Maroc

Motion de censure : un acte constitutionnel contre la démagogie majoritaire (Mokhtar Badraoui)

Lors de son intervention dans l’émission «L’Info en Face» diffusée le 7 mai sur Matin TV, Mokhtar Badraoui, membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), a abordé les enjeux politiques majeurs auxquels est confronté le pays. Défendant la motion de censure initiée par l’opposition, il a insisté sur le caractère constitutionnel de cette démarche, qui est loin d’être une simple stratégie politique. À travers cette analyse, M. Badraoui a pointé du doigt les dysfonctionnements structurels du gouvernement, en particulier dans la gestion des finances publiques et la transparence des décisions exécutives. Au-delà de la question de la motion de censure, il a également exprimé ses préoccupations sur des sujets comme les augmentations salariales dans la fonction publique, la gestion des données sensibles et les inégalités sociales croissantes. Son intervention s’est ainsi voulue une critique profonde d’une gouvernance jugée déconnectée des aspirations populaires, soulignant la nécessité d’un retour à une gestion plus transparente et plus équitable des affaires publiques.

La motion de censure : un levier institutionnel pour restaurer l’équilibre démocratique

Dès les premières minutes de l’émission animée par Rachid Hallaouy, Mokhtar Badraoui a posé les bases d’un argumentaire clair et structuré en affirmant : «Ce n’est pas une option politique, c’est une option constitutionnelle.» Par cette déclaration, il cherche à élever le débat au-delà des clivages partisans, rappelant que la motion de censure n’est pas une simple tactique de l’opposition, mais un droit fondamental inscrit dans l’article 105 de la Constitution.

Pour M. Badraoui, cette motion est bien plus qu’un acte symbolique : c’est un mécanisme de régulation démocratique, conçu pour garantir l’équilibre des pouvoirs et prévenir les dérives autoritaires. Elle ne se réduit pas à un geste conjoncturel ou à une réaction de circonstance, mais s’inscrit dans une tradition parlementaire profondément ancrée dans les pratiques politiques. «Cette motion, elle est sérieuse, elle est encadrée et elle répond à un contexte politique bloqué», martèle-t-il, soulignant la nécessité d’agir face à un gouvernement perçu comme enfermé dans ses propres logiques et coupé des réalités populaires.

En écartant explicitement toute tentation populiste, M. Badraoui insiste sur le caractère institutionnel de cette démarche, affirmant que la motion de censure n’est pas un simple outil de contestation, mais un acte de responsabilité politique. Elle incarne, selon lui, une rationalité supérieure, celle d’un pouvoir législatif déterminé à rétablir la transparence et la responsabilité au sommet de l’État.

Restaurer le lien entre gouvernants et gouvernés

Pour le membre du Bureau politique de l’USFP, la motion de censure représente une exigence démocratique, un rappel à l’ordre pour un exécutif jugé déconnecté des aspirations populaires. «Ce n’est pas une manœuvre politicienne, c’est un acte institutionnel pour restaurer le lien entre le gouvernement et le peuple», affirme-t-il avec une gravité assumée. Il insiste sur le rôle crucial des parlementaires, qui ne doivent pas se contenter de critiques superficielles, mais forcer un véritable débat démocratique, contraignant ainsi l’Exécutif à rendre des comptes sur ses actions.

En adoptant cette posture, M. Badraoui redonne à la motion de censure sa portée fondatrice : celle d’un instrument de contrôle parlementaire, essentiel pour rétablir la clarté dans un champ politique marqué par les équivoques et les contradictions. À l’heure où les mécanismes de contrôle tendent à s’éroder sous le poids du consensus artificiel et de l’alignement docile, il rappelle que l’équilibre des pouvoirs ne saurait se réduire à un simple slogan, mais doit demeurer une pratique active et revendiquée. Ainsi, M. Badraoui confère à la motion de censure une double dimension : à la fois un outil institutionnel rigoureusement balisé et un geste de salubrité publique, destiné à réactiver les garde-fous constitutionnels face aux dérives d’un Exécutif parfois tenté par l’autosuffisance et l’autoconservation.

