Outsourcing et IA : quels emplois disparaîtront et quels nouveaux rôles émergeront ?

Le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) dans les entreprises d’externalisation de services fera-t-il des chômeurs ? La dernière édition de «L’Info en Face», de «Groupe Le Matin» avait pour question centrale : IA –Offshoring : Plus de productivité et moins d’emplois ? Entre promesse d’une productivité décuplée et crainte d’une érosion des emplois, le débat s’impose avec acuité. Pour en discuter, Rachid Hallaouy a reçu Youssef Chraïbi, fondateur et PDG d’Outsourcia, également président de la Fédération marocaine de l’externalisation des services (FMES).
D’abord, le PDG d’outsourcia explique que ceux qui perdront leur emploi ne seront pas remplacés par l’IA, mais évincés par d’autres salariés qui maîtrisent l’intelligence artificielle et qui l’utilisent pour améliorer leur productivité. Par conséquent, soutient-il, dans le secteur de l’externalisation de services, la question ne se pose même pas. Et pour cause, l’essor de l’intelligence artificielle redessine les contours de l’outsourcing. «Nous estimons que 20 à 30% des opérations peuvent être automatisées», souligne Chraïbi. Des pertes d’emploi en perspective ? Le lien direct entre automatisation et suppression d’emplois mérite nuance. «Nous sommes sur un marché en croissance de 8% à l’international et de 15% au Maroc, ce qui absorbe largement les mutations technologiques», tempère le dirigeant. Pour Chraïbi, loin d’être un substitut à l’humain, l’IA se positionne comme un accélérateur de performance, optimisant les flux et permettant une meilleure allocation des ressources humaines vers des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Création d’emplois : la cadence va doubler à 20.000 par an d’ici 2030
Avec un chiffre d’affaires de 18 milliards de DH en 2023, l’outsourcing marocain s’impose comme un moteur clé de l’économie nationale. «Nous sommes dans le top 3 des secteurs les plus créateurs d’emplois, avec une dynamique de croissance insolente», rappelle Chraïbi. L’objectif est clair : doubler la cadence de création d’emplois pour atteindre 20.000 nouveaux postes annuels d’ici 2030. Ce développement s’appuie sur une demande accrue d’externalisation, notamment de la part des entreprises européennes en quête d’optimisation des coûts et d’une qualité de service.
En effet, si le marché français demeure un bastion de l’outsourcing marocain, la diversification géographique s’impose comme un impératif. «Nous gérons aujourd’hui des services en dix langues», affirme Chraïbi, soulignant l’expansion vers l’Europe du Sud, le Canada et l’Inde. Cette ouverture à de nouveaux marchés répond à une double exigence : réduire la dépendance au marché francophone et capter la dynamique de digitalisation qui s’accélère dans d’autres régions du globe. Une diversification qui s’accompagne de campagnes massives de recrutement.
L’un des défis majeurs du secteur réside dans la mobilisation des compétences. «Nous formons entre 15.000 et 20.000 ingénieurs par an, mais nous devons atteindre les 100.000 d’ici 2030», expose Chraïbi. Une ambition qui se heurte à une dure réalité : la fuite des cerveaux et un turnover élevé, oscillant entre 40 et 50%, qui compliquent la rétention des talents. Face à cette pression, les acteurs du secteur misent sur des programmes de formation ciblés et une revalorisation des parcours professionnels afin d’ancrer les compétences localement et d’attirer de nouveaux profils qualifiés.
Modèle hybride : une nécessité compétitive
Pas de panique donc ! L’avenir de l’outsourcing repose sur une convergence entre technologie et expertise humaine. «Les entreprises qui réussissent sont celles qui allient intelligence artificielle et capital humain», insiste Chraïbi. Le modèle indien, qui a su passer du statut de simple prestataire offshore à celui de hub technologique mondial, constitue une source d’inspiration en la matière. L’enjeu pour le Maroc est de répliquer cette montée en valeur ajoutée en investissant dans l’innovation et la montée en compétences des collaborateurs.
Pour sa part, l’État, conscient des défis structurels du secteur, adapte ses dispositifs de soutien. «Nous avons obtenu des aides directes à la formation et à la création d’emplois», indique Chraïbi. La nouvelle stratégie «Maroc Digital 2030» vise à aligner les besoins des entreprises avec les priorités nationales. Parmi les mesures phares : des subventions pour la formation continue, des incitations fiscales pour favoriser l’embauche et un accompagnement stratégique pour intégrer les nouvelles technologies au sein des processus métiers.
Si le futur du secteur est en mutation, il a désormais une trajectoire affirmée : l’intelligence artificielle n’est pas une menace pour l’outsourcing, mais un catalyseur de transformation. «Les humains qui savent utiliser l’IA remplaceront ceux qui ne l’utilisent pas», tranche Chraïbi. Loin d’être un frein, cette transition constitue une opportunité pour positionner le Maroc comme un acteur clé de l’économie numérique mondiale. En misant sur l’adaptabilité, l’innovation et le développement de compétences stratégiques, le pays consolide sa position de leader régional et se positionne déjà comme acteur économique régional où l’intelligence artificielle et l’humain coexisteront en parfaite synergie.