Les syndicats ne cachent pas leur inquiétude sur la réforme des retraites.
Le régime des pensions civiles de la Caisse marocaine des retraites a affiché en 2024 un déficit technique dépassant 7 milliards de dirhams. Les projections annoncent que les réserves pourraient s’épuiser avant 2031 si aucune réforme significative n’est menée.
La scène politique marocaine fait face à une nouvelle fois à un dossier lourdement chargé : la réforme des retraites. Après plusieurs mois de silence et d’ajournements, le gouvernement convoque désormais les centrales syndicales à une réunion technique visant à clarifier l’avenir d’un projet devenu source de controverse et de rupture de confiance. Ce retour à la discussion se déroule dans un climat de tension sociale, où chaque geste officiel est observé avec précaution et où l’ombre d’un scénario déjà établi plane sur l’ensemble.
Des responsables syndicalistes affirment avoir été contactés directement par le chef du gouvernement pour assurer leur participation. Cela pourrait sembler être un signe d’ouverture, mais cela soulève aussi des inquiétudes quant à la pression sur un processus qui devrait s’appuyer sur des négociations réelles et une transparence totale. Le spectre des pratiques passées revient, accentuant la crainte de voir émerger une réforme paramétrique proposée pour résoudre des déficits immédiats sans s’attaquer aux déséquilibres structurels.
Les informations indiquent une volonté du gouvernement de conclure avant les prochaines élections. L’exécutif viserait à finaliser le processus d’ici le printemps 2026, comme si les enjeux politiques primaient sur les besoins sociaux. Cependant, ceux qui connaissent ce sujet savent que la bataille est complexe et délicate. Les mécanismes financiers sont fragiles et les enjeux sociaux préoccupants, tandis que la dimension politique reste volatile. Aucun calendrier électoral ne peut guider un sujet aussi crucial pour les droits et la dignité de millions de travailleurs et futur retraités.
Les chiffres renforcent ce sentiment d’urgence, mais ne justifient pas une approche unilatérale. En 2024, le régime des pensions civiles de la Caisse marocaine des retraites a enregistré un déficit technique dépassant 7 milliards de dirhams, tandis que le régime des pensions militaires affiche un déficit de près de 2 milliards. Les projections estiment que les réserves pourraient s’épuiser avant 2031 si aucune réforme significative n’est mise en œuvre. Le gouvernement utilise ces données comme argument pour des ajustements paramétriques nécessaires, mais ces chiffres ne rendent pas compte des choix politiques qui ont retardé une réforme structurelle.
La crise actuelle ne se limite pas à un simple déséquilibre financier. Depuis des années, les caisses de retraite ont été maintenues dans des schémas de placement peu ambitieux, avec une rentabilité rarement supérieure à 3%. La question de la gestion et de la gouvernance se pose à nouveau, surtout concernant des décisions controversées comme l’acquisition de cinq Centres hospitaliers universitaires pour plus de 6 milliards de dirhams, érodant la confiance dans la capacité à protéger l’épargne sociale.
Le projet de régime unifié, qui devrait regrouper les régimes public et privé, reste flou. Bien que la philosophie affichée vise à moderniser, la réalité pourrait mener à une fusion superficielle qui déplacerait les problèmes sans les résoudre. Les déséquilibres varient d’un régime à un autre : le secteur privé souffre d’un faible nombre d’adhérents déclarés et de carrières discontinues, alors que le secteur public se charge de l’intégration de milliers d’enseignants contractuels. En revanche, le régime professionnel affiche une solidité, avec un excédent technique supérieur à 4 milliards de dirhams.
Les institutions nationales indépendantes, telles que le Conseil de la concurrence et le Conseil économique, social et environnemental, ont appelé à plusieurs reprises à une réforme intégrée, basée sur la transparence et une gouvernance convergente. Cependant, rien n’indique que ces recommandations influenceront la démarche gouvernementale actuelle. La démarche semble s’enfermer dans des cercles techniques restreints, sans garantir la préservation des droits acquis ni un consensus national durable.
Dans ce contexte, l’annonce de la réunion technique suscite des craintes qu’elle ne soit qu’un simple décor légitimant une décision déjà prise. L’absence de documents officiels présentant la vision du gouvernement ne fait qu’accroître la frustration des partenaires sociaux, qui se sentent confrontés à un fait accompli. La situation économique et sociale s’ajoute à l’inquiétude générale. Avec la hausse du coût de la vie et la croissance stagnante, la précarité progresse et les travailleurs ressentent une pression qui rend toute atteinte à leurs droits particulièrement explosive.
Le Maroc se trouve à un carrefour critique. La réforme des retraites est indispensable, mais la question reste de savoir comment l’aborder. Le pays ne peut se permettre une réforme improvisée, conçue uniquement pour régler un déficit comptable. Une réforme durable nécessite de réinventer la gouvernance, de redéfinir les relations entre les générations, de mettre la transparence au centre du modèle financier et de protéger de manière inébranlable les droits sociaux, qui ne doivent pas être considérés comme un privilège ou une variable d’ajustement.
Plusieurs sources syndicales indiquent qu’elles ne rejettent pas l’effort collectif mais s’opposent à ce qu’il repose toujours sur les mêmes catégories sociales. Le Maroc mérite une réforme réfléchie, structurée, équitable, capable d’harmoniser viabilité financière et justice sociale. Toute démarche contournant cette équation risque d’éroder davantage la confiance déjà fragile.
L’histoire récente montre qu’une réforme précipitée engendre des tensions dont le pays émerge affaibli. Pour éviter un nouveau cycle de crispation similaire à celui de 2016, il est essentiel de choisir la voie la plus exigeante mais aussi la plus saine, celle du dialogue constructif, de la transparence totale et du courage politique. C’est seulement ainsi que la retraite peut redevenir, et non plus être perçue comme une menace, la promesse d’une fin de carrière digne pour ceux qui ont contribué à la construction du pays.
Mehdi Ouassat

