Maroc

Le Maroc pays d’honneur du Festival du livre de Paris : entretien avec le directeur, Pierre-Yves Bérenguer

Le Matin : Au Maroc, nous nous réjouissons que le Maroc soit l’invité d’honneur du Festival du Livre de Paris. Cependant, nous sommes surpris, car le Maroc avait déjà été mis à l’honneur en 2017. Comment expliquez-vous ce choix ?

Pierre-Yves Bérenguer

: En toute sincérité, et cela a été évoqué avec le ministère, nous étions initialement partis sur l’option du Brésil, car c’était la saison France/Brésil et cela paraissait légitime. Mais le projet n’a pas abouti. Au regard du réchauffement diplomatique entre la France et le Maroc, il nous a semblé tout à fait logique de proposer au Maroc d’être le pays d’honneur. Clairement, l’annulation du Brésil a été une opportunité. Dans tous les cas, cela aurait été l’année prochaine ou dans deux ans que nous aurions proposé cette invitation. Finalement, tout s’est mis en place en deux mois, ce qui est remarquable.

Ne craignez-vous pas que deux mois ne laissent pas assez de temps à un pays invité d’honneur pour boucler son programme ?

Pas du tout. L’équipe du ministère de la Culture du Maroc travaille d’arrache-pied. Nous avons reçu une première version du programme il y a environ un mois, et depuis, il s’est enrichi. Aujourd’hui, nous comptons une trentaine de maisons d’édition et une centaine d’auteurs représentés, soit le double du Québec, invité l’an dernier. Je n’ai donc, en aucun cas, la sensation d’un travail bâclé ou improvisé.

La France veut être un partenaire du Maroc dans sa stratégie culturelle à l’international (Rachida Dati)

Pensez-vous que la littérature et la circulation des idées entre le Maroc et la France peuvent non seulement être une conséquence du réchauffement diplomatique entre les deux pays, mais aussi y contribuer ?

Même si cela n’a pas été un objectif fixé conjointement, c’est tout à fait le cas. Nous connaissons le rôle du soft power que représente la culture dans ces échanges. D’ailleurs, Latifa Moftaqir, mon homologue marocaine, l’a immédiatement compris. L’objectif du festival est avant tout de mettre en lumière la littérature d’un pays, de faire travailler la filière, d’inviter auteurs et éditeurs, mais aussi de faire découvrir une culture. La formule du festival évolue : nous ouvrons désormais le livre à d’autres disciplines artistiques. Ce sont des innovations que je souhaite impulser pour les prochaines éditions. Nous savons que l’industrie du cinéma au Maroc est florissante, que sa musique est extrêmement riche et multiple. Je suis convaincu que la mise en lumière de la culture d’un pays participe à son rayonnement dans le pays d’accueil. La diaspora marocaine en France est très forte, avec des écrivains déjà reconnus, certains même primés par le Goncourt. Mais notre ambition est aussi de faire découvrir de nouveaux auteurs marocains, encore peu connus des éditeurs français. La culture va donc accentuer ce réchauffement diplomatique, et il est symboliquement très fort que nous recevions le Maroc alors que le festival retrouve son écrin originel.

La France est-elle un pays ouvert aux idées émanant des pays du Sud ?

Je ne vais pas parler au nom de la France, mais en tant que citoyen français, je suis très fier, dans mes fonctions de directeur général du Festival du livre de Paris, de pouvoir provoquer des débats d’idées. Au-delà de s’adresser à la communauté marocaine, qui est très importante en France, j’aimerais que les thèmes abordés dans la programmation du festival participent au débat national, car nous avons beaucoup à apprendre de ce qui se passe ailleurs. Il serait d’ailleurs souhaitable que certains responsables politiques français prêtent davantage attention aux dynamiques culturelles et intellectuelles de l’autre côté de la Méditerranée.

Quelles sont les innovations majeures de l’édition 2025 du Festival du livre de Paris ?

Le projet que j’ai proposé repose sur deux axes principaux de développement. Le premier est de consolider la présence des exposants tout en l’élargissant. Nous maintenons la structure du Festival : des stands d’éditeurs, des livres en vente, des auteurs en dédicace et un public qui vient à leur rencontre. Mais nous allons plus loin en passant de 330 maisons d’édition en 2024 à 450 en 2025.Le deuxième axe consiste à ouvrir le livre à d’autres disciplines et à créer des passerelles entre littérature et arts vivants. J’ai notamment développé un partenariat avec le Centre Pompidou et le Festival Extra, qui s’intéresse aux formes littéraires hors du livre. Comme le Centre Pompidou ferme temporairement, nous avons initié un partenariat pour qu’il s’installe dans une galerie du Grand Palais avec nous. Il proposera une programmation sous forme de cabaret littéraire, avec lectures, performances et soirées clubbing.

Il y a, également, un volet «Cinéma». Quel est son but ?

Nous voulons promouvoir l’adaptation littéraire, car elle joue un rôle essentiel dans la transmission des œuvres. Prenons «Monte Cristo» : beaucoup de jeunes ont découvert que c’était un livre après avoir vu le film. Il n’y a rien de honteux à arriver au livre par un autre médium. Nous allons donc créer une galerie dédiée aux adaptations, diffuser des extraits et organiser trois avant-premières avec montées des marches et rencontres avec les équipes des films. Pour cela, nous travaillons avec la SCELF, qui gère les droits d’adaptation littéraire.

Par ailleurs, 2025 est l’«Année de la mer» en France, un événement porté par le ministère de la Mer. Ce thème nous a semblé fantastique, car de la mythologie antique aux mangas, la mer a toujours été une source d’inspiration. Elle soulève aussi des enjeux fondamentaux liés à la biodiversité, au climat et à l’écologie. Nous créons donc une grande galerie dédiée à la mer, avec des rencontres, une librairie maritime et deux grandes expositions.

Quid de la jeunesse ?

Nous avons une forte audience jeune. En 2024, nous avons accueilli 103.000 visiteurs, dont 43% avaient moins de 25 ans. C’est une excellente nouvelle, car la jeunesse représente l’avenir du livre et nous permet de toucher des publics divers. Cependant, en affinant notre étude, nous avons qu’il nous manquait le public familial. Nous avons donc décidé de renforcer l’offre jeunesse et de mettre davantage en avant des genres comme la bande dessinée et le manga. Pour cela, nous allons créer un village des enfants, avec une scène dédiée et des ateliers créatifs.

Ces innovations majeures pour 2025 visent à faire du Festival du livre de Paris une véritable fête du livre, avec une programmation exigeante, mais toujours populaire et festive. C’est le pari de cette nouvelle édition.