Le scandale des licences d’importation : symbole d’une gouvernance chaotique

Parmi les nombreux griefs formulés par Mokhtar Badraoui à l’encontre du gouvernement, l’affaire des licences d’importation de bovins s’impose comme un symbole éclatant des dysfonctionnements de l’appareil exécutif. Ce dossier, devenu emblématique des carences structurelles du pouvoir, illustre, selon M. Badraoui, l’absence de transparence et de rigueur dans la gestion des finances publiques. Au cœur du scandale, une série de chiffres contradictoires qui révèlent des fractures profondes au sein du gouvernement. «On parle d’un manque à gagner de 13 milliards de dirhams, annoncé publiquement, mais contesté par le ministre de l’Agriculture, qui évoque 400 millions», déclare M. Badraoui, soulignant l’ampleur de la confusion qui règne au sommet de l’État. Cette incohérence, loin d’être un simple malentendu, traduit, selon lui, une gestion désordonnée des fonds publics, où chaque acteur semble avancer ses propres données sans coordination ni cohérence.

Le ministre délégué au Budget a lui-même reconnu des erreurs possibles, tandis que le président de la première Chambre, troisième personnage de l’État, propose encore un autre chiffre, ajoutant à la confusion. «C’est grave. Il s’agit de deniers publics», insiste M. Badraoui, dénonçant une cacophonie financière qui ébranle la crédibilité de l’Exécutif. Pour l’opposant, ces divergences ne se réduisent pas à de simples erreurs comptables. Elles révèlent, selon lui, une désorganisation chronique au cœur du pouvoir et une absence de gouvernance efficace, alimentant la méfiance du public quant à l’intégrité des institutions. Au-delà des chiffres, cette affaire cristallise les failles d’un système politique qui peine à rendre des comptes et à assurer la transparence des décisions publiques, renforçant ainsi l’image d’un gouvernement en perte de contrôle.

Des augmentations salariales insuffisantes pour répondre aux inégalités profondes

Dans ce contexte, la question des augmentations salariales apparaît comme l’un des points les plus sensibles. Bien que le gouvernement ait entrepris des efforts pour revaloriser les salaires, M. Badraoui juge ces mesures insuffisantes au regard des inégalités salariales qui perdurent dans la fonction publique. L’écart flagrant entre les hauts fonctionnaires et les employés de base soulève des interrogations sur la juste répartition des ressources publiques. Loin d’être une simple question économique, cette problématique se pose également en termes d’équité sociale et, dans ce sens, M. Badraoui pointe du doigt l’incapacité de l’Exécutif à corriger cette distorsion, accentuant ainsi les tensions sociales et le sentiment d’injustice.

La cybersécurité et la gestion des données : une négligence gouvernementale flagrante

Autre domaine où le gouvernement semble faire preuve d’un laxisme inquiétant : la cybersécurité. L’absence de réaction officielle face à la récente fuite de données et la gestion défaillante des informations sensibles démontrent, selon M. Badraoui, une gouvernance fragile, incapable d’assurer la sécurité des citoyens à l’ère numérique. La négligence des mécanismes de cybersécurité, dans un monde globalisé où les menaces sont omniprésentes, est un oubli dangereux qui peut avoir des répercussions gravissimes sur la stabilité du pays, tant sur le plan économique que social. Cette situation témoigne d’un manque de vision à long terme et d’une gestion hasardeuse de la sécurité nationale dans un environnement de plus en plus connecté, a-t-il déploré.

