«L’incohérence des philosophes» : le monde a-t-il toujours existé ?


, penchaient pour la seconde hypothèse. Selon eux, le monde n’a jamais eu de
. Il est un ordre immuable, une structure éternelle, un cosmos qui se déploie sans qu’aucune rupture ne vienne troubler son harmonie. Même
, comme le soleil émet sa lumière, de façon nécessaire et intemporelle.
Or, cette thèse heurte frontalement la vision islamique du monde, où Dieu est non seulement créateur, mais libre dans son acte créateur. C’est pourquoi Al-Ghazali, dans son «Tahafut al-Falasifa», entreprend de démanteler cette croyance en l’éternité du monde avec une rigueur et une clarté redoutables. Son objectif n’est pas simplement de contester une hypothèse cosmologique, mais d’exposer une vérité essentielle : si le monde est éternel, alors Dieu n’est plus un créateur, mais une simple cause impersonnelle ; s’il est créé, alors son existence témoigne à chaque instant de la volonté divine.
Une illusion philosophique : l’éternité du monde
Les philosophes, héritiers d’Aristote, fondaient leur argumentation sur un raisonnement simple : Si Dieu est parfait, Il ne change pas. Si Sa volonté est éternelle, alors Son acte créateur doit l’être aussi. Donc, le monde doit exister depuis toujours, car un Dieu immuable ne saurait passer d’un état où Il ne crée pas à un état où Il crée.
Al-Ghazali s’attaque à ce raisonnement en révélant son incohérence fondamentale. Il démontre que la volonté divine ne peut être soumise aux catégories humaines du temps et du changement. Dieu crée quand Il veut, comme Il veut. La notion de «moment» de création n’a de sens que pour les créatures, plongées dans la succession du temps. Mais Dieu, Lui, n’est pas lié par cette temporalité.
Pourquoi les philosophes postulent-ils l’éternité du monde en le soustrayant à la contingence, alors même qu’ils admettent l’existence d’une cause première ? Si tout effet suppose une cause, alors l’univers ne peut être une nécessité brute : il est un choix divin, librement voulu. Et cette cause première, c’est Dieu, qui a choisi librement de créer le monde à un moment donné, sans que cet acte soit soumis à une nécessité interne.
Al-Ghazali va plus loin : il met en évidence que la thèse des philosophes repose sur une contradiction implicite. Car si le monde était vraiment éternel, il faudrait qu’une infinité d’événements ait déjà eu lieu. Ce qui est impossible selon la logique même des penseurs aristotéliciens, qui reconnaissent que l’infini ne peut être atteint par addition successive.
Ainsi, en prétendant prouver l’éternité du monde, les philosophes se sont pris dans leurs propres filets. Leur raisonnement les mène à une absurdité : ils postulent un univers à la fois éternel et pourtant constitué d’événements successifs, ce qui est contradictoire. Mais si le monde n’est pas éternel, a-t-il un commencement ?
Le regard de la science moderne : un début absolu ?
Pendant longtemps, les physiciens ont cru que l’univers était statique et éternel, suivant la conception aristotélicienne. Mais au XXe siècle, cette vision fut bouleversée par les découvertes de la relativité générale et de la cosmologie moderne.
Georges Lemaître, prêtre et astrophysicien belge, fut le premier à proposer une idée révolutionnaire : l’univers n’est pas immobile, mais en expansion. Cette hypothèse, confirmée par Edwin Hubble en 1929, montra que les galaxies s’éloignent les unes des autres, suggérant que l’univers a dû être, dans un passé lointain, rassemblé en un point unique. Cette idée donna naissance à la théorie du Big Bang, qui postule que l’univers a émergé à partir d’un état initial extrêmement dense et chaud, il y a environ 13,8 milliards d’années.
Même Stephen Hawking, qui n’était pas un homme de foi, dut admettre qu’aux origines de l’univers, le temps lui-même disparaît. Il n’existe pas de «temps avant le Big Bang», car le temps est né avec l’univers. Or, cette idée est en parfaite harmonie avec la pensée d’Al-Ghazali : le monde ne repose pas sur une nécessité interne, il est le produit d’un acte créateur qui marque le commencement du temps et de l’espace.
Bien sûr, la science n’emploie pas le langage de la théologie. Elle parle de «singularité initiale», de «conditions primordiales». Mais en réalité, ces formulations modernes reviennent à dire que l’univers a bien eu un commencement, ce que les philosophes péripatéticiens refusaient d’admettre.
L’univers : un témoignage vivant du divin
Dans les textes soufis, l’univers est souvent comparé à un poème divin, chaque étoile étant une lettre écrite par la main d’Allah. L’existence n’est pas une mécanique aveugle, mais une invitation à contempler le divin à travers les merveilles du cosmos.
L’éveil à une vérité plus vaste
Le monde n’a pas toujours été. Mais nous sommes là, invités à lire en lui les signes d’un amour éternel.