Maroc

Ports, gaz, corridors : ce que prépare le Maroc pour l’Afrique

Longtemps ignorée dans les politiques publiques africaines, la façade atlantique revient aujourd’hui au cœur des enjeux géoéconomiques. C’est en tout cas l’ambition portée par l’Initiative Atlantique, projet lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et analysé en profondeur dans une note publiée récemment par le Centre d’anticipation économique et sociale.

Pour les auteurs de ce rapport, Machij El Kerkari et Ali Rhanbouri, il ne s’agit pas d’un simple cadre de coopération maritime, mais d’un changement de matrice. «L’Atlantique africain peut devenir un espace de solidarité fonctionnelle, de sécurité énergétique, de développement endogène et de diplomatie régionale», écrivent-ils. Ainsi, alors que la logique des blocs laisse place à celle des corridors, l’Afrique doit, selon eux, investir pleinement son littoral pour échapper à la dépendance logistique et aux tensions asymétriques.

Pour S.M. le Roi, l’Afrique atlantique est un cœur géostratégique et une matrice d’innovation et de résilience (Bourita)

Libérer le potentiel économique de la façade ouest-africaine

Deuxième angle d’analyse : les ressources. Le littoral atlantique africain concentre une richesse inégalée en gaz naturel, minerais, terres agricoles, biodiversité marine et énergies renouvelables. Mais ce capital demeure, à ce jour, «peu valorisé, peu transformé, peu échangé entre les pays africains eux-mêmes», déplore le rapport. Avec moins de 13% de commerce intra-africain, le continent continue de commercer davantage avec l’extérieur qu’avec lui-même. L’Initiative Atlantique ambitionne d’inverser cette logique en misant sur les chaînes de valeur régionales, la transformation locale et l’industrialisation concertée. À ce titre, le Maroc est cité en exemple, notamment pour ses investissements dans les engrais, les phosphates, l’énergie solaire et les plateformes logistiques. «La façade ouest peut devenir un laboratoire du co-développement africain, à condition d’ancrer les investissements dans des stratégies collectives», soulignent les auteurs. Pour ces derniers, le troisième levier, central dans la dynamique proposée : les ports. Tanger Med est ainsi présenté comme «le plus important port de transbordement d’Afrique», qui, avec Dakhla Atlantique en cours de réalisation, « offre au Maroc une double capacité de projection : vers l’Europe au nord, et vers l’Afrique au sud».

Mais la vision va bien au-delà du territoire marocain. Le rapport insiste sur l’importance de bâtir un maillage cohérent depuis Dakar, Nouakchott, Lagos, Luanda jusqu’à Walvis Bay. L’objectif est clair : transformer des ports nationaux en plateformes régionales, interconnectées par des corridors logistiques et énergétiques. «L’intégration portuaire, ce n’est pas seulement de la circulation de marchandises : c’est de la circulation de souveraineté», résument MM. Machij et Rhanbouri. La réussite dépendra cependant de la capacité des pays concernés à harmoniser leurs régulations, mutualiser leurs investissements et penser ensemble les complémentarités économiques.

Le pari de l’inclusion sahélienne

C’est l’un des volets les plus innovants de l’initiative : sa volonté d’inclure les pays du Sahel non côtiers (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad…) dans la dynamique atlantique. «Ces pays souffrent d’un isolement géographique qui entrave leur développement. L’Atlantique peut devenir leur accès stratégique au monde», affirme le rapport. Concrètement, il s’agit d’ouvrir des corridors sûrs et compétitifs reliant ces pays aux ports marocains ou mauritaniens, et de leur offrir des plateformes d’export, de stockage, de transformation ou de distribution. L’enjeu est autant économique que politique : «Intégrer ces pays, c’est renforcer leur résilience, leur attractivité et leur stabilité», insistent les auteurs. Ce choix stratégique répond à une double urgence : créer une alternative aux corridors traditionnels souvent saturés et sécuritairement fragiles, et proposer un ancrage territorial durable à des économies fragiles, souvent exposées aux effets du changement climatique et des crises alimentaires.

Le Maroc, moteur et médiateur

Le cinquième axe du rapport se penche sur le rôle du Maroc, présenté à la fois comme un catalyseur de l’initiative et comme un acteur crédible de l’intégration africaine. L’analyse met en avant les choix structurels opérés depuis deux décennies : Tanger Med, autoroutes, énergies vertes, diplomatie économique proactive, projets à fort impact en Afrique de l’Ouest. Mais ce leadership marocain, insistent les auteurs, «doit rester coopératif, partagé et fondé sur l’intérêt mutuel». Le rapport cite ainsi le gazoduc Nigeria-Maroc, le projet d’usines d’engrais avec l’OCP ou encore les investissements dans les secteurs agricole et logistique comme autant de modèles d’un partenariat africain fondé sur le long terme. «Le Maroc ne propose pas un modèle à imiter, mais une méthode à adapter : stabilité, vision, solidarité», peut-on lire. Une méthode fondée sur une convergence des efforts, et non sur une hégémonie déguisée.

Ainsi, pour que l’Initiative Atlantique ne reste pas un projet de discours, mais devienne une matrice d’action, les auteurs du rapport insistent sur l’impératif de mettre en place une gouvernance claire, inclusive et durable. Ils appellent ainsi à la création d’une structure institutionnelle conjointe, regroupant les États riverains et sahéliens, chargée de piloter, coordonner et suivre l’ensemble des volets du projet. Une telle instance permettrait non seulement d’assurer la continuité stratégique, mais aussi de renforcer la confiance entre partenaires africains autour d’une vision partagée.

Parallèlement, le rapport recommande la mise en place d’un fonds africain dédié au financement des infrastructures atlantiques, notamment les corridors logistiques, les interconnexions énergétiques et les plateformes industrielles. Ce fonds pourrait mobiliser à la fois des contributions publiques et des partenariats techniques avec les institutions régionales et internationales, à condition de garantir une gouvernance transparente et un ciblage efficace des priorités.

L’harmonisation réglementaire est également jugée essentielle. Les auteurs plaident pour un alignement progressif des politiques portuaires, douanières, fiscales et énergétiques des pays impliqués, afin de fluidifier les échanges, de mutualiser les ressources et de favoriser la compétitivité régionale. L’objectif est de bâtir un cadre cohérent et attractif pour les investissements privés, en réduisant les barrières administratives et en renforçant la sécurité juridique.

Enfin, la réussite de l’initiative dépendra aussi de la montée en compétence des ressources humaines africaines. Le rapport appelle à un effort concerté de formation dans les domaines portuaires, logistiques, maritimes, énergétiques et numériques. Il insiste notamment sur l’importance d’intégrer les jeunes et les diasporas africaines dans cette dynamique, en leur offrant des opportunités concrètes d’engagement dans les projets structurants. L’implication du secteur privé est également présentée comme un levier incontournable, tant pour le financement que pour l’innovation. Au fond, la note conclut sur l’idée que «la réussite de cette initiative repose sur une confiance politique mutuelle, des institutions crédibles et des résultats mesurables. Il ne s’agit pas seulement de construire des infrastructures, mais de bâtir une souveraineté collective.»