Maroc

Rachid Lazrak : On s’achemine vers un désordre mondial inédit

Depuis le début de l’année 2025, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, la scène internationale est sur le gril. Le nouveau locataire de la Maison Blanche impose ses choix et prend des décisions dont l’onde de choc touche même les fidèles alliés des États-Unis. Quelques semaines après son investiture, il a marqué de son empreinte des conflits de longue date comme celui de la guerre en Ukraine. Rachid Lazrak, invité de l’émission «L’Info en Face» diffusée le 12 mars sur Matin TV, a offert une analyse critique sur l’évolution de la géopolitique mondiale et le rôle du Maroc dans ce contexte complexe. Professeur émérite de droit international, juriste et membre de la délégation marocaine auprès des Nations unies et de la Cour internationale de justice en 1975, M. Lazrak a décrypté les enjeux de la géopolitique mondiale à la lumière des chamboulements récents. Pour cet expert, ce sont les rapports de forces qui régissent les relations dans le monde, alors que la loi internationale semble de plus en plus ignorée au profit des intérêts militaires et économiques.

La géopolitique mondiale à l’ère de Trump : un désordre mondial inédit

Sans détour, M. Lazrak a dressé un constat sévère de la situation géopolitique mondiale. Selon lui, «le monde connaît un désordre mondial inédit», un phénomène amorcé dès le premier mandat de Donald Trump (2017-2021) : «Nous sommes dans un monde où la force prime, où l’on ne respecte plus les règles du droit international». Les décisions controversées de Trump à l’époque, telles que le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien et de l’Accord de Paris sur le climat, ont, selon M. Lazrak, favorisé l’émergence d’«un désordre mondial» où des puissances comme la Russie ont été libres de bafouer les normes internationales, ouvrant la voie à des actions comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Pour l’expert, ce désordre a permis à des acteurs comme Vladimir Poutine d’agir sans crainte de représailles.

En agissant sans égard pour les accords internationaux, Trump a créé un vide que d’autres puissances en quête d’influence ont su exploiter, exacerbant les tensions mondiales, alerte M. Lazrak.

L’accord de Djeddah : un espoir fragile pour l’Ukraine

Paradoxalement, la récente signature de l’accord de paix temporaire à Djeddah, en Arabie saoudite, a marqué une avancée vers un cessez-le-feu de 30 jours entre la Russie et l’Ukraine. Pour l’invité de Rachid Hallaouy, cet accord illustre le pragmatisme du 47e Président US, bien que souvent perçu comme brutal. «Donald Trump a annoncé qu’il aurait résolu la guerre en Ukraine en 48 heures s’il était resté au pouvoir. L’accord de Djeddah semble accréditer cette approche», a-t-il affirmé. Toutefois, M. Lazrak reste prudent quant à la durabilité de cet accord, considérant que les intérêts stratégiques et économiques en jeu pourraient compromettre sa mise en œuvre à long terme.

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Trump et les ressources rares: une diplomatie économique pragmatique

Autre dimension particulière de la politique de Trump, selon M. Lazrak, son approche à l’égard des ressources rares, notamment celles de l’Ukraine. «Les États-Unis cherchent à diversifier leurs sources de matières premières rares, et l’Ukraine, avec ses ressources, devient un partenaire stratégique», précise-t-il. Cette stratégie économique, bien que perçue par certains comme cynique, pourrait, selon l’invité, permettre de résoudre des tensions géopolitiques tout en offrant un répit au peuple ukrainien. De plus, l’exploitation des terres rares ukrainiennes pourrait avoir des implications profondes sur les relations économiques mondiales, en réduisant la dépendance des États-Unis vis-à-vis de la Chine et en renforçant la position stratégique de l’Ukraine sur la scène internationale. Trump ne se contente pas de solutions temporaires : il a intégré cette exploitation des ressources dans une vision à long terme pour l’économie américaine et ses alliés, analyse M. Lazrak.

L’Europe en quête de protection militaire

Par ailleurs, selon l’expert, un des faits marquants de l’évolution des rapports de force dans le monde, et le recours à la dissuasion militaire au détriment du droit international : la récente rencontre à Paris, où 34 Chefs d’État et chefs d’armée, à l’invitation d’Emmanuel Macron. Lors de cette rencontre, l’accent a été mis sur le réarmement européen face aux menaces croissantes, notamment celle de la Russie, rappelle M. Lazrak tout évoquant la possibilité pour l’Europe de s’appuyer sur l’arsenal nucléaire français. «Aujourd’hui, on parle de guerre, ce n’est plus uniquement une économie de guerre, mais un discours de guerre», a-t-il martelé, d’ajoutant que «le réarmement de l’Europe est désormais une réalité». Pour lui, ce n’est plus seulement une question de la sécurité, mais une question d’équilibre des puissances militaires mondiales.

Le Maroc, un acteur de neutralité et d’équilibre dans un monde de tensions

Et le Maroc dans tout cela ? au vu de contexte géopolitique complexe, le Maroc a su maintenir une position de neutralité, en particulier vis-à-vis du conflit en Ukraine et des tensions entre les grandes puissances. Rachid Lazrak a d’ailleurs salué cette posture, relevant que le Royaume profite de sa position stratégique pour renforcer ses relations avec les États-Unis, la Russie et la Chine. Le Maroc sait se positionner comme un facteur d’équilibre, préservant des relations constructives avec toutes les grandes puissances. Cette neutralité lui permet de se concentrer sur ses propres intérêts, tout en jouant un rôle clé dans la médiation diplomatique. L’invité de «L’Info en Face» a évoqué à cet égard la nomination d’un nouvel ambassadeur des États-Unis au Maroc, un homme d’affaires proche de Trump, soulignant l’importance du Maroc comme partenaire économique, notamment avec des perspectives liées à des événements comme la Coupe du monde 2030.

Moyen-Orient : l’imprévisibilité des solutions Trump pour Israël et la Palestine

La politique de M. Trump au Moyen-Orient, notamment concernant le conflit israélo-palestinien, est par la force des choses au cœur des bouleversements des paradigmes de la diplomatie américaine . À ce titre, M. Lazrak a qualifié les propositions radicales de M. Trump sur Gaza de «choquantes et brutales», notamment l’idée de déplacer des millions de Palestiniens de Gaza. «L’idée de déplacer la population palestinienne est non seulement irréaliste, mais elle ignore les réalités politiques et humaines de la région», a-t-il souligné. Rachid Lazrak a rappelé à cette occasion le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, mettant sur un pied d’égalité la question palestinienne et l’intégrité territoriale du Maroc. En parallèle, il a salué le rejet par la Ligue arabe du plan américain pour Gaza et le soutien au plan égyptien pour la reconstruction. Cette approche, qui s’inscrit selon M.Lazrak dans une approche plus respectueuse des dynamiques locales, permet d’envisager une paix plus durable dans la région, alors que les solutions radicales proposées par M. Trump ne feront qu’attiser les tensions.