Réduire l’empreinte carbone : Les obstacles que rencontrent les entreprises


Dans un monde où les conséquences du changement climatique se manifestent de manière toujours plus évidente, il devient impératif pour les entreprises de revoir leurs modèles de production et leurs processus afin de réduire leur empreinte écologique. Les effets des catastrophes naturelles liées aux dérèglements climatiques affectent déjà les économies du monde entier. Qu’elles soient multinationales ou petites PME, les entreprises sont donc confrontées à une pression croissante pour intégrer des pratiques durables dans leurs stratégies.
Notons que cette pression provient de plusieurs fronts notamment des consommateurs de plus en plus soucieux de l’environnement, des régulations gouvernementales renforcées, des investisseurs qui privilégient les entreprises responsables et une société civile qui exige une action tangible face à l’urgence climatique. C’est pourquoi l’approche responsable des entreprises est devenue un axe stratégique incontournable. Toutefois, si les intentions sont là, les entreprises peinent souvent à franchir le pas vers des changements profonds et systématiques.
Les défis auxquels les entreprises sont confrontées dans leur transition écologique sont nombreux et complexes, selon Tariq Fahmi, expert consultant en RSE chez T.C.T Maroc, un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des organisations pour atteindre leurs objectifs de qualité, d’efficience et de performance.
Avant d’aborder directement les défis spécifiques rencontrés par les entreprises marocaines dans leur démarche écologique, Fahmi a souhaité clarifier la notion d’empreinte carbone. Il a expliqué qu’il s’agit d’un indicateur clé pour mesurer l’impact environnemental d’une activité, notamment les émissions de gaz à effet de serre. L’empreinte carbone peut concerner différents niveaux : un individu, un ménage, une entreprise, un territoire ou même un produit particulier. Elle est généralement exprimée en dioxyde de carbone équivalent (CO2 EQ).
Concernant les défis rencontrés, Fahmi a souligné plusieurs points cruciaux. Tout d’abord, il a mis en avant la rareté des compétences spécialisées et l’absence de programmes de formation et de sensibilisation au sein des entreprises, en particulier celles directement confrontées aux enjeux environnementaux. Selon lui, cette lacune rend l’intégration de pratiques durables particulièrement difficile, bien que la pression autour des questions de durabilité soit de plus en plus forte.
Un autre défi important réside dans les enjeux financiers. Le passage à une technologie plus écologique peut en effet représenter un coût initial considérable, non seulement pour l’achat de nouvelles technologies, mais aussi pour la formation du personnel et l’adaptation des infrastructures existantes. Tariq Fahmi a noté que le retour sur investissement à court terme n’était pas toujours évident, ce qui peut freiner certaines entreprises dans leur adoption de solutions écologiques.
En outre, la résistance au changement constitue également un obstacle majeur. Il a expliqué que les dirigeants et les employés peuvent être réticents à modifier leurs habitudes de travail, à adopter de nouvelles technologies ou à apprendre de nouvelles compétences. Cette inertie organisationnelle peut ralentir la transition écologique, malgré la volonté d’adopter des solutions plus vertes.
Les incitations gouvernementales ont aussi été pointées du doigt. Selon Fahmi, les incitations fiscales offertes ne sont souvent pas suffisantes pour encourager de manière efficace les entreprises à investir dans des technologies plus durables. Cette insuffisance peut diminuer l’impact des politiques publiques dans la transition écologique des entreprises.
Par ailleurs, les entreprises sont confrontées à des priorités concurrentes. En effet, certaines ont d’autres objectifs stratégiques ou financiers jugés plus urgents, ce qui reporte la mise en place de technologies vertes. Ce facteur rend la réduction de l’empreinte carbone moins prioritaire dans l’agenda des entreprises, malgré les pressions internationales croissantes.
Enfin, Fahmi a souligné la difficulté qu’éprouvent certaines entreprises à quantifier les résultats de leur transition écologique. Mesurer précisément les économies réalisées en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d’efficience énergétique à court terme reste un challenge pour de nombreuses entreprises. Cette difficulté à évaluer les bénéfices réels peut freiner l’adoption de solutions écologiques, malgré leur potentiel à long terme.
Ainsi, ces défis combinés révèlent les complexités auxquelles sont confrontées les entreprises marocaines dans leur quête pour réduire leur empreinte écologique et s’adapter aux nouvelles exigences environnementales.
