Maroc

Les perspectives de développement de la Finance verte au Maroc selon Mounir Temmam

Le Matin : Quelle est la part et la place actuelles du financement vert dans le paysage financier marocain ?

Les perspectives de développement de la Finance verte au Maroc selon Mounir Temmam

Mounir Temmam :

Lors de l’organisation de la COP 22 en 2016 au Maroc, le secteur financier national, piloté par diverses entités (Bank Al Maghrib, l’association professionnelle des banques – GPBM, la Bourse de Casablanca, l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale – ACAPS, l’Autorité marocaine des marchés des capitaux – AMMC), a montré de forts signes d’intérêt pour le financement vert en développant sa propre feuille de route. Cet intérêt est désormais formalisé à travers la nouvelle Stratégie de développement de la finance climat à l’horizon 2030, qui vise à accélérer la transition verte du secteur financier marocain sur les enjeux du développement durable.

Rappelons à cet effet que le financement vert au Maroc a démarré grâce à l’assistance technique et aux ressources financières mobilisées par des institutions financières internationales (IFI). Ce financement a été déployé principalement à travers des lignes de crédit vert, à l’instar de:

• MorSEFF : une ligne de crédit dédiée à l’efficacité énergétique développée initialement par la BERD, l’AFD et la KfW et mise en œuvre via les banques commerciales nationales pour financer des projets portés par le secteur privé liés aux énergies vertes et à l’efficacité énergétique;

• SME Green Value Chain (GVC): une ligne de crédit mise en place par la BERD en partenariat avec le Fonds vert pour le climat et la Corée du Sud pour financer des projets liés aux énergies vertes et au respect des principes d’une chaîne de valeur verte ;

• Green Invest/ TAMWIL Invest : ligne de financement mise en place par la BERD et la BEI pour financer des mesures diverses dans tous les secteurs productifs (à l’exclusion de la promotion immobilière et de la pêche hauturière) ;

• ISTIDAMA : Une ligne de crédit verte dédiée à l’agriculture et à l’agro-industrie développée dans le cadre d’une convention de prêt signée entre l’AFD et le Crédit Agricole du Maroc destinée à financer des projets agricoles à forte composante de développement durable (énergies renouvelables, efficacité énergétique, traitement des déchets et agriculture biologique) ;

• Green Economy Financing Facility (GEFF): une ligne de crédit verte mise en place par la BERD avec le soutien de l’Union européenne (UE) et du Fonds vert pour le climat.

Si ces premières lignes de crédit vert ont été mises en place avec l’appui des IFI, le secteur financier national s’oriente davantage aujourd’hui vers le développement de ses propres produits financiers verts, soulignant ainsi la maturité et l’attractivité croissante du marché national du financement vert destiné au secteur privé.

Quels sont les principaux instruments de financement vert disponibles au Maroc ?

Le diagnostic réalisé dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Stratégie de développement de la finance climat à l’horizon 2030 a permis d’identifier l’existence d’une diversité d’instruments de financement vert au Maroc. Nous pouvons citer les subventions publiques, à l’instar de celles offertes par le programme Tatwir de Maroc PME, les prêts verts déployés par les lignes de financement susmentionnées, les obligations vertes comme celle émise récemment par l’ONCF pour soutenir ses projets de mobilité durable, l’assurance des risques climatiques, le financement mixte (blended finance), le financement par capitaux propres, la garantie et l’assistance technique. D’autres instruments de finance verte sont en cours de développement au Maroc, comme la taxe carbone dont les ressources financières collectées par l’État peuvent être déployées pour soutenir les efforts de décarbonation des entreprises, la finance carbone, un levier important d’appui aux projets d’atténuation, qui se matérialise par la «vente-achat» de crédits carbone, et le mécanisme «bonus-malus» visant à augmenter le coût d’achat des voitures polluantes et à alléger celui des voitures peu polluantes pour en inciter l’achat en application du principe «pollueur-payeur».

Les banques marocaines jouent-elles pleinement leur rôle dans le développement du financement vert ?Le cadre réglementaire du marché financier national relatif au financement vert a connu ces dernières années des développements importants pour inciter les banques à faire du développement durable un axe stratégique de leur croissance. Citons à ce titre la Circulaire de l’AMMC N°03/2019 du 20 février 2019 relative aux opérations et informations financières et la Directive de Bank Al-Maghrib n°5W21 relative au dispositif de gestion des risques financiers liés aux changements climatiques et à l’environnement, des référentiels réglementaires importants jetant les bases fondamentales du financement vert. Ce cadre favorable incite désormais les banques marocaines à s’engager davantage dans la dynamique du financement vert, qui reste encore à développer.

Quels sont les secteurs au Maroc qui sollicitent le plus de financements verts ?

La majorité des offres de financement vert s’orientent davantage vers des secteurs ciblés qui présentent un potentiel élevé de verdissement, tels que les secteurs agricole et industriel. Ces deux secteurs sont également prédominants en termes de lignes de crédit vertes auxquelles ils sont systématiquement éligibles en raison de leur importance économique, en mettant l’accent sur des solutions d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Par ailleurs, certains secteurs à fort potentiel de verdissement, comme le transport, l’eau ou la gestion des déchets, restent relativement peu couverts par l’offre actuelle de financements verts.

Les PME et startups ont-elles un accès équitable aux financements verts, ou ces mécanismes profitent-ils principalement aux grandes entreprises

Les PME ont un rôle important à jouer dans la mise en œuvre des actions d’atténuation et d’adaptation inscrites dans la CDN du Maroc. Notre analyse de la CDN actuelle a révélé qu’environ 40% à 50% des actions d’atténuation et d’adaptation de la CDN devraient être du ressort des PME. Même si les PME sont éligibles à toutes les offres vertes actuelles, nous avons observés plus de financements verts mobilisés par les «grandes» PME qui ont bénéficié des premières lignes de crédit mises sur le marché national, comme le MorSEFF. Compte tenu de leur importance dans l’économie national, il serait important de développer une offre verte plus inclusive de manière à ce que toutes les PME ainsi les TPE aient un accès adapté et facilité.

Existe-t-il des incitations spécifiques pour les startups et les PME qui souhaitent s’engager dans une démarche de transition écologique ?En ce qui a trait aux incitations spécifiques pour les startups et les PME, la première phase du programme Tatwir déployé par Maroc PME a constitué la principale offre intégrée comprenant à la fois l’appui à l’investissement, le soutien à l’innovation et le conseil & l’assistance technique. Comme cette offre n’a ciblé qu’une centaine de TPME industrielles, d’autres initiatives similaires sur une échelle plus importante sont requises pour assurer une couverture sectorielle plus inclusive.