Maroc

LGV, ports, énergies : pourquoi l’investissement public ne doit-il pas être épargné ?

Le Maroc a capté 38% de l’ensemble des investissements privés dans les infrastructures d’Afrique du Nord entre 2013 et 2023, un niveau inférieur à celui de l’Égypte qui est de 53%. Par ailleurs, le document souligne que le Maroc n’a consacré que 1,2% de son PIB aux infrastructures sur la période 2019-2020, restant en dessous de la moyenne africaine de 1,8%.


« Forte capacité d’attraction de capitaux privés et dynamique de transformation structurelle réelle, mais niveau relativement faible d’investissement public dans les infrastructures ». C’est la situation du Maroc dans le cadre de l’investissement infrastructurel en Afrique du Nord, telle que présentée dans le rapport intitulé : « Dynamiques du développement en Afrique 2025. Infrastructure, croissance et transformation », récemment publié par l’OCDE et l’Union africaine. Ce document révèle que le Maroc adopte un modèle hybride en Afrique du Nord, se montrant efficace dans la mobilisation de financements externes et privés, mais subissant une pression interne en ce qui concerne l’effort public direct.

**Un pays leader dans l’attraction des investissements privés**

Le rapport indique qu’entre 2013 et 2023, le Maroc a attiré 38% des investissements privés dans les infrastructures d’Afrique du Nord (PPI), ce qui représente une part très importante dans la région. Cela est significatif, car seuls deux pays dominent (Egypte : 53%, Maroc : 38%). Le Royaume a donc presque 4 projets privés sur 10 dans toute la région.

Cette performance est attribuée à la stabilité politique, un facteur essentiel pour les investisseurs internationaux ; à un cadre réglementaire des partenariats public-privé (PPP) jugé de niveau « pays à revenu élevé » selon l’enquête de la Banque mondiale (2023) ; et à l’expertise acquise dans les projets d’énergie renouvelable, notamment grâce à Masen (Noor Ouarzazate) et à de multiples partenariats public-privé dans l’éolien, ainsi qu’à une bonne préparation des projets, rassurant ainsi les financeurs et bailleurs.

En somme, le Maroc ne se contente pas d’être attractif, il a mis en place un écosystème institutionnel et technique capable de gérer et d’exécuter des projets privés de grande ampleur.

**Un niveau d’investissement public étonnamment bas**

Cependant, le rapport souligne un aspect préoccupant : le Maroc a consacré seulement 1,2% de son PIB aux infrastructures durant la période 2019–2020, ce qui est en dessous de la moyenne africaine (1,8%), de celle de l’Afrique australe (2,4%) et nettement inférieur à la Tunisie (3%). Cette situation étonne d’autant plus que le pays mène des chantiers majeurs — LGV, ports, énergies renouvelables, réseau routier — tout en affichant un effort budgétaire public proportionnellement plus faible que ses voisins.

Cette situation découle d’un modèle où le Maroc s’appuie principalement sur les partenariats public-privé pour financer son développement ; l’État transfère une part significative des coûts des projets aux investisseurs privés. Cette stratégie permet de réduire la pression sur les finances publiques, mais augmente la dépendance aux engagements contractuels sur le long terme.

Cela crée un schéma dual dans lequel l’État intervient moins par investissement direct, tout en dirigeant des infrastructures majeures grâce à une forte implication du secteur privé.

**Excellence infrastructurelle : rail, énergie, logistique**

Le rapport de l’OCDE précise que le Maroc se classe au premier rang en Afrique concernant la qualité de ses infrastructures ferroviaires. Ce fait est déterminant, car la LGV Tanger–Casablanca a repositionné le Maroc sur la carte africaine. Ce leadership résulte d’une vision à long terme (depuis les années 2000), du rôle clé de l’ONCF en tant qu’opérateur modernisé et de l’intégration des infrastructures ferroviaires dans un projet géopolitique élargi : faire du Maroc un hub euro-africain en matière de mobilité et de logistique.

**Énergie : ambition, stratégie et liaison avec l’Europe**

Le rapport souligne que le Maroc, bien qu’étant un pays importateur d’énergie, cherche à réduire sa dépendance aux combustibles fossiles et à développer massivement les énergies renouvelables (solaire, éolien) pour garantir sa sécurité énergétique.

Les grands projets (Noor Ouarzazate, Tarfaya, Midelt, Boujdour…) s’inscrivent dans une démarche de sécurité nationale, de diplomatie énergétique et de positionnement sur les marchés régional et européen. Le Maroc participe également à des projets d’interconnexion avec l’Europe (Espagne–Portugal) et l’Afrique de l’Ouest (via le Nigeria). L’objectif est double : sécuriser son approvisionnement et exporter de l’électricité verte ainsi que de l’hydrogène vert. Le document évoque le Corridor Sud de l’hydrogène comme initiative clé des relations entre le Maroc et l’UE.

**Formation : un déficit majeur malgré des efforts visibles**

L’analyse révèle que le Maroc souffre d’un manque significatif de compétences techniques dans les secteurs de l’énergie et du transport (conception, ingénierie, maintenance et innovation). Le projet “Big Data for Labour Market Intelligence” place le Royaume parmi les pays ayant une forte demande en compétences vertes dans l’électricité et la construction.

Néanmoins, une initiative marocaine, Masen Talents Campus, fait figure d’exception, étant un centre de formation spécialisé dans les énergies renouvelables. Malgré cela, l’offre reste en deçà des besoins. Ce déficit de main-d’œuvre qualifiée peut constituer un frein à la transition énergétique, malgré les ambitions affichées.

**Le Maroc face au grand défi régional : investir 4,2% du PIB d’ici 2040**

Pour aligner la région avec des pays émergents comparables, l’Afrique du Nord doit investir 38 milliards USD par an, soit 4,2% du PIB régional. Pour le Maroc, cela nécessite de plus que tripler son effort actuel (1,2% à 4%) afin de maintenir l’attractivité pour le secteur privé par une augmentation significative de l’investissement public tout en évitant une pression excessive sur la dette publique.

**Le Maroc, un « hub » infrastructurel, mais encore dépendant des financements privés**

En conclusion, le rapport de l’OCDE considère que le Maroc présente une attractivité exceptionnelle pour le capital privé, exerce un leadership africain en matière de rail et dans certaines infrastructures énergétiques, possède une vision stratégique claire (logistique, énergie, connectivité), dispose d’un cadre juridique PPP performant et aspire à une intégration européenne (énergie, hydrogène).

Cependant, le Royaume endure un faible effort public d’investissement (1,2% du PIB), un déficit de compétences techniques, une forte dépendance aux financements extérieurs et le risque d’inégalités territoriales (le Sud et l’Oriental étant moins intégrés).

Il risque également de devenir tributaire de la conjoncture européenne, d’encourir un futur poids financier dû aux PPP, de souffrir d’une insuffisante régionalisation (absence d’un plan directeur nord-africain) et d’un retard en matière de formation pouvant entraver la transition énergétique. Pour viser une transformation structurelle durable, le Maroc devra accroître son investissement public ; former massivement dans l’énergie et le transport ; réduire sa dépendance à l’égard des triangles financiers Europe/privé ; intégrer davantage les régions délaissées et renforcer la gouvernance ainsi que la qualité du suivi des PPP.

**Hassan Bentaleb**