Entreprises, pensez à long terme
Toutefois, le véritable enjeu réside dans la capacité des entreprises à intégrer la durabilité dans leur stratégie sans sacrifier leur rentabilité à court terme. Cela implique un changement de paradigme, où l’objectif n’est plus seulement de maximiser les profits immédiats, mais de construire une performance économique pérenne, équilibrée avec les enjeux environnementaux.
En adoptant une approche stratégique de la transition écologique, les entreprises peuvent non seulement réduire leur empreinte carbone, mais aussi créer un modèle économique résilient et responsable. Fahmi cite comme exemple l’importance de l’alignement des objectifs RSE avec les attentes des consommateurs en matière de durabilité, un enjeu crucial pour les entreprises. L’axe principal des attentes des consommateurs réside dans la protection de leurs droits, ce qui est indissociable d’une démarche RSE authentique. En effet, insiste l’expert, aucune stratégie RSE ne peut être véritablement complète sans une prise en compte approfondie de la protection des consommateurs. Cette protection vise à garantir que les produits et services offerts par l’entreprise répondent aux normes de qualité, de sécurité et d’éthique, tout en respectant les droits fondamentaux des consommateurs. Parmi ces droits, figurent notamment le droit à une information claire et transparente sur les produits, le droit à la sécurité des produits, le droit à la confidentialité des données personnelles, ainsi que le droit à un recours en cas de litige.
En garantissant ces droits, l’entreprise montre non seulement son engagement envers l’équité et la justice dans ses relations avec les consommateurs, mais elle renforce également la confiance et la loyauté de sa clientèle. Cela devient un levier stratégique puissant, car une clientèle fidèle et informée est plus encline à soutenir une entreprise qui respecte ses droits et ses attentes en matière de durabilité. En outre, la protection des consommateurs inclut également la prévention de pratiques commerciales déloyales, telles que la publicité trompeuse, la vente forcée ou encore la manipulation des prix. En adoptant des pratiques commerciales éthiques et transparentes, l’entreprise minimise non seulement les risques de litiges et de sanctions réglementaires, mais elle protège également sa réputation, un capital précieux dans un marché de plus en plus soucieux de l’intégrité des entreprises. Cela favorise, au final, un environnement commercial équitable et durable, créant ainsi une relation de confiance pérenne entre l’entreprise et ses consommateurs, tout en répondant aux exigences sociétales en matière de responsabilité environnementale et sociale.
En somme, la transition écologique ne doit pas être perçue comme un fardeau, mais comme un investissement stratégique qui permettra aux entreprises de s’adapter aux exigences de demain. Au lieu de la voir comme une contrainte, il est important d’envisager la durabilité comme une opportunité pour innover, se différencier et renforcer sa compétitivité. L’avenir des entreprises réside dans leur capacité à concilier performance économique et responsabilité environnementale, à travers une transition fluide, réfléchie et adaptée aux enjeux globaux.
Trois questions à Tariq Fahmi, fondateur du cabinet Texmag Consulting Maroc : «L’IA et la blockchain sont des outils performants pour révolutionner la gestion de la RSE »
Le Matin : Quels outils ou méthodologies recommandez-vous pour mesurer l’efficacité des actions environnementales mises en place par une entreprise ?
Tariq Fahmi :
Pour appréhender les aspects environnementaux de l’entreprise, il est important de s’interroger sur les conséquences internes et externes de son activité en termes d’émission de gaz à effet de serre (GES) : le local, la production, la distribution du produit ou service, mais aussi sur l’utilisation que vont en faire les clients, les fournisseurs ou les déplacements engendrés à cette occasion, etc.
Plusieurs outils permettent de faire le point sur l’impact écologique d’une entreprise. Ils permettent d’identifier, au sein de son business model, les éléments susceptibles d’être transformés et améliorés pour une contribution positive au climat. Citons en premier lieu l’analyse du cycle de vie (ACV): il s’agit d’une méthode qui permet d’évaluer les impacts environnementaux d’un produit ou d’un projet tout au long de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières à sa fin de vie. Cette approche permet de quantifier les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’eau, la production de déchets, etc., et de les comparer à des alternatives plus écologiques. L’étude d’impact environnemental est un autre outil important. Elle vise à mesurer et analyser les effets environnementaux générés par l’activité de l’entreprise, que ce soit sur son site de production ou à travers un produit spécifique. La norme ISO 14031 propose une méthode de suivi de la performance environnementale (PE) en utilisant des indicateurs clés. De même, les normes ISO 14064 et 14069 fournissent des outils pour développer des programmes axés sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Enfin, le calcul du bilan carbone est un outil de diagnostic qui estime les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre générées par l’entreprise. Il analyse l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production à la distribution, fournissant ainsi une vue complète des sources d’émissions. Cela permet aux entreprises d’identifier les postes les plus émetteurs et d’élaborer des stratégies d’atténuation ciblées.
