Remous après la fin de mission de 16 directeurs provinciaux de l’Éducation nationale

Depuis le début de la semaine dernière, le ministère de l’Éducation nationale est secoué par une vague de décisions inédites. Pas moins de 16 directeurs provinciaux ont été démis de leurs fonctions, tandis que 7 autres ont été mutés. Dans le même temps, 27 postes ont été ouverts à la candidature à travers le Royaume, dont 11 déjà vacants. Un véritable séisme administratif qui soulève des interrogations quant aux objectifs et aux implications de cette restructuration.
Une justification officielle, mais des interrogations persistantes
Pour le ministère, cette mesure «s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des conclusions de l’évaluation des performances pédagogiques et managériales des directrices et directeurs régionaux». L’objectif est de s’assurer de leur capacité à déployer efficacement les réformes en cours, tout en garantissant une gestion transparente, responsable et en synergie avec les Académies régionales d’éducation et de formation. Toutefois, cette explication n’a pas suffi à calmer certains esprits. Depuis l’annonce, les réseaux sociaux sont en effervescence, les forums éducatifs s’animent et les débats prennent une ampleur inhabituelle. Tout le monde y va de son commentaire et de son analyse. La polémique est arrivée jusqu’au Parlement.
Une interpellation directe au Parlement
Le groupe parlementaire du Parti du progrès et du socialisme (PPS), par la voix de son président Rachid Hamouni, a interpellé le ministre de l’Éducation nationale sur les véritables raisons de ces décisions. Dans une question écrite, M. Hamouni exige que le ministre éclaire l’opinion publique sur les critères ayant conduit à ces actions. Le député s’interroge notamment sur le moment choisi pour ces changements, alors que le gouvernement s’approche de la fin de son mandat. Selon lui, il est essentiel d’expliquer les «référentiels et indicateurs» d’évaluation utilisés afin d’éviter toute interprétation malencontreuse qui pourrait faire le raccourci avec des «calculs politiciens et électoralistes».
Quels impacts pour les écoles pionnières ?
Le communiqué du ministère insiste, cependant, sur le fait que cette démarche s’inscrit dans une logique d’amélioration et de renforcement des capacités des directions provinciales. L’objectif affiché est d’optimiser la gouvernance éducative afin d’assurer une mise en œuvre plus efficace des réformes en cours. Le ministère souligne également la nécessité d’agir rapidement, considérant que l’ampleur du chantier éducatif et ses enjeux stratégiques exigent des décisions adaptées et réactives pour garantir la réussite des projets en cours.
Le rôle des Académies régionales sous questionnement
Abdenassar Naji, président de l’association Amakine pour la qualité de l’enseignement, admet pour sa part que la révocation de directeurs est un droit qui revient au ministre, si l’on se réfère à la loi-cadre 51-17 qui insiste sur le processus d’évaluation et de sanction. Cette décision peut même être justifiée, selon lui, si elle repose sur une évaluation rigoureuse et objective. Cependant, il souligne que l’inspection générale, chargée de cette évaluation, demeure un organe interne au ministère, ce qui «laisse planer le doute sur son impartialité». «Si ces directeurs ont été jugés incompétents, avaient-ils au préalable reçu les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs ? Ont-ils eu l’occasion de se défendre ?» s’interroge-t-il. Pour lui, l’application du principe de la reddition des comptes est certes importante, mais elle ne peut être crédible que si elle s’appuie sur des garanties de transparence et d’équité.
Selon le communiqué du ministère, cette décision a été prise en coordination avec les Académies régionales d’éducation et de formation (AREF), qui ont activement participé à l’évaluation des performances pédagogiques et managériales des directeurs concernés. La terminologie utilisée dans la communication du ministère indique qu’il ne s’agit pas d’une sanction disciplinaire, mais d’un processus de gestion des ressources humaines visant à adapter les profils aux exigences des réformes en cours. Dans ce contexte, la mise en place d’une administration plus réactive et alignée sur les objectifs stratégiques est perçue comme essentielle, d’autant plus que plusieurs chantiers éducatifs sont en cours. L’ampleur des réformes engagées impose une cadence soutenue, faisant de la rapidité d’exécution un enjeu majeur pour garantir leur réussite.
Un débat loin d’être clos
Nombre d’observateurs estiment que cette vague de changements, quand bien même elle serait justifiée, soulève beaucoup de questions. Le timing de l’opération, les critères d’évaluation et les impacts sur la réforme des écoles pionnières sont autant d’éléments qui nourrissent le débat. Alors que le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique poursuit son évaluation du projet des écoles pionnières qui constituent la colonne vertébrale de la réforme éducative, cette décision n’est-elle pas de nature à perturber l’implémentation de ce projet ? Le ministère a certes toutes les données pour expliquer le bien-fondé de sa démarche, mais encore faut-il qu’il accepte de les partager avec l’opinion publique.
Une révocation brutale et une lettre d’adieu émouvante
Un détail marquant retient cependant l’attention : M. Benaalia a affirmé avoir reçu sa lettre de révocation alors qu’il était encore en fonction. Ce fait semble confirmer que les directeurs concernés n’ont pas eu l’occasion de se défendre ou de présenter leurs arguments avant d’être démis de leurs fonctions. Un témoignage qui illustre le choc et l’émotion ressentis par les directeurs concernés, et qui renforce les interrogations sur la manière dont cette décision a été mise en œuvre.
Toutefois, le cadre légal régissant la fonction publique ne prévoit pas la tenue d’une réunion d’écoute préalable avant la fin de mission d’un directeur provincial. Contrairement à une procédure disciplinaire, qui impose des étapes spécifiques incluant un droit de défense, la gestion des affectations et des mutations des cadres administratifs relève de la prérogative du ministère, qui peut décider d’une réorganisation en fonction des nécessités du service. Dans ce contexte, le ministère considère que ces décisions s’inscrivent dans une dynamique d’amélioration et d’optimisation des performances, conformément aux objectifs de la réforme éducative en cours.