Maroc

Loi sur l’Exception d’inconstitutionnalité : Le texte recalé pour la deuxième fois

Pour les sages de la Cour Constitutionnelle, la procédure d’adoption n’est pas compatible avec la constitution

Justice.

Retour à la case départ pour la loi organique 15-86 fixant les conditions et procédures de l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Le texte vient d’être invalidé une deuxième fois par la Cour constitutionnelle. Les détails.

Il va falloir attendre encore un peu avant de voir la loi organique 15-86 fixant les conditions et procédures de l’exception d’inconstitutionnalité d’uWe loi, entrée en vigueur. Et pour cause. La Cour constitutionnelle vient de rendre son jugement concernant le texte. Les sages de la Cour ont estimé que la procédure d’adoption de la loi organique en question n’a pas respecté la Constitution du pays. Dans les détails, la Cour explique que l’examen du communiqué relatif aux travaux du Conseil des ministres tenu à Rabat, sous la présidence de Sa Majesté le Roi, le 29 Ramadan 1440 (4 juin 2019), montre d’une part que le premier point inscrit à l’ordre du jour du Conseil portait sur la présentation par le ministre de la justice concernant les répercussions juridiques de la décision de la Cour constitutionnelle datée du 6 mars 2018 concernant la loi organique 15-86 fixant les conditions et procédures de l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Ledit communiqué montre d’autre part que le projet de loi organique en question ne figurait pas dans la liste des textes adoptés par le Conseil des ministres. Le hic, c’est que le projet de loi organique ne devait pas être soumis à l’examen du Parlement par ses deux Chambres avant son adoption tout d’abord par le Conseil des ministres. La sentence donc est tombée. «En conséquence, les procédures suivies pour approuver la loi organique en question ne sont pas conformes à la Constitution», lit-on dans la décision qui vient d’être publiée par la Cour constitutionnelle.

Remake

Pour rappel, la Cour avait également invalidé le texte en question en 2018. A cette époque, les sages de la Cour constitutionnelle avaient estimé que 11 articles contenus dans la loi organique à ce moment étaient incompatibles avec la Constitution de 2011. «La Cour déclare que l’article 2 dans son deuxième alinéa, l’article 5 (notamment en ce qui concerne la condition législative ainsi que les droits et libertés), l’article 6, le deuxième alinéa de l’article 7, l’article 8, l’article 13 avec l’absence d’une procédure mettant en œuvre les décisions de la Cour constitutionnelle et enfin les articles 10, 11, 12, 14 et 21 sont tous incompatibles avec la Constitution», avait alors décidé la Cour. De même, cette dernière avait également formulé des remarques concernant plusieurs dispositions contenues notamment dans les articles 1, 3, 10, 23, 26 et 27.
L’entrée en vigueur de cette loi organique avait alors été suspendue. Une suspension qui va durer encore plus puisque le gouvernement et le Parlement devront prendre en considération les remarques des magistrats de la Cour constitutionnelle.

L’entrée en vigueur de la loi organique est toujours suspendue à une décision de la Cour constitutionnelle. (D.R)

Droit inédit

Il faut dire que le projet de loi organique 15-86 fixant les conditions et modalités d’application de l’article 133 de la Constitution, relatif à l’exception d’inconstitutionnalité, était très attendu puisqu’il offre un droit inédit pour les citoyens. Le texte en question stipule que «la Cour constitutionnelle est compétente de trancher n’importe quel recours portant sur l’inconstitutionnalité d’une loi, soulevé lors de l’examen d’une affaire, si une des parties en litige estime que la loi qui sera appliquée lors du procès porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution». La loi organique accorde ainsi aux parties en litige, ainsi qu’à leur défense, le droit de soulever, au cours d’un procès, une exception d’inconstitutionnalité par écrit. La juridiction se charge, ensuite, de transmettre le recours pour inconstitutionnalité à la Cour constitutionnelle.

Dans ce sens, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) avait réalisé un mémorandum relatif à l’exception d’inconstitutionnalité. Le Conseil avait notamment recommandé que les recours soient «présentés dans un écrit distinct, motivé et signé par un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux du Maroc». La loi organique 15-86 fixant les conditions et modalités d’application de l’article 133 de la Constitution, relatif à l’exception d’inconstitutionnalité, vise ainsi à enrichir le système législatif national et remédier aux lacunes de l’arsenal juridique en vigueur qui pourrait être entaché d’inconstitutionnalité. En vue d’assurer un équilibre entre le droit du recours pour non constitutionnalité des lois et l’efficacité judiciaire, le législateur a fixé les conditions de recevabilité de l’action, notamment le respect des délais impartis pour statuer en matière de recours pour non constitutionnalité d’une loi. Par ailleurs, la loi identifie les différentes parties compétentes pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité tout en fixant les conséquences de la décision de la Cour constitutionnelle sur l’inconstitutionnalité d’une loi.

Adoption

A noter que la Chambre des représentants avait adopté en avril 2022 à l’unanimité le projet de loi organique 15-86 fixant les conditions et procédures de l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Présentant le projet de loi, le ministre de la justice Abdellatif Ouahbi avait relevé que le texte est le fruit d’efforts déployés selon une approche participative, marquée par l’implication de l’ensemble des acteurs des champs juridique et judiciaire, ainsi que les experts dans le domaine de la justice constitutionnelle et administrative au Maroc et ailleurs.

L’adoption de l’approche participative vise à aboutir à une version du projet de loi garantissant l’équilibre entre la préservation des droits et libertés garantis par la Constitution à travers le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité et la réalisation de l’efficience judiciaire en limitant notamment les recours introduits par mauvaise foi, afin d’éviter toute entrave du cours normal d’une justice effective et efficiente, avait expliqué le ministre. Rappelant les différentes étapes parcourues par le projet de loi, M. Ouahbi avait insisté sur l’importance de ce texte et des débats politiques qu’il a suscités, notant qu’il sera soumis à la Cour constitutionnelle avant sa publication dans le Bulletin officiel pour être opérationnel dans un délai d’un an.

La loi organique accorde à des parties en litige ainsi qu’à leur défense le droit de soulever, au cours d’un procès, une exception d’inconstitutionnalité par écrit. (D.R)

C’est le titre de la boite

Compétences

Constitution.

Selon la loi fondamentale du pays, «la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Une loi organique fixe les conditions et modalités d’application du présent article».

De son côté, l’article 134 de la Constitution dispose «qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement (…) de l’article 133 est abrogée à compter de la date fixée par la Cour dans sa décision. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles».

Verbatim

blank

La Cour constitutionnelle déclare que les procédures suivies pour entériner la loi organique 15-86 fixant les conditions et modalités d’application de l’article 133 de la Constitution, relatif à l’exception d’inconstitutionnalité, ne sont pas conformes à la Constitution.

blank
Abdellatif Ouahbi, ministre de la justice

«L’adoption de l’approche participative vise à aboutir à une version du projet de loi garantissant l’équilibre entre la préservation des droits et libertés garantis par la Constitution à travers le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité et la réalisation de l’efficience judiciaire en limitant notamment les recours introduits par mauvaise foi, afin d’éviter toute entrave du cours normal d’une justice effective et efficiente».