la voix du Maroc sur le dossier du Sahara au cœur même de l’Amérique latine, où certaines perceptions historiques erronées persistent. À travers la COPPPAL, nous pourrons déconstruire ces perceptions, mieux expliquer notre projet d’autonomie et montrer les véritables enjeux de ce conflit.
Est-ce réaliste d’espérer un changement rapide de la position mexicaine sur la question du Sahara ?
Il faut être prudent mais optimiste. Je ne pense pas qu’on puisse parler de changement immédiat ou radical, mais clairement, les conditions se réunissent pour une évolution progressive vers une neutralité constructive. Le Mexique ne peut ignorer éternellement la légalité internationale et les résolutions du Conseil de sécurité. Aujourd’hui, le Maroc est soutenu ouvertement par de nombreux pays influents, notamment les États-Unis, la France, l’Espagne, mais aussi en Amérique latine par des acteurs majeurs comme le Brésil, le Chili et l’Argentine. Le Mexique a tout intérêt à rejoindre ce mouvement pragmatique et réaliste, au-delà des vieux réflexes idéologiques hérités de la Guerre froide.
Comment voyez-vous l’avenir des relations maroco-mexicaines ?
Je suis optimiste, profondément optimiste. Nous sommes à l’aube d’une dynamique nouvelle, initiée par cette convergence diplomatique exceptionnelle : officielle, parlementaire, partisane. Le Mexique cherche aujourd’hui à diversifier ses partenariats économiques, et le Maroc possède des atouts stratégiques uniques dans les énergies renouvelables, l’automobile, les phosphates ou le tourisme. Nos économies sont complémentaires. Notre vision, portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, de créer un espace intégré autour de l’Atlantique, offre précisément ce que le Mexique recherche: un partenaire stable, fiable, capable d’ouvrir les portes du marché africain. Nous pouvons devenir, ensemble, un modèle de coopération Sud-Sud inédit.