La gestion de la masse salariale : un défi structurel à la hauteur des ambitions

La gestion de la masse salariale de l’administration publique représente également un défi de taille. M. Badraoui estime que la masse salariale pourrait atteindre 185 à 190 milliards de dirhams, un montant colossal qui nécessite une gestion rigoureuse et réfléchie. L’invité met en lumière la nécessité de rationaliser ces dépenses tout en garantissant la qualité des services publics. Loin de remettre en cause l’efficacité de l’administration, il plaide pour une réorganisation profonde du secteur public, afin de maximiser son impact tout en maîtrisant les coûts. La question de la masse salariale ne se réduit pas à une simple problématique budgétaire, mais s’inscrit dans un débat plus large sur la modernisation de l’État et la révision de ses priorités, a-t-il affirmé.

Réorienter les dépenses publiques pour des réformes profondes

En parallèle, Mokhtar Badraoui critique ouvertement l’orientation actuelle des dépenses publiques, estimant que celles-ci sont mal orientées et devraient être dirigées vers des secteurs stratégiques tels que l’éducation et la santé, qui souffrent d’une insuffisance de financement et d’une mauvaise gestion structurelle. Pour lui, investir dans ces domaines est impératif si le pays souhaite réellement amorcer un développement durable et inclusif. Loin des décisions politiques superficielles, il plaide pour une vision à long terme, où les priorités gouvernementales se concentrent sur l’amélioration de la qualité de vie des citoyens plutôt que sur des investissements à court terme dont les effets sont souvent incertains.

Emploi et chômage structurel : une stratégie insuffisante face aux défis mondiaux

Si le gouvernement, selon M. Badraoui, a lancé une stratégie ambitieuse pour la création d’emplois, il reste néanmoins des défis majeurs à surmonter. Ainsi, il constate que cette politique ne répond pas suffisamment aux défis économiques mondiaux, ni à la réalité d’un marché du travail marqué par un chômage structurel. L’exode rural, par exemple, exacerbe encore ces défis, avec des jeunes des zones rurales qui, une fois arrivés en ville, peinent à s’insérer dans un marché du travail saturé et de plus en plus compétitif. Cette réalité souligne la nécessité d’adopter une approche plus ciblée et plus inclusive en matière de formation et de création d’emplois, afin de donner à ces populations les moyens de participer pleinement à la vie économique du pays.

Une couverture sociale ambitieuse, mais insuffisamment inclusive

Mokhtar Badraoui soutient, par ailleurs, les réformes ambitieuses lancées dans le cadre des projets Royaux en matière de couverture sociale et de réforme de l’éducation, mais déplore que ces initiatives ne bénéficient pas encore de manière équitable à l’ensemble de la population. L’invité plaide pour une extension de ces réformes à tous les citoyens, sans exception, afin de garantir que personne ne soit laissé de côté dans le processus de modernisation du pays. La réforme de la couverture sociale, dans cette optique, doit être une priorité, mais elle nécessite des ajustements pour être réellement effective et pour toucher les couches les plus vulnérables de la population.

La mondialisation et ses effets : une gestion prudente des accords commerciaux

Enfin, Mokhtar Badraoui évoque les défis liés à la mondialisation et à la gestion des relations commerciales internationales. Il appelle à une gestion prudente des accords de libre-échange et des relations commerciales, soulignant qu’une telle gestion doit anticiper les effets potentiellement néfastes de la mondialisation sur les secteurs stratégiques du pays. Plutôt que de se précipiter dans des accords hâtifs, il prône une réflexion approfondie sur les impacts économiques à long terme et sur la manière de préserver la souveraineté économique tout en profitant des opportunités qu’offre le commerce international.

Ainsi, dans l’ensemble, les propos de Mokhtar Badraoui dessinent l’image d’une gouvernance à réformer en profondeur, confrontée à de multiples défis structurels, sociaux et économiques. Mais ils soulignent également une voie à suivre : celle d’une stratégie de réformes ambitieuses, mais cohérentes et inclusives, pour répondre aux attentes légitimes des citoyens et aux enjeux mondiaux de demain.