Ramadan : le jeûne seul explique-t-il les incivilités ?

Une gestion difficile de la frustration
Selon Dr Hachem Tyal, la frustration liée au jeûne est la principale cause de ces changements émotionnels. «Le mois du Ramadan, comme chacun le sait, nous prive de plaisirs fondamentaux : celui de manger, de boire et même du plaisir sexuel», explique-t-il. Et d’ajouter que cette privation crée une frustration qui peut influencer de manière importante le comportement d’une personne. Pour notre interlocuteur, la gestion de cette frustration dépend en grande partie de la personnalité de l’individu et de son niveau d’implication spirituelle. «S’il a des problèmes psychiques même légers, des troubles de la personnalité avec des problèmes de contrôle émotionnel, il aura plus de difficultés à gérer ses frustrations. Si, en plus, il n’est pas du tout inscrit dans l’expérience spirituelle associée normalement au jeûne de Ramadan, il pourra facilement verser dans la violence face à ces frustrations», précise-t-il. Un autre facteur expliquant ces comportements réside dans l’addiction, en particulier à la nicotine. «L’absence de nicotine dans le sang d’un fumeur peut entraîner des effets similaires à ceux du sevrage tabagique, tels que l’irritabilité, l’excitabilité, anxiété ainsi que des troubles du sommeil et de l’appétit», ajoute-t-il. Et de noter que cette combinaison de jeûne et de sevrage tabagique rend la gestion du stress encore plus complexe, intensifiant les réactions émotionnelles.
Les mécanismes physiologiques du jeûne
Lorsqu’on parle des changements émotionnels liés au Ramadan, on a tendance à se concentrer uniquement sur l’aspect psychologique. Cependant, les mécanismes physiologiques sous-jacents jouent un rôle essentiel dans le comportement humain pendant cette période. Selon Dr Tyal, «Pendant le mois du Ramadan, le corps active plusieurs mécanismes pour compenser l’absence de nourriture, comme l’augmentation du cortisol, une hormone liée au stress, et la production de cétones pour maintenir les fonctions essentielles de l’organisme. Ces modifications elles-mêmes impactent d’autres systèmes physiologiques dans le corps humain qui sont sollicités pour que le corps s’adapte à l’expérience du jeûne». Ces ajustements, ajoute-t-il, sont nécessaires pour permettre au cerveau de fonctionner correctement, mais peuvent aussi augmenter l’agitation, l’irritabilité et rendre plus difficile la gestion du stress observée pendant le jeûne. Dr Tyal va encore plus loin dans sa réflexion pour affirmer que c’est la combinaison entre les facteurs physiques et psychiques qui explique les comportements agressifs et les changements d’humeur pendant le Ramadan.
Le jeûne, c’est bénéfique pour la santé mentale
Dr Tyal tient, toutefois, à préciser que le jeûne ne se limite pas à des contraintes et qu’il a surtout des effets bénéfiques sur la santé mentale, à condition qu’il soit pratiqué correctement. «Plusieurs études ont démontré que, lorsqu’il est pratiqué sans excès alimentaires en soirée, le jeûne peut réduire l’anxiété et améliorer les symptômes des dépressions légères», indique-t-il. L’expert rappelle aussi que le jeûne est une pratique ancienne, utilisée dès l’Antiquité pour préparer les athlètes mentalement et améliorer l’intelligence des jeunes. Mieux encore, note-t-il, les pratiques devenues à la mode aujourd’hui, comme le jeûne intermittent, ont montré de nombreux bienfaits psychologiques, y compris une amélioration de l’estime de soi, et un impact positif potentiel sur des maladies neuro-dégénératives comme l’Alzheimer. Dr Tyal insiste, par ailleurs, sur l’importance de la dimension spirituelle du Ramadan. «Le jeûne, lorsqu’il est pratiqué avec une réelle implication spirituelle, permet de se recentrer sur soi-même et de réfléchir profondément à sa vie, de reprendre, d’une certaine manière, les rênes de sa vie», explique-t-il. Pour lui, les soirées ne doivent pas se concentrer sur les excès alimentaires, mais plutôt sur la prière et la spiritualité, sur le retour vers soi afin de maximiser les bienfaits de cette expérience annuellement renouvelée. C’est ainsi, conclut-il qu’on se donnera la possibilité de faire en sorte à ce que ce mois sacré soit un mois où on pourra se régénérer physiquement, mentalement et spirituellement, ce qui est fondamental pour notre bien-être.
Déclaration de Fouad Yakoubi, SG de l’Organisation nationale de soutien et d’autonomisation psychosociale
«Les changements d’habitudes alimentaires et de sommeil pendant le Ramadan peuvent expliquer les variations d’humeur et certains comportements violents. Parallèlement, la pression socioculturelle joue également un rôle. Pendant ce mois, les attentes sont élevées : être plus spirituel, participer aux repas familiaux ou répondre aux normes sociales. Cette pression, combinée à la fatigue, peut générer du stress, et la théorie de l’identité sociale montre que l’envie de s’intégrer peut devenir contraignante, accentuant les tensions internes. Heureusement, il est possible de limiter ces variations d’humeur. Une alimentation équilibrée et une bonne hydratation aident à prévenir les baisses d’énergie. Organiser son emploi du temps en incluant des pauses et en pratiquant des techniques de relaxation, comme la respiration ou la méditation, permet de mieux gérer le stress. En outre, il faut aussi reconnaître que nous vivons dans une époque où les valeurs fondamentales, telles que la patience, la solidarité, l’humilité et le respect, sont de moins en moins observées. Le Ramadan, censé être un moment de purification spirituelle et de rapprochement avec Dieu et les autres, est souvent réduit à une simple contrainte rituelle, déconnectée de son essence profonde. Cette perte de repères spirituels et humains se reflète dans notre comportement au quotidien, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux, où les disputes et les agressions verbales deviennent monnaie courante. D’où l’urgence d’éduquer les générations futures et leur inculquer les bonnes valeurs dès le bas âge. En élevant les enfants avec une meilleure compréhension du véritable sens des valeurs de l’humilité et la solidarité, nous pourrons espérer une société plus sereine et respectueuse».