Refonte du secteur financier public : l’analyse d’Amine El Azher


Un nouveau chapitre de l’investissement s’écrit au Maroc. L’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État compte, en effet, créer un pôle financier public. Elle est, à cet effet, sur une étude stratégique de faisabilité à laquelle elle a réservé un budget de 30,3 millions de DH. L’enjeu est de taille : optimiser les ressources, rationaliser les acteurs et renforcer l’impact du dirham public sur la croissance. Lors de son passage, jeudi 13 mars dernier, sur l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin», Amine El Azher, banquier d’affaires et fondateur d’Arden Capital, a partagé son point de vue sur cette transformation.
L’État s’est engagé dans cette réforme pour un objectif très clair : une meilleure allocation des ressources publiques en réponse aux défis stratégiques du pays. Ainsi, le Maroc, reconnu pour sa stabilité économique et ses réformes structurelles, souhaite donner plus de cohérence à son action publique. «L’État s’oblige aujourd’hui à repenser la stratégie de ses établissements vers plus d’efficience et d’efficacité de l’action publique et du dirham dépensé», explique Amine El Azher. Par ailleurs, souligne l’invité de Rachid Hallouy, la refonte intervient dans le prolongement du nouveau modèle de développement, qui souligne la nécessité de maximiser l’impact des investissements publics.
Vers une banque publique d’investissement ?
C’est l’une des grandes questions soulevées par cette réforme. Selon Amine El Azher, cette option est envisagée pour structurer l’écosystème financier public. «L’État est un actionnaire comme un autre. Il rationalise, il structure, et il optimise son portefeuille de participation». Une banque publique d’investissement permettrait d’éviter les chevauchements en matière de prérogatives des autres établissements financiers publics, améliorant la gouvernance. Son rôle serait également de soutenir la régionalisation avancée, en garantissant un accès plus équilibré aux financements.
La Banque publique d’investissement sera-t-elle en concurrence avec les banques privées ? La complémentarité entre les financements publics et privés est importante, insiste l’expert. «L’idée n’est pas d’entrer en concurrence, mais de créer une sorte d’effet de levier positif : que le dirham public soit un véritable levier pour le dirham privé», explique El Azher. Le but est donc d’inciter le secteur privé à accroître son engagement, plutôt que de substituer des fonds publics aux financements privés.
Qu’en est-il du ratio d’investissement : l’inversion visée est-elle réaliste ?
Selon Amine El Azher, cet objectif reste difficile à concrétiser à court terme, en raison des besoins massifs en financement pour des projets structurants tels que la Coupe du Monde 2030 et le développement de l’État social. «L’État joue son rôle en facilitant et en accompagnant l’investissement privé. Maintenant, la balle est dans le camp du secteur privé», conclut notre expert. Pour rappel, 300 à 330 milliards de dirhams d’investissements annuels proviennent actuellement de l’État, contre 100 à 120 milliards pour le secteur privé. Le Maroc ambitionne d’inverser cette tendance pour atteindre une répartition 2/3 privé-1/3 public.
Financement des PME : une révolution en attente ?
L’un des grands enjeux de cette réforme est le financement des PME, qui restent aujourd’hui sous-capitalisées. Une annonce «massive» est attendue, mais les détails restent flous. Les PME font face à plusieurs défis, notamment un accès limité au crédit bancaire et un taux de prêts non performants oscillant entre 8 et 9%, bien au-dessus des standards internationaux (2-3%). Pour pallier ces difficultés, de plus en plus d’entrepreneurs explorent des financements alternatifs, comme l’ouverture du capital. «Beaucoup d’entrepreneurs ont compris que pour croître, ils devaient accéder à d’autres types de financement. L’ouverture du capital devient une évidence», rappelle notre banquier.
Quoi qu’il en soit, cette refonte marque un tournant stratégique et s’inscrit dans une logique de rationalisation et de performance. Avec un portefeuille d’entreprises publiques à optimiser et des mécanismes de financement à moderniser, le Maroc se prépare à un nouveau cycle d’investissement plus structuré et efficace. Le succès d’une telle transformation dépendra de la capacité de l’État à mobiliser le secteur privé tout en assurant la viabilité des financements publics. Une refonte d’envergure, dont les impacts se mesureront sur le long terme.