Quelles sont les étapes clés que vous suivez pour aider une entreprise à développer et à mettre en œuvre une stratégie RSE axée sur l’environnement ?
Le processus d’accompagnement d’une entreprise pour mettre en place une stratégie RSE efficace passe généralement par les étapes suivantes : l’identification des parties prenantes, avec la détermination des sujets impactés par les activités de l’entreprise et l’identification des acteurs dont les intérêts sont influencés par ses décisions. L’un des objectifs de la RSE est d’établir un dialogue avec les parties prenantes pertinentes de l’organisation. Il s’agit également de prendre conscience de la diversité des parties prenantes afin d’identifier les risques et les opportunités qui leur sont associés. La deuxième étape consiste en la définition des attentes de la démarche. Comprendre l’opinion et l’implication des salariés est crucial pour orienter les stratégies organisationnelles vers des pratiques plus durables et responsables. Ensuite, il faut procéder à l’identification des enjeux RSE de l’entreprise. La RSE s’intègre à la stratégie globale d’une organisation et comporte des enjeux environnementaux, sociaux, économiques, ainsi que des enjeux de gouvernance. Les enjeux environnementaux incluent, entre autres, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la limitation de la consommation de ressources, l’optimisation de la production ou du recyclage des déchets, et l’incitation des salariés à limiter leur empreinte carbone. La quatrième étape, selon moi, consiste à définir des objectifs qualitatifs et quantitatifs d’amélioration. À partir des enjeux identifiés, il faut définir des objectifs sociaux et environnementaux spécifiques, en précisant les critères de mesure pour évaluer leur réalisation, par exemple: améliorer le bien-être des employés ou soutenir des projets locaux. D’autres étapes sont également considérées comme cruciales dans cette démarche. Il s’agit de l’évaluation des performances durables actuelles de l’entreprise, de la sensibilisation des parties prenantes à la démarche RSE (communiquer les avantages concrets de la RSE pour sensibiliser les parties prenantes), de la formation des collaborateurs à la démarche RSE, de la communication interne et externe sur les engagements et la performance RSE, ainsi que de l’implication des salariés dans la démarche RSE, sans oublier la mise en œuvre des recommandations à travers des actions concrètes.
Quelles sont les tendances actuelles en matière d’innovations environnementales que vous intégrez dans les stratégies RSE des entreprises ?
Les tendances en matière d’innovation environnementale visent à orienter l’entreprise engagé en RSE vers l’ économie circulaire , cette dernière consiste à produire des biens et des services de manière soutenable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets. L’idée est de passer d’une société du tout jetable basé sur une économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) à un modèle économique circulaire axé sur les approvisionnements soutenables (Sustainable Supply Chain). Cela implique d’acheter des produits et des services de manière responsable, en minimisant l’impact environnemental et social des activités commerciales. L’éco conception entre également en jeu en permettant de prendre en compte les répercussions écologiques sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit ou technologie et les intégrer dès sa conception.
L’allongement de la durée d’usage des produits et l’amélioration de la prévention, de la gestion et du recyclage des déchets sont aussi des solutions à privilégier.
Par ailleurs, l’intelligence artificielle (IA) et la blockchain sont des outils performants pour transformer la gestion de la RSE. Grâce à l’IA, les entreprises optimisent leur consommation énergétique, réduisent les déchets et automatisent leur reporting ESG.
La blockchain, quant à elle, garantit une traçabilité renforcée des chaînes d’approvisionnement, permettant aux consommateurs et aux investisseurs de vérifier l’origine des matières premières. Plusieurs marques alimentaires et textiles ont déjà adopté cette technologie pour prouver que leurs produits respectent des standards environnementaux stricts.
Dans l’agriculture, des solutions de précision basées sur l’IoT permettent d’optimiser l’irrigation et de réduire l’usage de pesticides. Dans l’industrie manufacturière, des plateformes de modélisation carbone aident les entreprises à anticiper l’impact de leurs décisions sur leur empreinte écologique. nPropos recueillis par Najat Mouhssine